Arvin Boolell, ex-ministre des affaires étrangères : « Maurice n’est pas et ne doit pas devenir “a little india” »

Notre invité de ce dimanche est le Dr Arvin Boolell, ex-ministre des Affaires étrangères et parlementaire travailliste. Dans la première partie de l’interview, il aborde le dossier Agalega et le deal secret du gouvernement de Maurice avec celui de l’Inde. Pour suivre, il répond à des questions sur divers sujets, dont la situation des partis de l’opposition depuis que l’entente a volé en éclats.

- Publicité -

En tant qu’ex-ministre des Affaires étrangères, que savez-vous du dossier Agaléga et du deal avec l’Inde que les Mauriciens ignorent ?
— Je voudrais d’abord rappeler que Sushma Swaraj, l’ex-ministre des Affaires étrangères de l’Inde, s’était prononcée, lors d’une visite à Maurice en juin 2018, pour une des grandes valeurs démocratiques : le droit du citoyen à l’information. Elle avait déclaré que sur le dossier Agalega, « disclosure of information is not a n issue ». Mais les gouvernements du MSM à chaque fois qu’ils ont été questionnés au Parlement sur ce dossier, ont refusé de répondre ou ont répondu à côté. Quand, lors d’un débat sur le budget, j’avais demandé si Agalega était liée aux prêts et aides indiens, SAJ, alors Premier ministre, avait été très irrité par ma question. Lors d’un débat de l’Indian Ocean Rim Organisation, j’avais déjà dit que l’intégrité territoriale de la République de Maurice, qui est inscrite dans la Constitution, ne peut être remise en question. Le gouvernement MSM a toujours laissé entendre que l’Inde allait utiliser Agalega comme « a place » pour pouvoir collecter des informations sur le trafic maritime dans cette région du monde, pas comme une base militaire. Mais ce que le gouvernement mauricien a refusé de révéler, des journalistes indiens l’ont fait dans des articles et des vidéos ces dernières semaines : Agalega est en train d’être transformée en base militaire.
Quel était le deal avec l’Inde sur Agalega quand le Parti travailliste était au pouvoir à Maurice ?
— Il n’y a jamais eu de deal entre l’Inde et Maurice sur Agalega quand le PTr était au pouvoir et protégeait l’intégrité territoriale de la république. Et ce, malgré le fait que l’Inde portait un intérêt sur Agalega depuis bien longtemps. J’ai participé, en 2013, à une réunion ministérielle en Inde pour discuter du double treaty agreement où la question a été évoquée, mais Maurice n’a rien accepté, rien cédé.
Vous voulez dire que l’Inde a lié l’accord du double treaty agreement à la question d’Agalega ?
— Le sujet, qui n’était pas à l’ordre du jour, a été évoqué lors de ces discussions et Maurice a catégoriquement refusé, en soulignant qu’il s’agissait de questions séparées. Je dois dire que cette question, même si elle ne figurait pas à l’ordre du jour, a toujours été présente dans les discussions avec l’Inde. Mais à aucun moment, le PTr n’aurait accepté de concéder une partie du territoire mauricien pour l’établissement d’une base militaire par un pays étranger.
Je suppose que le souvenir de Diego Garcia était pour quelque chose dans l’attitude du PTr. Que s’est-il passé quand le PTr n’a plus fait partie du gouvernement ?
— Après, avec le retour au pouvoir de Narendra Modi, la politique étrangère indienne a changé. L’Inde considère désormais que l’océan Indien est son territoire privilégié, d’où le slogan India’s Ocean. Avec la montée en puissance de la Chine dans la région, l’Inde a négocié des traités de défense avec les États-Unis. Il ne faut pas oublier que 60% des activités marchandes maritimes — dont le transport du pétrole — du monde transitent dans la région, surveillées par les grandes puissances. Il faut donc penser à cette question en tenant compte des équilibres géopolitiques et stratégiques des uns et des autres.
Est-ce que, selon vous, il existe un accord — un deal — entre les gouvernements mauriciens et indiens sur Agaléga ?
— Oui. Je pense qu’il y a un accord que le gouvernement mauricien refuse systématiquement de rendre public. On ne peut pas construire une base navale ou militaire sur un territoire étranger sans avoir signé un accord — un lease — avec le pays en question. Les reportages des journaux indiens révèlent que l’Inde est en train de construire un aéroport pour accueillir plus que de petits avions et un port en eaux profondes. L’Inde assure que sa présence dans la région est importante dans le cadre de la lutte contre la piraterie, le terrorisme et la pêche illégale. Est-ce que les infrastructures en construction sur Agalega seront utilisées par d’autres pays de la région ou uniquement par l’Inde ?
