Dans le cadre des recommandations du rapport tripartite sur la compensation salariale et la publication du rapport du Pay Research Bureau (PRB) Le-Mauricien a rencontré le ministre du Travail et de l’Emploi, Reza Uteem. Il commente la grogne syndicale, le risque de dégradation de la note souveraine par Moody’s, l’emploi des travailleurs étrangers et les réformes à venir du droit du travail. Le ministre du Travail revient sur les arbitrages économiques et sociaux de la fin d’année. Dans un contexte budgétaire contraignant et de transition politique, il défend une ligne d’équilibre entre justice sociale, soutenabilité financière et préparation des grands chantiers de 2026.
Vous terminez l’année sur les chapeaux de roues avec la compensation salariale et le rapport du PRB. Dans les deux cas, les syndicats se disent insatisfaits. Comment réagissez-vous ?
Lorsque j’ai pris mes fonctions ministérielles à la fin de l’année dernière, mon ministère a immédiatement présenté deux projets de loi majeurs. Ils concernaient la relativité salariale, afin de mettre un terme à un litige devant la Cour, ainsi que le paiement du 14ᵉ mois. On peut donc dire que nous avons commencé l’année sur les chapeaux de roues — et que nous la terminons de la même manière, avec la compensation salariale et le rapport du Pay Research Bureau (PRB).
Au-delà des chiffres, il faut comprendre que ces décisions s’inscrivent dans un contexte économique contraint, hérité d’une situation budgétaire fragile, tout en cherchant à préserver la cohésion sociale. Notre objectif a toujours été clair : protéger les plus vulnérables sans mettre en péril les équilibres macroéconomiques.
S’agissant de la compensation salariale, une série de réunions de travail a été organisée avec l’ensemble des représentants syndicaux et du patronat. Mon ministère a ensuite soumis un rapport, et le Premier ministre, en tant que ministre des Finances, a pris le relais. Il a rencontré à son tour les partenaires sociaux avant de présenter une proposition au Cabinet.
Après avoir écouté les experts du ministère des Finances, le Financial Secretary et les conseillers du Bureau du Premier ministre, le gouvernement a décidé d’octroyer une compensation salariale à tous les employés — du secteur public comme du secteur privé — percevant un salaire allant jusqu’à Rs 50 000.
Nous avons également consenti un effort important pour étendre cette compensation à l’ensemble des bénéficiaires des pensions : retraités, veuves, orphelins, ainsi qu’aux personnes âgées de plus de 60 ans bénéficiant d’un Income Support.
Et concernant le rapport du PRB, certains fonctionnaires ont affiché leur mécontentement… ?
Le PRB est une institution totalement indépendante qui soumet ses recommandations tous les cinq ans, après consultation avec des fonctionnaires et des syndicats. À chaque publication, on observe la même situation : certains sont satisfaits, d’autres moins.
Les personnes insatisfaites ont toujours la possibilité de faire des représentations. Très souvent, le PRB publie ensuite un rapport complémentaire, intitulé Errors and Omissions, afin d’ajuster certaines recommandations.
Après consultation avec le ministère des Finances et compte tenu de la situation économique et budgétaire, le Cabinet a décidé de mettre en œuvre 50 % des augmentations à partir du 1er janvier 2026, et 100 % à compter du 1er janvier 2027. Il s’agit là d’un choix de responsabilité, dicté par la nécessité de concilier justice sociale et soutenabilité financière.
Les syndicats contestent le taux d’inflation de 3,7 %. Est-il vraiment représentatif de la réalité ?
Le Bureau des statistiques est venu faire une présentation détaillée pour expliquer la méthodologie utilisée. En plus du taux d’inflation, il a présenté les chiffres du Household Budget, qui est passé de Rs 43 400 à Rs 45 000 pour une famille de deux adultes et deux enfants, avec deux personnes actives.
En moyenne, cela correspond à une hausse comprise entre Rs 650 et Rs 700, ce qui est cohérent avec la compensation salariale accordée. Il faut aussi rappeler que l’inflation est un indicateur composite : elle ne reflète pas l’évolution de chaque produit individuellement, mais une moyenne pondérée de la consommation des ménages.
J’ai entendu les revendications syndicales, mais en l’absence de données alternatives crédibles, nous devons nous baser sur les chiffres officiels. Si l’inflation a été contenue à 3,7 %, c’est aussi parce que nous avons stabilisé la roupie face au dollar, réduit les prix de l’essence et du diesel, injecté plus d’un milliard de roupies en subventions sur certains produits alimentaires et retiré la TVA sur des produits de base. Tout cela a contribué à limiter la hausse des prix, même si certains produits importés ont effectivement augmenté.
