BHEENICK – DUVAL : Le duel à distance

Le vice-Premier ministre et ministre des Finances, Xavier-Luc Duval, absent aux délibérations du conseil des ministres de vendredi mais qui a néanmoins été la cible de critiques sur le plan politique, est engagé dans un duel à distance à plusieurs niveaux au chapitre économique. Alors que les délibérations du conseil d’administration du Fonds monétaire international (FMI) de lundi dernier ont balisé les paramètres d’un ajustement fiscal qui s’annonce incontournable, un nouveau round dans la partie de bras de fer avec le gouverneur de la Banque de Maurice, Rundheersing Bheenick, se prépare déjà avec la réunion du Monetary Policy Committee de demain. Deux dossiers brûlants à l’ordre du jour, notamment les excédents de liquidité, qui sont passés depuis le début de cette année au-delà du seuil de Rs 11 milliards, et un ajustement à la hausse problématique du Repo Rate, bloqué à 4,65% avec la ligne adoptée par le Trésor public. La dernière édition de MCB Focus, publiée vendredi, est venue « cross the t’s and dot the i’s » en matière de National Agenda for Economic Reform dans la conjoncture.
Les délibérations du comité de politique monétaire (MPC) de demain s’avèrent cruciales dans le mano-à-mano entre le grand argentier et le grand patron à la Bank of Mauritius Tower, que ce soit sur le grave problème des excédents de liquidités qui ont des effets pervers dans le système ou encore l’insistance de la Banque centrale pour une majoration du Repo Rate. Depuis le clash frontal, avec la guerre des communiqués, entre le ministère des Finances et la Banque de Maurice en février, la situation n’a, semble-t-il, guère évolué, chacune des deux parties campant sur ses positions initiales.
Pas plus tard que lors de la dernière séance du Question Time de l’assemblée nationale le mardi 15, le vice-Premier ministre et ministre des Finances avait tenu à réfuter les accusations que les excédents de liquidités relèvent de la responsabilité du Trésor public suite, entre autres, à des manoeuvres pour des placements du National Resilience Fund dans le circuit bancaire. En réponse aux interpellations supplémentaires du député Kee Cheong Li Kwong Wing, il avait avancé que les fonds du National Resilience Fund sont de Rs 4 milliards et que « of this amount, some Rs 300 million only relate to deposits in commercial banks in Mauritius ».
Plus loin, comme pour mieux situer la responsabilité de la Banque centrale, Xavier-Luc Duval s’appesantira sur le fait que « the rest of the amount is either deposits at the Bank of Mauritius itself, where the taxpayer does not get a cent since 2009 » ou sous forme de placements à l’étranger, soit un montant de 92 millions de dollars. « If you look at the excess liquidity, I can give the figure, billions of rupees, Rs 11 billion as to date. Of course, it’s going to fall soon but the Rs 300 million is but a drop in the ocean », rajoute-t-il comme pour exonérer le ministère des Finances de tout blâme.
De son côté, le FMI reconnaît les répercussions néfastes de ces excédents de liquidités en affirmant dans son dernier assessment en date du 21 courant que « persistent excess liquidity in the banking system has hindered the monetary transmission mechanism, whilst also encouraging disintermediation and riskier lending. » Toutefois, le FMI a préféré jouer à Ponce Pilate en recommandant que « the autorities consider an approach to liquidity management involving additional issuance of government paper for monetary policy purposes and — more broadly — closer collaboration between the government and the Central Bank ».
Net ralentissement des crédits bancaires au secteur privé
De son côté, la cellule de stratégie du MCB Group, menée par Gilbert Gnany, Chief Strategy Officer, consacre dans la dernière édition de MCB Focus une analyse approfondie des Money Market Indicators et du bottomline sur les excédents de liquidité. « As highligthed by the IMF, the liquidity glut is presumed to have been a key contributor to the prevalence of the persistent disconnect between the interbank interest rate and the benchmark key Repo Rate », note le MCB Group en faisant état des effets sur les « market efficiency and resource allocation dynamics in the banking sector and the money markets ».
Avant d’identifier les différentes causes de ces excédents de liquidités, MCB Focus attire l’attention sur une autre zone d’ombre en révélant que, du mois d’avril de l’année dernière à ce mois, les soldes de trésorerie des banques (average cash balances) se montent à Rs 36 milliards, soit une progression de 40%. « More tellingly perhaps, if the mandatory balances as dictated by the Cash Reserves Ration are also taken into account, the average cash balances actually held by commercial bank at the Bank of Mauritius grew by around 40% over the year ending April 2014 to attain some Rs 36 billion », souligne Gilbert Gnany à la page 32 de ce document.
