Figure influente de la profession comptable au niveau international, Su Lin Ong, membre du Conseil de l’Institute of Chartered Accountants in England and Wales (ICAEW) pour l’Afrique, était récemment à Maurice à l’occasion de la remise des diplômes à 23 étudiants ayant brillamment réussi leurs examens ACA. Un événement symbolique, tenu le 26 novembre dernier, qui souligne la place singulière de Maurice au sein du réseau africain de l’ICAEW. Elle revient dans l’entretien qui suit sur l’importance stratégique du pays dans les services financiers, les défis de l’harmonisation des normes comptables en Afrique, la pénurie de talents et suggère de faire de Maurice un véritable pôle régional de formation et d’excellence pour les experts-comptables.
Le président de l’ICAEW, Derek Blair, et vous étiez récemment à Maurice pour récompenser 23 étudiants ayant brillamment réussi leurs examens ACA. Quelle est l’importance de Maurice au sein du réseau africain de l’ICAEW ?
Dans le monde, il y a environ 210 000 experts-comptables. En Afrique, environ 1 500, et Maurice en compte le plus grand nombre avec 500 membres. Maurice est donc un pays très important au sein du réseau ICAEW en Afrique. C’est un honneur que mon élection au Conseil de l’ICAEW – son instance directrice – assure la présence de l’Afrique au sein du Conseil, représentée par Maurice, pour plusieurs années. Le reste des experts-comptables est réparti sur le continent, principalement en Afrique du Sud, au Kenya, au Nigeria, au Zimbabwe, au Botswana et au Ghana.
Ce nombre élevé d’experts-comptables à Maurice s’explique par un secteur des services financiers florissant, qui représente directement environ 13% de l’économie mauricienne. Ainsi, la demande de ces compétences s’en retrouve stimulée. À l’échelle mondiale, Maurice est l’un des pays ayant le plus grand nombre d’experts-comptables par habitant.
De nombreux pays africains tentent d’harmoniser leurs normes comptables et de gouvernance avec les normes internationales. Quels progrès constatez-vous et quels sont les principaux obstacles à cette harmonisation ?
Il existe de nombreux organismes professionnels comptables, les Professional Accountancy Bodies (PAOs) en Afrique, par exemple le South Africa Institute of Accountants (SAICA), l’Institute of Chartered Accountants in Zimbabwe (ICAZ), le Botswana Institute of Chartered Accountants (BICA), l’Institute of Chartered Accountants Ghana (ICAG) et l’Institute of Chartered Accountants in Malawi (ICAM). L’ICAEW a aidé à la création ou à la reconstitution de PAOs tels que BICA (Botswana) et ICAM (Malawi). Ce travail a consisté à concevoir, ou à redéfinir, le cadre réglementaire et les systèmes, ainsi qu’à aider à la législation pertinente. Pour les qualifications professionnelles, l’ICAEW a contribué à développer le programme, les supports et l’infrastructure permettant aux PAOs de délivrer la qualification.
Concernant l’harmonisation des normes comptables à travers l’Afrique, nous avons collaboré et soutenu la Pan-African Federation of Accountants (PAFA) en tant qu’organisme régional, et avons également travaillé sur la réglementation, la qualité de l’audit et la formation portant sur les International Financial Reporting Standards (IFRS) dans des marchés spécifiques tels que le Kenya, le Ghana, le Nigeria et la Tanzanie. Tous les PAOs visent à renforcer les capacités et à réglementer les comptables afin de maintenir les normes les plus élevées de pratiques comptables, en cohérence avec les défis et tendances mondiaux. Cependant, certains défis subsistent, notamment le manque de professionnels qualifiés, une formation insuffisante et, dans certains cas, une infrastructure informatique inadéquate.
La pénurie de talents dans la finance, l’audit et la comptabilité demeure un obstacle majeur au développement dans certains pays africains, y compris Maurice. Comment peut-on résoudre ce problème ?
Il existe effectivement une pénurie de talents à Maurice et dans la région. Beaucoup d’experts-comptables qualifiés à Maurice, comme vous le savez, partent en Europe, par exemple au Luxembourg, à Malte, où leurs compétences sont très recherchées. À l’ICAEW, alors qu’auparavant les nouveaux experts-comptables devaient être formés au Royaume-Uni, les étudiants peuvent désormais être formés localement à Maurice auprès d’employeurs agréés; il y en a 27 à Maurice, principalement des cabinets comptables et autres institutions financières. Cela permet de générer une offre locale d’experts-comptables qualifiés.
Récemment, nous avons organisé une cérémonie de remise de diplômes, où nous avons admis les nouveaux experts-comptables mauriciens formés localement au sein de l’Institut. Dans le cas de Maurice, nous pouvons transformer cette pénurie de compétences en opportunité pour le pays. En accord avec la vision du gouvernement de créer des emplois et de favoriser l’innovation, nous pourrions envisager de devenir le pôle éducatif pour former des experts-comptables pour la région. Nous avons déjà de bons exemples d’étudiants africains qui choisissent Maurice pour y étudier. Pourquoi ne pas créer un centre de formation pour experts-comptables à Maurice ? Nous pourrions alors former des étudiants africains et contribuer à combler le manque de compétences dans la région.
De plus, pour faire face à la pénurie de compétences, il faut innover et utiliser la technologie à bon escient pour accomplir certaines tâches. L’analyse de données et l’IA peuvent aider à alléger la demande de main-d’œuvre pour certaines tâches. Encore une fois, nous pouvons envisager que Maurice devienne le centre d’excellence en IA pour la région.
Vous siégez au conseil d’administration de la MCB Ltd, institution systémique où la rigueur financière, la bonne gouvernance, la conformité et la gestion des risques jouent un rôle crucial. Quelles seront les prochaines étapes du développement du groupe sur le continent ?
Le Chief Executive Officer du groupe MCB, Jean Michel Ng Tseung, a récemment dévoilé la Vision 2030, un plan stratégique sur cinq ans, qui éclaire les ambitions de la MCB, tant pour ses marchés domestiques que pour le continent africain. La Vision 2030 repose sur trois piliers distincts, qui définissent clairement notre stratégie à l’horizon 2030. Ces piliers sont :
- Devenir un leader sur nos marchés domestiques, comprenant Maurice, les Seychelles, Madagascar et les Maldives;
- Se positionner comme une institution de premier plan en Afrique, dans les segments Corporate & Investment Banking (CIB) ainsi que le Private Banking; et
- Être un employeur de choix reconnu pour son excellence et son innovation.
Cette vision, étalée sur cinq ans, permet à la MCB de naviguer dans un monde en rapide évolution, grâce à une feuille de route pragmatique, tout en s’adaptant à un paysage économique en constante mutation.
Propos recueillis par Magali Frédéric.

