Hamada Madi ( secrétaire général de la COI) : « Notre voix est mieux entendue, mieux comprise »

Le Comorien Hamada Madi termine son mandat de secrétaire général de la Commission de l’océan Indien (COI) le 15 juillet prochain. Il passera le flambeau la semaine prochaine au Réunionnais Vêlayoudom Marimoutou. Après quatre années à la COI, l’heure est au bilan. « La COI a une voix particulière, elle agit en terres fraternelles et sa voix est, sans doute, mieux entendue, mieux comprise », soutient Hamada Madi.

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Lorsque vous avez pris les fonctions de secrétaire général de la COI, vous disiez faire des questions de sécurité la priorité de votre mandat. Pari gagné ?
Je le crois, oui ! J’avais effectivement choisi de placer les questions de sécurité au cœur de mon mandat à la COI. C’est certainement dû à mon parcours au service de l’État comorien, que ce soit à la présidence, à la primature et, plus encore, au ministère de la Défense que j’ai dirigé plusieurs fois. Mais quand j’évoque les questions de sécurité, je vais au-delà de la seule « sécurité sécuritaire ». Je pense à la sécurité climatique, sanitaire, alimentaire, économique. J’ai souhaité mobiliser nos États membres autour des grandes thématiques de notre temps dans le souci de répondre aux préoccupations de nos populations qui aspirent à la sérénité et à l’épanouissement économique et social, tout en respectant les équilibres écologiques.

Sur le front sécuritaire, quels ont été vos principales réalisations ?
Je ne dirais pas les miennes mais les « nôtres ». Mon bilan est celui d’un legs de mes prédécesseurs, et plus particulièrement de mon prédécesseur immédiat, Jean-Claude de l’Estrac qui m’a remis les clés d’une Maison revigorée fourmillant de projets structurants pour le devenir de notre région. Et mon bilan est aussi, bien entendu, le bilan d’un jeu collectif avec les équipes du secrétariat général qui travaillent au quotidien et avec acharnement à l’avancement de la coopération régionale, avec les représentants de nos États membres qui fixent le cap et s’impliquent activement et avec nos partenaires qui accompagnent notre action, la soutiennent, l’amplifient. Cela dit, sur le front sécuritaire, je pense surtout à la sécurité maritime. La COI, avec le soutien de l’Union européenne à travers le programme MASE et aussi avec l’implication de Maurice qui a occupé deux ans durant la présidence de notre organisation, a réussi le pari de mobiliser les principaux acteurs régionaux et internationaux autour de cette thématique. La sécurité en mer, c’est la sécurisation du commerce, du tourisme, des sociétés, des écosystèmes. Nos pays n’ont pas les moyens, seuls, d’assurer la surveillance et le contrôle de leurs vastes zones maritimes. La coopération est l’un des moyens les plus sûrs d’obtenir des résultats. Concrètement, la COI a créé une architecture de sécurité maritime régionale adaptée aux besoins de nos États. Deux accords régionaux ont été signés par sept États de la région (ndlr : Maurice, Comores, Madagascar, France, Seychelles, Kenya et Djibouti), l’un portant sur l’échange de l’information maritime et l’autre sur la coordination d’actions conjointes en mer. Deux centres régionaux de fusion de l’information maritime à Madagascar et de coordination de l’action en mer aux Seychelles ont été créés et fonctionnent avec des officiers de liaison internationaux. À cela s’ajoute un accompagnement de la COI auprès des États pour qu’ils disposent des capacités minimales de sécurité maritime. Dans le cas de Maurice, la COI a encouragé le développement d’une stratégie nationale et la coordination entre les agences de l’État.