Comment allez-vous gérer la grogne syndicale à l’avenir ?
Depuis mon entrée en fonction, j’ai adopté une politique de porte ouverte. J’ai toujours été à l’écoute des syndicats comme des représentants patronaux. Le dialogue social reste, à mes yeux, l’outil central pour éviter les décisions unilatérales et préserver l’équilibre entre les attentes des travailleurs et les contraintes des entreprises.
Je comprends la déception de certains syndicats, mais la décision a été prise collectivement par le Cabinet, et j’en assume pleinement la responsabilité.
Les PME craignent de ne pas pouvoir absorber la hausse de la masse salariale. Le gouvernement est-il prêt à apporter un soutien dans ce sens?
Lors des réunions tripartites, les employeurs ont soulevé des préoccupations légitimes. Certains ont expliqué qu’ils devraient répercuter la hausse des salaires sur les prix. D’autres, notamment dans la construction ou le textile, ont indiqué que leurs contrats étant déjà signés à des prix fixes, ils ne pouvaient pas le faire.
Les PME ont également exprimé la crainte que cette augmentation affecte leur rentabilité, voire leur survie. Le ministère des Finances a pris l’ensemble de ces éléments en considération. Il ne servirait à rien d’augmenter significativement les salaires si, au final, ce sont les mêmes travailleurs qui en supportent le coût à travers une hausse généralisée des prix ou de nouvelles taxes.
C’est donc un exercice délicat d’équilibre entre le maintien du pouvoir d’achat et la viabilité des entreprises, qui appelle une responsabilité partagée entre l’État, les employeurs et les partenaires sociaux.
Les PME bénéficieront-elles d’un soutien spécifique ?
Oui, une attention particulière sera accordée aux PME, qui constituent le poumon de l’économie mauricienne. Un ministère leur est dédié et plusieurs Schemes existent déjà. D’autres mécanismes de soutien sont en cours d’élaboration pour les accompagner face à l’augmentation de la masse salariale.
Le risque de dégradation de la note de Maurice par Moody’s est-il réel ou exagéré ?
Ce risque est bien réel. Le Premier ministre et le Deputy Prime Minister ont rencontré les représentants de Moody’s, qui ont clairement indiqué que le danger d’un Downgrade persistait.
Un nouveau déclassement serait extrêmement grave : il compliquerait l’accès aux financements internationaux, renchérirait le coût de l’emprunt et freinerait l’investissement. Ce ne serait pas seulement un signal négatif pour les marchés, mais un frein concret au développement.
Il faut rappeler que sous le précédent gouvernement, Maurice a déjà été dégradée à trois reprises. Le ministère des Finances nous a clairement expliqué que si le PRB était appliqué à 100 % dès 2026, le risque de Downgrade serait réel. D’où le compromis trouvé : 50 % en 2026, 100 % en 2027.
Le PRB est souvent qualifié de « bombe sociale ». Partagez-vous cette analyse ?
Le PRB ne relève pas de mon ministère. C’est une institution indépendante. Il n’y a eu aucune ingérence politique, contrairement à ce que certains ont prétendu. Le Cabinet n’a ni modifié ni censuré les recommandations. Seule l’implémentation a été échelonnée.
Les fonctionnaires insatisfaits peuvent toujours ne pas signer l’Option Form ou faire des représentations.
Qu’en est-il du paiement d’un 14ᵉ mois ?
J’aurais souhaité que l’État puisse se permettre de payer un 14ᵉ mois. Malheureusement, les finances publiques ne le permettent pas. Je comprends néanmoins les attentes légitimes des travailleurs, surtout dans un contexte de hausse du coût de la vie.
Dans le secteur privé, certaines entreprises — notamment dans la banque et le tourisme — ont réalisé des profits records. J’espère qu’elles accorderont un bonus additionnel.
Vous lancez donc un appel aux entreprises ?
Absolument. J’ai toujours défendu l’idée que le travailleur est un atout, pas un coût. Un travailleur reconnu et justement rémunéré est plus motivé, plus productif, et contribue directement à la performance de l’entreprise et de l’économie.
Le nombre de travailleurs étrangers dépasse désormais les 50 000. Pourquoi ?
Il n’y a pas de plafond fixé. Cette hausse s’explique par la révision des critères d’éligibilité, suite aux recommandations d’un comité interministériel. Le système de quotas, qui pénalisait les PME, a été supprimé. Désormais, les entreprises peuvent recruter à l’étranger dès lors qu’elles démontrent l’impossibilité de recruter localement.
Cette réforme a également contribué à réduire le recours aux travailleurs étrangers en situation irrégulière.
Comment encadrez-vous ce recrutement ?
Avec l’appui de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), nous avons renforcé le cadre légal. Les travailleurs étrangers ne doivent plus payer pour venir travailler à Maurice. Les frais de recrutement sont désormais entièrement à la charge de l’employeur.
Nous négocions également des accords bilatéraux avec plusieurs pays, dont Madagascar, le Bangladesh, le Kenya, le Ghana et le Pakistan.
Le travail forcé à Maurice reste-t-il une préoccupation ?
Une seule entreprise mauricienne a été sanctionnée par les autorités américaines, sur la base de plaintes antérieures à mon entrée en fonction. Depuis, nous n’avons reçu aucune plainte de travail forcé.
Nous avons lancé un livret multilingue sur les droits des travailleurs migrants et mis en place une unité spéciale dédiée à leur protection. Nous serons intraitables envers les employeurs qui enfreignent la loi.
Existe-t-il un seuil à ne pas dépasser pour éviter un déséquilibre social ?
Aujourd’hui, même avec plus de 50 000 travailleurs étrangers, nous restons en dessous de 10 % de la population active. Les travailleurs étrangers ont les mêmes droits que les travailleurs mauriciens. J’ai demandé aux forces de l’ordre de se montrer fermes à l’égard des entreprises qui continuent à employer des travailleurs étrangers sans permis.
Au-delà d’un certain seuil, des risques peuvent apparaître. L’enjeu n’est pas le nombre en soi, mais la qualité de l’encadrement, des conditions de vie et le respect strict de la loi. La question de l’hébergement est centrale. Jusqu’à présent, les logements étaient principalement constitués de dortoirs liés aux employeurs.
Nous finalisons des réglementations pour mettre en place des dortoirs centralisés, répondant à des normes strictes. Pour les travailleurs domestiques, de nouvelles règles garantiront un logement décent, avec une prise en charge alimentaire ou un espace pour cuisiner dignement.
Les Mauriciens sont des enfants d’immigrants. La diversité fait partie de notre identité. Dans un contexte de vieillissement de la population, notre population active se rétrécit. De plus, la main-d’œuvre étrangère ne concerne pas uniquement les emplois manuels : nous avons besoin de professionnels qualifiés dans l’informatique, la finance, l’intelligence artificielle, l’économie bleue, les énergies renouvelables ou encore la biologie marine.
La main-d’œuvre étrangère est donc indispensable, à condition qu’elle soit bien planifiée et encadrée. C’est tout le sens de la Vision 2050, qui permettra d’orienter notre politique d’immigration vers les secteurs porteurs.
Vous avez également organisé les Assises du travail.
Effectivement, c’est une première. Elles répondent à nos engagements vis-à-vis de l’Organisation internationale du travail (OIT) et visent à renforcer le dialogue social. Cette approche de concertation doit permettre des réformes plus durables et mieux acceptées.
Une nouvelle loi du travail est donc en préparation ?
Oui. Plusieurs promesses électorales doivent être mises en œuvre : semaine de 40 heures, congé parental, amélioration des conditions de travail, révision du Workfare Programme et amélioration du règlement des conflits industriels. Un chantier important nous attend en 2026.
Quelles seront les priorités pour 2026 ?
Après le travail accompli sur l’emploi des travailleurs étrangers en 2025, l’accent sera mis en 2026 sur l’emploi local : amélioration du matching, réduction du skills mismatch et meilleur accès au marché du travail pour les chômeurs.
Nous développons également un logiciel basé sur l’intelligence artificielle pour connecter directement travailleurs et employeurs.
Vous êtes également président du MMM. Comment se passe la cohabitation au sein de l’alliance gouvernementale ?
Dans une alliance de quatre partis, les divergences sont normales. L’essentiel est de les dépasser pour travailler dans l’intérêt commun. Les partenaires partagent la même ambition : améliorer le sort des Mauriciens et assurer une croissance durable.
Le mot de la fin pour conclure l’année ?
L’année 2025 a été complexe, de nombreux ministres exerçant pour la première fois. Le principal frein a été le manque de financement, conséquence d’un héritage économique lourd après dix ans de régime MSM.
2026 sera l’année de la relance, avec de nouveaux investissements, des avancées dans l’énergie — notamment le LNG —, le lancement des travaux du barrage de Rivière-des-Anguilles, des progrès dans le secteur portuaire et un nouveau départ pour Air Mauritius et Airport Holdings.
Je suis convaincu que 2026 sera l’année des grands chantiers, au service d’une économie plus résiliente et d’un marché du travail plus juste et plus inclusif.