Selon vous, est-ce que le deal secret sur Agalega est une sorte de contrepartie des aides et prêts — notamment pour le métro — que Maurice a récemment obtenus de l’Inde ?
— Tant que le gouvernement mauricien ne révélera pas les clauses de l’accord, je suis obligé de répondre oui à cette question. Par ailleurs, expliquez-moi comment nous pouvons, d’une part, nous battre pour notre intégrité territoriale dans le cas de Diego Garcia devant les instances internationales et, d’autre part, garder secret des Mauriciens le deal avec l’Inde sur Agalega ? J’aime et je respecte l’Inde, mais le dis fermement : Maurice n’est pas et ne doit pas devenir a little India. Je privilégie les liens historiques géographiques, culturels et religieux que nous avons avec l’Inde, mais nous ne sommes pas « a small State of India », mais un pays souverain, comme le dit notre Constitution. Devant les institutions internationales, l’Inde et Maurice ont chacun une voix égale. Nous ne pouvons pas devenir un instrument de la politique de l’actuel gouvernement indien.
Nous avons parlé des îles Agalega, parlons maintenant de leurs habitants. Depuis quelques années, il est impossible pour une Agaléenne d’accoucher dans l’archipel. Est-ce que cela procède d’un calcul s’inscrivant dans le deal secret ?
— C’est une question qui doit être posée. C’est vrai que les ressources sont limitées dans l’archipel à cause de l’éloignement géographique. Mais Agaléga fait non seulement partie du territoire mauricien, mais fait également partie de la circonscription électorale Numéro 3. Par conséquent, les Agaléens ont droit à tous les droits dont bénéficient tous les autres citoyens de la République de Maurice.
Est-ce qu’il existe une tension entre les Agaléens et les travailleurs indiens qui construisent actuellement les infrastructures sur l’archipel ?
— Pas à ma connaissance, même si du jour au lendemain, les Agaléens se retrouvent avec des travailleurs étrangers aussi nombreux qu’eux dans leur archipel. Mais par contre, les Agaléens vivent dans un climat d’incertitude quant à leur avenir et celui de leurs enfants. Ils ont besoin de réponses à ces questions. Les Mauriciens d’Agaléga ne peuvent pas être traités comme des citoyens de deuxième classe.
Est-ce que ceux qui pensent qu’Agalega pourrait devenir à terme pour les Indiens ce que Diego Garcia a été – et reste – pour les Américains exagèrent ?
— Cette question, qui a une dimension politique, diplomatique, économique et sociale, est légitime, restera posée et va inquiéter aussi longtemps que les conditions du deal entre l’Inde et Maurice sur Agalega ne seront pas rendues publiques.
Restons en Inde, mais changeons de sujet. Des craintes ont été exprimées sur la qualité du Covaxin, le vaccin dont des doses ont été offertes par l’Inde à Maurice. Qu’en pensez-vous ?
— J’ai été un des premiers à dire que tant qu’un vaccin n’a pas passé et réussi la troisième phase des tests cliniques, son efficacité peut être mis en doute, même s’il est homologué par l’OMS. Ce n’est que quand le Covaxin a passé ce cap que je me suis fait vacciner. Puisque nous parlons de vaccins, j’espère que Maurice va soutenir à l’OMC la proposition faite par l’Inde, l’Afrique du Sud, les États-Unis et une soixantaine de pays pour lever les droits de propriété intellectuelle sur les vaccins afin de faire vacciner le plus grand nombre d’êtres humains, surtout ceux des pays pauvres, et bloquer le coronavirus !