La sécurité, c’est aussi la stabilité politique. Quelle a été votre action politique et diplomatique dans le domaine ?
C’est l’une des missions premières de la COI. Hélas, la COI ne dispose pas, aujourd’hui, de ressources pour répondre aux sollicitations de ses États membres. Malgré cela, la COI a répondu présente aux scrutins nationaux à Madagascar et aux Comores grâce à l’implication concrète de la présidence du Conseil des ministres d’alors occupée par le vice-président des Seychelles. Il a dirigé des missions d’écoute et de dialogue en amont des élections nationales qui ont permis à la COI de mobiliser des équipes réduites d’observateurs et de dialoguer avec l’ensemble des partenaires internationaux. La COI a une voix particulière, elle agit en terres fraternelles et sa voix est, sans doute, mieux entendue, mieux comprise. Cela dit, il faut aller au-delà des interventions en périodes électorales. Je crois fermement aux vertus de la diplomatie parlementaire, et donc au rôle que doit jouer l’Association des parlementaires des pays membres de la COI. Je me suis personnellement investi dans le plaidoyer pour un rôle accru de la COI dans le domaine. Et je tiens à remercier l’AFD qui a indiqué son intérêt à soutenir la COI et ses États membres dans la promotion de la stabilité à travers un projet paix, stabilité et gouvernance.

Quels ont été les autres temps forts de votre mandat ?
Ils sont nombreux ! Vous savez, la COI intervient dans un large éventail de secteurs et même dans des domaines qui n’étaient pas prévus par notre texte fondateur, l’Accord de Victoria de 1984. La COI conduit des projets et des actions dans les domaines de la paix et de la stabilité, de la promotion du genre, de la santé, de la connectivité, de l’entrepreneuriat, des pêches, de l’environnement, des énergies, de la culture… Les réussites sont nombreuses même si elles ne sont pas aussi tangibles ou visibles que les citoyens de nos pays le souhaiteraient. Par exemple, la COI accompagne le renforcement des capacités de ses États membres pour l’élaboration et le suivi de politiques publiques en matière environnementale, elle soutient les États dans les négociations climatiques, elle facilite l’échange d’expertises et d’expérience ou encore mobilise les partenaires au développement autour d’actions régionales. Ce sont des résultats importants mais qui ne sont pas des ponts, des routes, des aéroports. Mais ils permettent à nos États de renforcer leurs capacités internes et aussi de mieux répondre aux engagements internationaux comme l’Accord de Paris sur le climat.

La COI ne fait donc que dans le “soft”, les politiques publiques ?
Bien sûr que non ! Elle a des actions concrètes, des résultats bien tangibles. Je pense au câble à très haut débit METISS qui est en cours d’installation entre Maurice, La Réunion, Madagascar et l’Afrique du Sud. Ce sera le câble le plus puissant de la région ! C’est un projet initié et accompagné par la COI qui s’est concrétisé grâce à six opérateurs des télécommunications qui ont investi près de 40 millions d’euros (ndlr : Emtel et CEB Fibernet de Maurice, Telma de Madagascar, Canal+, SFR et Zeop de La Réunion). C’est une infrastructure moderne, ouverte et partagée qui participera à la croissance, à la relance économique, à la démocratisation de l’accès à l’Internet. Quel beau résultat de la COI ! Et il y a bien d’autres résultats comme le prix Indianocéanie que nous avons organisé en 2018 et 2019 avec l’OIF, le département de La Réunion et BlueSky. Deux lauréats ont été récompensés, le Malgache feu Jean-Pierre Haga Andriamampandry et la Mauricienne Davina Ittoo qui a, en plus, reçu une édition commerciale de son roman. Il y a aussi, dans le domaine des énergies, de nombreux projets concrets, au plus près des populations qui ont reçu des cofinancements du programme ÉNERGIES financé par l’UE. Des solutions abordables d’énergies durables ont permis d’apporter l’électricité à des milliers de foyers dans les zones rurales de Madagascar, de remettre des centaines de cuiseurs autonomes et des distillateurs d’ylang-ylang à foyers économes à des ménages des Comores. À Rodrigues, la COI et l’UE ont cofinancé l’unité de dessalement d’eau de mer qui permet d’alimenter en eau potable 2 400 personnes grâce au solaire.

