Je voudrais tellement te parler

Ce décembre est spécial. Il fait frais, le temps est incertain, et la ferveur de Noël n’a pas encore gagné les esprits. Les maisons hésitent encore à se réjouir, comme si elles attendaient un signe.

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Devant toutes ces suspensions, me prend soudain l’envie profonde de te parler. De m’asseoir tout près de toi, sur un banc, dans un jardin fleuri et luxuriant, à la tombée de la nuit, hors du bruit et de l’urgence, pour te parler de moi. Pour une fois. Sans détour, sans rôle à tenir.

Loin de moi l’idée de vouloir te confesser ma vie, mais plutôt celle de te parler à cœur ouvert, dans cette simplicité rare où les mots ne cherchent ni à convaincre ni à séduire. Encore moins à détruire. Je te le redis tout de suite : la nostalgie ne fait pas partie de mon quotidien. La raison en est bien simple : elle nous empêche de vivre et nous fait passer à côté de notre vie, en nous attachant à ce qui n’est déjà plus.

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Me voilà donc tout contre toi, et je voudrais te dire tant de choses qui me traversent, qui parfois s’entrechoquent même. Ce qui est fou, c’est que ces choses ne sont pas vraiment intimes, car elles traversent l’esprit de tant d’autres personnes. Nos vies à tous se ressemblent un peu, d’une certaine manière. Nous n’avons certes pas tous la même histoire, mais nos histoires à tous se tissent de bon et de mauvais, de complexité et de sérénité.

La vie m’a montré que la force n’est jamais constante et que certains silences ne sont pas de l’indifférence, mais une incertitude, un temps de retenue, une manière de laisser le temps au temps.

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Aussi, il arrive que les mots pèsent si lourd qu’ils semblent risquer de fragiliser ce qui tient encore. Alors on choisit de taire, de différer, de garder pour soi ce qui traverse. Non par calcul ni recul, mais par incapacité à trouver la justesse des mots et le moment propice pour les prononcer.

Dire les choses ne change peut-être rien, ou peut-être tout. Mais au moins, cela permettrait qu’elles existent hors de soi. Ce que l’on vit, ce que l’on traverse, ce que l’on devient mérite parfois d’être nommé, même lorsque personne ne répond.

Cette occasion qui se présente à moi, ici sur ce banc en bois d’Acacia, me permet d’évoquer avec toi mille et une choses. Toutes les raconter remplirait bien trop de pages. Je ne t’en dis donc que celles qui me viennent là, telles des feuilles prises au hasard dans un tourbillon et envolées jusqu’à mes lèvres. Sur elles se déposent les déceptions que l’on ne raconte pas, par discrétion ; les promesses que le temps a modifiées ; les rêves qui ont changé de forme, devenant plus sobres, parfois plus modestes, mais non moins essentiels. Il faut du courage pour accepter ces métamorphoses sans les vivre comme des échecs et sans regrets.

Je vois aussi qu’on essaie de voler à des pauvres gens des richesses qu’ils ne possèdent pas. En réalité, on veut voler leur joie et leur espérance, pensant qu’elles émanent du matériel. Pourtant, ces richesses que l’on veut dérober ne se détiennent pas et se donnent à l’infini.

Il y a aussi ces joies indescriptibles qu’il faudrait raconter. Des joies qui ne se manifestent pas par des rires éclatants ou des expressions bruyantes, mais par un sentiment profond de reconnaissance, quelque chose d’intense et de calme à la fois, posé, établi, serein. La joie la plus ultime restant la naissance d’un enfant, cette évidence fragile qui redonne au monde une promesse silencieuse.

Il y en a d’autres, loin de tous les rêves habituels, nées de terres lointaines sur lesquelles j’ai posé les pieds. Pas des cartes postales, pas des horizons lisses, mais des terres blessées. Des lieux marqués par la douleur, par les larmes et le sang, par l’histoire, par des cicatrices encore ouvertes pour certains peuples.

J’ai marché en Palestine, en Bosnie-Herzégovine et en Israël. Dans ces lieux, j’ai appris à regarder autrement. J’ai vu des visages fatigués, mais debout, des sourires et des regards qui espèrent toujours, envers et contre tout. J’ai aussi vu la paix et des visages sereins sur la rocaille et les collines de pierre.

Ces terres m’ont changée. Elles ont déplacé mes priorités, fissuré mes certitudes. Elles m’ont appris que la beauté peut naître dans la poussière, les ruines et les vestiges, et que la dignité survit même quand tout semble perdu. J’ai vu qu’il suffit parfois de la volonté et de la foi pour rebâtir, pour repartir.

En marchant sur ces sols meurtris, j’ai senti quelque chose se réparer en moi. Comme si, en allant si loin, je m’étais enfin rapprochée de ma terre intérieure, de ce que je suis.

Faut-il aller si loin pour se rapprocher ?

Ne sommes-nous pas, nous aussi, des terres abîmées, traversées de failles et de promesses ? N’y a-t-il pas des guerres et des conflits qui s’opposent en nous ?

Dans le désert en Égypte, j’ai compris que là où le silence est si vaste, il finit par répondre, dans une tranquillité presque pesante. L’aridité y est tenace, et chaque pas renvoie à soi, sans détour. Rien n’y distrait, rien n’y voile. Dans cette nudité du paysage, je me suis surprise à laisser venir des pensées sans but, des mots simples, mais insistants. Qu’est-ce que paraître, lorsque tout se dépouille ? Qu’y a-t-il de plus essentiel qu’être ? À quoi bon apparaître, si c’est pour disparaître sans avoir réellement existé ?

J’espérais te parler, mais la réalité est tout autre. Je ne peux qu’avoir l’illusion d’être assise à tes côtés puisque tu ne peux être là. Alors oui, j’écris, même si tu n’entends pas cette plume qui crie comme un appel.

Pour ne pas oublier. Pour ne pas me trahir. Et pour laisser une trace de ce que je n’ai pas su dire, mais que j’ai vécu, profondément.

 

 

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