Le récent retour des travailleurs indiens à Agaléga et à Maurice a provoqué beaucoup de réactions…
— Je comprends ces réactions des Mauriciens dans le contexte de la Covid et du variant indien. Je pense que Maurice a pris un grand risque, mal calculé, en laissant entrer les 200 travailleurs indiens à Agalega. J’espère que les Agaléens ont ou seront vaccinés et que de strictes mesures de protection sanitaire ont été prises et sont respectés dans l’archipel. Par ailleurs, je comprends qu’une pression a été exercée pour l’arrivée d’un autre contingent de travailleurs indiens, mais que le gouvernement n’a pas cédé face aux réactions négatives des Mauriciens. Dans l’ensemble, le dossier vaccination a été mal géré quand on se rend compte que nous n’avons vacciné que 11% de la population, que tous les frontliners et les populations à risques n’ont pas été vaccinés et qu’on n’est pas sûr d’obtenir le nombre de vaccins nécessaires pour la poursuite de l’opération vaccination de 60% de la population.
Concluons cette partie de l’interview consacrée aux relations entre l’Inde et Maurice par la question suivante: êtes-vous conscient que vos questions et prises de position vont vous faire qualifier de participant à une campagne d’India bashing à Maurice ?
— Cela a été déjà dit. Je le répète : je reconnais les liens, très forts, historiques, culturels, sociaux et religieux qui unissent Maurice et l’Inde. Mais en même temps, nous sommes deux États indépendants et je suis, d’abord et avant tout, un citoyen de la République de Maurice qui défend les intérêts et l’intégrité territoriale de son pays. Comme devraient le faire tous les Mauriciens.
Pourquoi est-ce qu’en tant qu’ex-ministre des Affaires étrangères, champion de la transparence, vous refusez de dire pour quelle raison l’ambassadeur Phokeer a été rappelé d’Égypte en 2004 ?
— Je n’étais pas ministre des Affaires étrangères quand Phokeer a été nommé en Égypte. J’ai entendu des on-dit… Je sais que Phokeer est rentré à toute vitesse, qu’il y a eu des discussions entre Bérenger et SAJ qui lui ont permis d’être recasé au ministère de l’Agriculture, alors dirigé par Bodha.
Vous ne répondez pas à la question. Pourquoi a-t-il été rappelé ? Je suppose qu’au ministère des Affaires étrangères il y a des dossiers sur les mouvements des diplomates que le ministre peut consulter ?
— C’est une bonne question. Je n’ai pas vu de dossier sur cette affaire, mais je ne suis pas en train de dire qu’il a disparu. Je l’ai demandé et je ne l’ai pas obtenu, avec une réponse très diplomatique. Tout ce que je peux vous dire, c’est que quand un ambassadeur ne respecte pas les règlements de la convention de Vienne et commet une bavure diplomatique, il est rappelé dans son pays.
Arrivons-en maintenant aux relations entre les partis de l’opposition. Pourquoi est-ce qu’au lieu de faire une plainte conjointe contre le Speaker et le Premier ministre dans l’affaire dite « persona non grata », vous avez choisi de faire cavalier seul en Cour suprême ? À cause de la cassure de l’opposition ?
— Je me suis laissé guider par mes hommes de loi, qui m’ont conseillé une plainte séparée dans le cadre d’une même action légale. Quand je suis entré au Parlement en 2018, une de mes premières déclarations a été de proposer de fédérer les partis de l’opposition. Mais fédérer ne veut pas dire faire une coalition des forces de l’opposition…
Ou une alliance de l’espoir…
— (Rires)… ou du désespoir… fédérer dans ce cas veut dire se retrouver autour des idées, élaborer des stratégies pour passer à l’offensive face au gouvernement, mais chaque parti conservant son autonomie. Nous avons travaillé en ce sens après les élections de 2019 quand je suis devenu leader de l’opposition. Par la suite, nous avons élargi le travail du groupe parlementaire pour créer une rencontre extraparlementaire en incluant Bhadain et Bruneau Laurette. Nous avons bien travaillé, mais il y avait des sujets sensibles concernant les partis politiques. Après la marche citoyenne de Port-Louis, j’ai senti un recul, puis Bodha est arrivé dans l’opposition et les données ont changé…
Et Bérenger et Duval, en présence de Bhadain, ont fait savoir qu’ils ne voulaient pas de Ramgoolam comme leader de l’alliance de l’opposition pour les élections de 2024. Déclaration qui a conduit à la création d’une opposition dans l’opposition…
— Vous savez, il y a autant d’oppositions dans le gouvernement que dans l’opposition ! Mais dans l’affaire persona non grata, face aux réactions disproportionnées du Speaker, l’opposition s’est naturellement mobilisée et a condamné l’attitude du Speaker, du Premier ministre et de la majorité. Le MMM et le PMSD ont trouvé qu’ils avaient la majorité numérique pour changer de leader de l’opposition, tant mieux pour eux, même si je pense avoir été traité de manière cavalière dans cet épisode. Ce qui est important, c’est le travail de l’opposition contre le gouvernement et pour le pays, chaque parti gardant son autonomie. Nous faisons face à des « issues » fondamentales comme la pandémie, la crise économique et sociale, un gouvernement qui navigue à vue et n’a aucune stratégie de sortie des crises et vous voulez qu’on discute de qui sera leader d’une éventuelle et hypothétique alliance en 2024 ?