Vous donnez des exemples concrets. Qu’en est-il dans le domaine de la santé au moment où le monde affronte la pandémie de Covid-19 ?
La COI est sur le front ! Elle porte une action collective au bénéfice de ses États, je le redis. Aussi, notre unité de veille sanitaire, qui coordonne le réseau SEGA One Health pour surveillance des épidémies et gestion des alertes, a élaboré un plan d’urgence en deux temps. Dès février, la COI a établi un plan d’urgence de 500 000 euros qui a été complété d’un plan de riposte conséquent de 4 millions d’euros Je tiens ici à souligner l’appui, la réactivité et l’esprit de partenariat de l’AFD qui finance notre action en santé publique. C’est grâce à elle et à son initiative « Santé en commun » que la COI peut répondre au mieux aux besoins matériels, d’expertises ou de formation de ses États. À cela s’ajoutera bientôt un soutien additionnel de l’Union européenne de l’ordre de 9,3 millions d’euros aux actions du réseau SEGA One Health qui réunit 250 professionnels de santé humaine, animale et environnementale de nos États et qui est notre sentinelle, notre bras santé. Car au-delà de la Covid-19, il faut continuer à surveiller et agir face aux autres maladies, comme la dengue.

Que contiennent les plans d’urgence de la COI ?
Nous avons demandé à nos États de nous faire parvenir la liste de leurs besoins. Il s’agit de répondre de manière complémentaire aux actions prises au niveau national et aux soutiens des autres partenaires. Concrètement, nous avons passé commande de matériel de surveillance, comme des caméras thermiques, des thermomètres, ainsi que des équipements de diagnostic, les fameuses plateformes PCR et les kits de tests, des équipements de protection ou encore des médicaments, des ambulances pour la prise en charge, des respirateurs, des unités de suivi des patients… Les équipements sont nombreux, diversifiés et répondent aux besoins communiqués par nos États membres. À Madagascar et aux Comores, nous allons également soutenir la mise en place de centres d’isolement. Il nous reste à travailler sur le plan d’acheminement dans un contexte tendu et de concurrence face à la forte demande. La COI et son réseau SEGA One Health restent pleinement mobilisés. Il ne faut aucun relâchement car, on le constate, la maladie reste bien présente.

Qu’en est-il de la relance socio-économique ?
Le 5 juin dernier, le ministre des Affaires étrangères des Comores, notre président en exercice, a convoqué une session extraordinaire du Conseil des ministres de la COI. À cette occasion, nous avons reçu pour mandat d’élaborer un plan de relance en soutien à nos États. Le secrétariat général a identifié plusieurs axes pour une action collective car c’est l’essence de notre coopération, une action solidaire avec une authentique valeur ajoutée régionale. Nous avons commencé les discussions avec nos membres observateurs et nos partenaires. D’ores et déjà, nous proposons, lorsque cela est possible, de réorienter certaines de nos activités dans une logique de relance post-Covid. C’est dans cet esprit que l’on doit penser, par exemple, le démarrage du projet Entrepreneuriat et coopération commerciale financé et mis en œuvre par l’Union européenne qui disposera, notamment, d’une ligne de crédit de 3 millions d’euros au bénéfice des femmes et des jeunes entrepreneurs et des PME portant des solutions écologiques. Nous réfléchissons à la relance du comité des aviations civiles de nos États membres pour penser, cadrer et dynamiser le secteur aérien régional. C’est aussi sur le maritime qu’il faudra agir en repensant les filières d’échanges, en privilégiant les circuits régionaux et cela soulève aussi la question de la sécurité alimentaire et de la capacité de produire dans la région pour la région, notamment grâce au fabuleux potentiel de Madagascar. En fait, toute notre action constitue un soutien à la reprise. En parallèle, nous devons continuer notre travail de fond pour répondre aux enjeux structurels comme le changement climatique. D’ailleurs, une nouvelle génération de projets démarrera avec le soutien de l’AFD, du FFEM, de l’UE ou encore du Fonds vert pour le climat. Il y aura du “soft” comme vous dites et aussi de la recherche, des projets pilotes de restauration côtière en privilégiant des solutions basées sur la nature ou encore des projets d’économie circulaire.

