Près de Rs 4 millions dépensées en un an, dont une voiture à Rs 1,7 million : les achats effectués depuis mars dernier par le secrétaire d’un bureau public soulèvent de lourdes interrogations. L’officier, que nous appellerons M., aurait profité de l’absence d’un chef hiérarchique pour s’octroyer de facto les pouvoirs d’Accounting Officer, alors qu’il n’en possède ni la qualification, ni la délégation légale. Deux mises en demeure lui ont déjà été signifiées, et une autre a été transmise au Prime Minister’s Office (PMO), au ministère du Travail et au ministère de tutelle. La Financial Crimes Commission (FCC) s’est rendue sur place en octobre dernier et a ouvert une enquête.
Nommé en 2024 par le secrétaire du Cabinet, M. se serait arrogé des prérogatives qui devraient revenir, en l’absence de directeur, au Head of Legal and Investigations. Depuis la fin de l’année 2024, son comportement inquiète : déjà signalé à la police pour violences, il serait particulièrement redouté par certaines employées. Le ministère de l’Égalité des genres a été alerté en décembre dernier, sans qu’aucune suite ne soit donnée, hormis un accusé de réception. Contacté, l’officier nie tous les faits et refuse tout commentaire.
À chaque nouvel épisode, la même question revient : comment un fonctionnaire aussi jeune, anciennement affecté au PMO sur recommandation politique, a-t-il pu agir aussi librement ? Une source proche du dossier affirme que “chaque allégation contre lui est documentée par des preuves solides”. Selon elle, “quand cette affaire éclatera totalement, l’opinion publique sera choquée”.
Les témoignages recueillis décrivent un climat toxique. Un document interne relate que l’officier “demande des preuves écrites aux femmes pour aller aux toilettes, pratique le stalking et les marque absentes quotidiennement malgré leur présence”. Une employée, dont le père vient désormais la chercher chaque soir, aurait été intimidée à plusieurs reprises. Là encore, aucune intervention concrète des autorités.
En avril, M. adresse à une collègue, à son domicile, une lettre disciplinaire à propos d’une simple discussion de couloir. Il y retranscrit mot à mot ses échanges avec les employées concernées. Malgré une réunion convoquée par la ministre de tutelle le 2 mai pour rétablir l’ordre, aucune directive n’a été respectée.
Sur le plan administratif, l’absence de supervision lui aurait permis d’approuver seul toutes les dépenses. Le premier signal d’alerte survient dès décembre 2024, lorsque M. s’attribue le fauteuil de direction et le cintre du bureau, avant d’en acheter d’autres — Rs 15 000 et Rs 5 000 — pour les remplacer.
En mars 2025, les dépenses s’emballent :
– une imprimante et un scanner haute performance pour Rs 279 450, alors qu’une machine multifonction suffisante était disponible ;
– vingt licences Microsoft 365 à Rs 157 320, alors que plusieurs employés étaient bloqués de leurs propres licences ;
– cinq licences Adobe Acrobat Pro et cinq licences Adobe AI Assistant pour Rs 91 450, malgré l’existence du service public MauSign, coûtant… Rs 500 ;
– des livres universitaires pour Rs 13 185, sans lien avec la juridiction mauricienne, soupçonnés d’être utiles à des études personnelles ;
– une machine à relier à Rs 15 525 alors que le bureau est totalement numérisé.
En mai, l’installation de caméras de surveillance coûte Rs 100 000, malgré l’avis explicite du Data Protection Office indiquant que la surveillance interne est illégale. M. détient seul les accès aux enregistrements. Une télévision à Rs 100 000 disparaît, un autre téléviseur n’est jamais installé, et un ordinateur portable du même montant est acheté sans nécessité.
En juin, un projecteur à Rs 50 000 arrive au bureau. M. garde l’écran gratuit qui l’accompagnait, prétend ne jamais l’avoir reçu, avant d’être confronté aux preuves. Le même mois, il initie un projet de “nouveau système informatique” coûtant Rs 600 000, financé après signature de documents sous enquête FCC. Aucun technicien n’a été consulté et l’ensemble du personnel a été déconnecté du système existant.
S’ajoute un abonnement LexisNexis à Rs 635 950 — sans aucune demande du service juridique, et notoirement inutile à cette institution.
Point culminant : l’achat d’une voiture neuve pour Rs 1 700 000. Problème : le bureau n’a ni chauffeur, ni nécessité opérationnelle pour un véhicule, le ministère de tutelle assurant déjà les déplacements. Le Departmental Bid Committee aurait été constitué en violation flagrante des règles, M. s’y nommant président, créant un conflit d’intérêts manifeste.
Au total, Rs 3 922 880 auraient été dépensées ou engagées entre décembre 2024 et juin 2025, sans supervision hiérarchique et en contravention avec les procédures d’achats publics. Toutes les étapes — initiation, évaluation, approbation, attribution — auraient été pilotées par une seule et même personne.
La FCC poursuit actuellement son enquête. Quant à l’institution concernée, elle continue de fonctionner à capacité réduite : “nous ne pouvons plus fournir les services pour lesquels le bureau a été créé”, s’indigne une employée.
À ce stade, aucune autorité n’a encore rendu de décision publique. Et une question demeure :comment un simple secrétaire a-t-il pu engager autant de fonds publics, si longtemps, sans que personne ne l’arrête ?