C’est pourtant cette question qui a poussé l’opposition au divorce !
— Comment peut-il y avoir divorce s’il n’y a pas eu de mariage ? Ce qui est important, c’est que nous avons un Premier ministre qui vient dire au Parlement qu’il préside un high level committee qui a dépensé plus de Rs 14 milliards et qu’il pas de compte à rendre sur les allocations de contrats ! Des contrats alloués aux petits copains en toute opacité, alors que le pays était en confinement sanitaire ! Le directeur de l’Audit à qui on refuse des dossiers pour faire son travail ! Tout comme pour le deal avec l’Inde pour Agalega, le Premier ministre doit révéler comment des milliards ont été dépensés pendant le premier confinement. Dans les deux cas, si le Premier ministre ne donne pas des explications, personne ne pourra empêcher les Mauriciens de penser que lui et son gouvernement ont fauté, qu’ils protègent des corrompus, comme j’ai eu l’occasion de le dire au Parlement. Il s’agit d’une mafia, de blanchiment d’argent, de proximité de membres du MSM avec ces milieux. Ce sont ça qui sont les sujets prioritaires…
Et pas de savoir qui sera leader ou pas en 2024 ! Êtes-vous conscient que les guerres internes de l’opposition commencent à fatiguer sérieusement les Mauriciens et risquent de renforcer le gouvernement ?
— Je ne suis pas du tout d’accord avec vous. L’opposition fait son travail et a dénoncé, par exemple, la braderie des actifs de la BAI par le gouvernement. Je ne dis pas qu’il n’y avait pas de problèmes à la BAI, mais un gouvernement n’a pas le droit de brader les biens d’une famille et d’une compagnie en ruinant ses actionnaires et ses clients. Je ne crois pas que le gouvernement se renforce avec les agissements de ses ministres, leur implication dans toutes sortes d’affaires et leur proximité avec des individus qui sont mêlés à toutes sortes de trafics. Je ne suis pas convaincu que les Mauriciens qui ont perdu ou vont perdre leurs emplois — comme à Air Mauritius — se demandent de quoi sera fait demain renforcent le gouvernement. Je ne suis pas sûr que ce qu’il essaye de faire avec le torchon circulé par l’ICTA et ses tentatives de manipulation de l’opinion à travers la MBC, ses journaux et ses radios le rend populaire auprès des Mauriciens.
Avez-vous conscience que le PMSD est en train de perdre les membres de son exécutif, dont un parlementaire? Sur cette lancée — et avec un coup de main du MSM —, il pourrait perdre un autre parlementaire et le poste de leader de l’opposition. Accepteriez-vous de le reprendre si le PTr redevient, numériquement, le premier parti de l’opposition parlementaire ?
— C’est une situation que je ne souhaite pas, mais qui pourrait arriver. Si le PTr devient le premier parti de l’opposition parlementaire, il aura à assumer ses responsabilités et, si le poste m’est proposé, j’assumerai les miennes. Mais, je le souligne, je ne vais pas créer les conditions pour que cette situation se concrétise. Personne ne doit entrer dans les affaires internes des partis politiques et créer des étincelles là ou il n’y en a pas.
Dernière question qui est aussi une hypothèse. Si demain le PTr parvenait enfin à aborder la question de son leadership et provoquait une élection, est-ce que vous seriez candidat à ce poste ?
— Vous m’avez archi posé cette question…
Permettez-moi de la reposer encore une fois…
— En toute légitimité, dans un parti démocratique, tout membre peut avoir l’ambition de devenir un jour son leader. Mais pour l’instant, le pays va vers l’anarchie avec le gouvernement actuel. Pour le pays, tous les partis de l’opposition mais aussi tous les Mauriciens, toute la nation mauricienne, doivent s’unir pour ériger un rempart contre la dictature que ce gouvernement est en train de mettre en place.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -