La démission de Kishore Beegoo d’Airports Holdings Ltd (AHL) et de ses filiales n’était plus qu’une question de temps. Après avoir annoncé son départ d’Air Mauritius, il s’accrochait encore à certaines fonctions au sein d’AHL. C’est désormais terminé. Mais son retrait s’accompagne d’une charge directe et assumée contre Megh Pillay, devenu en quelques semaines l’« homme fort » du secteur aérien.
Dans une lettre d’un ton rarement observé dans la gouvernance publique, Beegoo conteste la nomination de Megh Pillay comme Executive Chairman, alors que ce dernier poursuit toujours Air Mauritius pour une réclamation d’environ Rs 38 millions. Pour Beegoo, la contradiction est flagrante : « Il n’est pas acceptable qu’un Executive Chairman dirige une holding dont il poursuit une filiale en justice. »
Un départ nourri d’amertume
Depuis des semaines, Kishore Beegoo était marginalisé : perte d’influence, désaveux en réunion, isolement politique. Il affirme avoir été évincé pour avoir refusé tout compromis dans le litige opposant Air Mauritius à Megh Pillay. Dans sa lettre, il revendique une ligne de probité, une conviction dont beaucoup rient, tant elle semble à géométrie variable. Il rappelle néanmoins qu’en tant que Chairman de MK, il avait ordonné aux avocats de « ne pas céder aux pressions politiques » et de défendre l’affaire jusqu’au bout.
C’est autour de la nomination de Megh Pillay qu’il durcit le ton. Kishore Beegoo accuse le Board d’avoir créé un risque réel de mise en cause devant la FCC en cas d’alternance, et énumère cinq dangers : violation du devoir fiduciaire, interférence politique non consignée, fragilité financière de MK face à la réclamation, incohérence entre financements publics et traitement réservé à un dirigeant politique, et affaiblissement de la défense légale d’Air Mauritius.
Cette sortie n’a rien d’anodin. Megh Pillay bénéficie aujourd’hui d’un statut quasi « inévitable » dans l’aviation mauricienne. Que Beegoo place son nom au centre de sa démission révèle l’ampleur du malaise. Politiquement, les proches du pouvoir minimiseront. Mais dans les milieux techniques, ce document est perçu comme un signal d’alarme sur la gouvernance d’AHL et sur le mélange problématique entre litiges privés et fonctions exécutives.
Mais Beegoo lui-même n’est pas un exemple de vertu
L’ironie de la situation saute aux yeux : Kishore Beegoo se présente comme garant de la gouvernance… alors que son propre passage à la tête d’Air Mauritius fut marqué par un conflit d’intérêts majeur. Il était simultanément Chairman de MK et Managing Director de Cargotech Ltd, active dans le fret aérien et en affaires avec Air Mauritius, mais aussi avec Emirates et d’autres compagnies. Il n’aurait jamais dû revenir à la tête de la compagnie après son premier limogeage.
À cela, s’ajoute son refus obstiné d’explorer un partenariat avec Qatar Airways, pourtant recommandé pour des raisons de viabilité économique. Plusieurs observateurs y avaient vu un président davantage guidé par ses intérêts sectoriels que par une vision stratégique cohérente.
Bref, l’homme qui dénonce aujourd’hui le conflit d’intérêts de Megh Pillay évoluait lui-même en plein dedans.
La réaction de Megh Pillay
Megh Pillay rejette en bloc les propos de Beegoo : « Je n’ai aucune leçon de gouvernance à recevoir, encore moins de ceux dont le propre comportement soulève de sérieux questionnements. » Il évoque des « accusations fausses et malveillantes » et affirme qu’il continuera d’agir selon « des principes de bonne gouvernance et d’intégrité professionnelle ».
Un élément essentiel éclaire, désormais, le débat : en mai 2024, la Cour suprême a prononcé un non-lieu dans le procès intenté par Megh Pillay, tout en statuant qu’il ne pouvait maintenir sa réclamation initiale de Rs 39,3 millions.
La juge Véronique Kwok Yin a statué que le Deed of Company Arrangement (DOCA) imposait une réduction obligatoire aux créanciers non garantis dont la créance est antérieure à l’administration volontaire de 2020. Conclusion : Pillay ne peut réclamer qu’un montant réduit, et la Cour ne peut juger la somme originale.
Megh Pillay évoquait un « non-jugement » sur le fond, affirmant que la Cour ne s’est pas prononcée sur la légalité de son licenciement de 2016. Il devait consulter ses avocats pour décider de la suite.
Une sortie honorable existe
Si l’objectif est de sortir Air Mauritius du cyclone médiatique et de stabiliser durablement le secteur, une solution existe : que Megh Pillay renonce à son action. Tout dépend du narratif. La seule formule crédible serait : « Par souci de stabilité nationale et dans l’intérêt supérieur de l’aviation civile, j’ai décidé de retirer mon action. »
Non pas une capitulation, mais un geste d’homme d’État, cohérent avec l’image qu’il projette. Ce serait, en réalité, le seul moyen d’éteindre définitivement cette polémique.