Le MCB Group arrive à la conclusion que les problèmes d »excès de liquidités découlent de deux principaux facteurs, en l’occurrence du niveau des activités au sein de l’économie et des « flows from outside ». Sur le plan d’économie intérieure, MCB Focus avance que, « given the sluggish investment trends, demand for credit by the private sector has slowed down. » Chiffres à l’appui, la MCB démontre un net ralentissement des crédits bancaires au secteur privé, passant d’un peu plus de 12% en février 2013 à moins de 9% en février dernier.
Un autre facteur influençant les excédents de liquidités se présente sous la forme des conséquences du Operation Reserves Reconstitution Programme, les « accelerated purchases of foreign currency and sales of rupee having not been adequately sterilised, thus possibly contributing to rising level of liquidity levels ». Ensuite, les placements dans le circuit bancaire effectués au nom des Special Funds créés par le gouvernement sont venus se greffer à cette équation bancaire déséquilibrée depuis le second semestre de l’année dernière.
Sur le plan externe, la MCB attribue le problème au surplus enregistré au niveau de la balance des paiements, passant de Rs 6 milliards en 2012 à Rs 16,6 milliards en 2013. Il y a encore le recours du gouvernement à des sources de financement du déficit budgétaire venant de l’étranger. « In terms of capital flows, it has been observed that the government has increased the foreign financing of its budget deficit », avance la MCB en révélant que les Public Borrowing Requirements de l’extérieur ont augmenté de 262,4% de 2012 à 2013, passant de Rs 3 milliards à Rs 10,8 milliards. Au cours de cette même période, les Domestic Public Borrowing Requirements étaient de Rs 6,9 milliards l’année dernière, soit une croissance de 65,3%.
« Threat to macroeconomic stability »
Le MCB Group met en garde contre une absence de décisions et de mesures pour redresser le problème des excédents de liquidités vu l’enjeu à différents niveaux. « If left unattended, elevated liquidity levels could represent a threat to macroeconomic stability at multiple echelons and, thence, to the future economic growth of Mauritius », avance MCB Focus, qui évoque également des effets néfastes sur la profitabilité du secteur bancaire en général.
Mais plus important encore est que cette analyse apporte de l’eau au moulin de Manou Bheenick. On se rappelle son mantra sur les risques de dérapage de l’inflation pour justifier un ajustement à la hausse du Repo Rate et cela depuis bientôt une année et en vain. « From a nationwide perspective, the abundance of liquidity could trigger higher risks of inflation for the country going forward, even if pressures on that front are currently manageable », ajoute la MCB en faisant un appel que « all in all therefore, the persisting liquidity conditions in the country call for judicious solutions, underpinned by strong and properly-calibrated collaboration involving all the relevant stakeholders ».
À ce stade, difficile à dire si le Chief Strategy Officer du MCB Group aura plus de chances de convaincre la majorité des membres du Monetary Policy Committee que le chef de mission du FMI, Martin Petri, qui était le Chief Guest de la dernière réunion de cette instance au début de février. Martin Petri avait tenu quasiment le même discours que Gilbert Gnany, mais aucun changement notable n’a été signalé dans cette guerre des tranchées entre le ministère des Finances et la Banque centrale.
Il est des plus évidents que pour la quatrième fois consécutive depuis la réunion du MPC du 17 juin 2013, le gouverneur de la Banque de Maurice reviendra à la charge avec une proposition pour majorer le Repo Rate. Jusqu’ici, dans cet affrontement par éléments interposés entre Xavier-Luc Duval et Bheenick, l’establishment de la Banque centrale a été mis en minorité par des membres externes.
Si un ajustement du Repo Rate est finalement consenti, quel sera le quantum qui sera convenu ? Impossible d’avancer un chiffre, même si les plus perfides des observateurs de la scène économique trouvent qu’une hausse symbolique et minimale de 10 points pour porter le Repo Rate à 4,75% n’est nullement à écarter dans le rapport des forces entre stakeholders. Mais ce scénario est-il suffisant pour satisfaire des egos des uns et des autres compte tenu des récriminations intervenant à la fin des précédentes réunions.
Le résultat de cette nouvelle confrontation pourra être consulté sur le site web de la Banque de Maurice à 18 heures demain, à moins que le MPC ne joue les prolongations, comme ce fut le cas le 3 février dernier…

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