Quel est le poids de la COI au niveau régional et international ?
La COI porte une voix unique. Elle est la seule organisation insulaire d’Afrique. Elle porte même la voix des autres îles africaines. C’est dire le rayonnement de notre COI ! Il ne fait aucun doute que la COI a gagné en visibilité. Elle est un acteur crédible, un acteur central du paysage politique et diplomatique régional. J’en veux pour preuve l’intérêt marqué de la communauté internationale. La COI entretient des relations avec une dizaine de partenaires internationaux et plus d’une trentaine de partenaires techniques dans la région. Elle accueille, depuis mars 2020, sept membres observateurs. L’Inde, le Japon et l’Organisation des Nations unies ont rejoint la Chine, l’UE, l’OIF et l’Ordre de Malte dans la famille des observateurs. Vu autrement, la COI compte en son sein deux membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, des puissances économiques, la mère de toutes les organisations et des acteurs internationaux de premier plan. Cela témoigne du rayonnement de la COI et aussi de son poids en tant qu’organisation de proximité qui porte une voix qui compte dans le dialogue régional et auprès de la communauté internationale.

Quels sont les autres grands changements opérés durant votre mandat ?
C’est l’évolution de la COI. Nos États ont réaffirmé dans la Déclarations de Moroni sur l’avenir de la COI en août 2019 leur volonté d’approfondir leur coopération et de moderniser leur outil, la COI. Nous avons enclenché, avec l’implication directe de nos États et l’accompagnement de l’UE à travers le projet INCA un mouvement profond de modernisation institutionnelle et fonctionnelle qui a abouti en mars dernier aux Seychelles à la signature de l’Accord de Victoria révisé. C’est notre texte fondateur mis à jour, en phase avec la pratique d’une coopération diversifiée et porteuse de résultats. Les Comores ont été les premiers, dès le mois de juin, à ratifier ce nouvel Accord. J’ai hâte que les autres États ratifient à leur tour cet Accord pour son entrée en vigueur d’autant qu’il institutionnalise le Sommet des chefs d’État et de gouvernement qui seront ainsi appelés à jouer un rôle direct dans la politique régionale mise en œuvre par la COI. C’est ici un grand chantier qui a débuté avec mon prédécesseur, Jean-Claude de l’Estrac, fervent défenseur de notre communauté indiaocéanienne. Et c’est un chantier qui se poursuivra avec mon successeur, Vêlayoudom Marimoutou à qui il reviendra d’organiser le prochain Sommet et d’achever ce chantier institutionnel et fonctionnel. Je suivrai cela avec un grand intérêt.

Le sommet des chefs d’État n’a pu avoir lieu en raison de la pandémie. C’est un regret ?
Oui, je dois le dire. Évidemment, il ne pouvait être question d’organiser un Sommet des chefs d’État et de gouvernement dans la situation actuelle. Le Conseil des ministres de la COI a convenu d’un report du Sommet prévu de se tenir à Madagascar. Pour le juriste et le diplomate que je suis, le Sommet des chefs d’État et de gouvernement est plus qu’un rendez-vous, c’est un acte politique fort, un temps de réflexion et de prospective pour fixer le cap de la politique régionale sur cinq ans, ou plus. Où que je sois, je porterai un œil et une oreille attentive à ce Sommet de la COI.

Avez-vous des regrets, des projets que vous n’avez pu accomplir ?
Je ne suis pas homme à avoir des regrets. J’ai cherché à remplir mes fonctions au mieux de mes capacités, dans un esprit de dialogue constant. Je partirai avec le sens du devoir accompli, avec la tête et le cœur pleins de souvenirs.

Et demain ?
Dans l’immédiat, je suis secrétaire général jusqu’au 16 juillet. Je rentrerai ensuite aux Comores où je rendrai compte de ma mission à la tête de la COI au président du Conseil des ministres de la COI, le ministre des Affaires étrangères des Comores. Pour la suite, je m’en remets à mon Créateur !

 

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