Bernard Moga, le nouveau proviseur du Lycée La Bourdonnais : « Il faut changer l’image mentale du LLB »

Notre invité de ce dimanche est Bernard Moga, le nouveau proviseur du Lycée La Bourdonnais (LLB). Avant d’arriver au mois d’août à Maurice, M. Moga était responsable du lycée français de Montevideo, en Uruguay. Avant, il avait été en poste à Djibouti et en Bolivie, après des affectations dans des lycées en France. Dans cette interview, le nouveau proviseur décrit le plan qu’il souhaite mettre en application pour faire du LLB «l’établissement de référence de l’éducation à la française à Maurice» et lui permettre de garder «une place centrale dans le réseau des cinq établissements à programme français de l’île».

- Publicité -

Vous avez travaillé plus comme chef d’établissement scolaire français à l’étranger qu’en France au cours de votre carrière. Est-il plus ou moins facile de gérer un établissement scolaire français à l’étranger ?

— Effectivement, j’ai commencé ma carrière comme professeur agrégé d’histoire et de géographie en France, puis au Maroc, dans les années 1980. Je suis ensuite revenu en France et au bout d’un moment, j’ai passé le concours pour devenir chef d’établissement en 2002, et depuis, effectivement, j’ai travaillé plus à l’étranger qu’en France. Je précise tout de suite que je ne gère pas un établissement, que je ne suis pas une administration, mais j’incarne sa direction. L’administration est importante et j’ai des collaborateurs pour le faire, mais moi, je vais au-delà du quotidien. C’est-à-dire que je donne le cap ce vers où on doit aller.

 Est-ce plus facile de donner ce cap en France ou à l’étranger ?

— C’est différent. A l’étranger, vous avez plus d’autonomie, plus de possibilité de prendre des initiatives tout en rendant compte. En France, c’est beaucoup plus cadré, on est plus dans une gestion administrative, on reçoit de la hiérarchie des instructions à mettre en œuvre. Mon action, à Maurice, est sous l’autorité de l’ambassade de France et de l’AEFE (l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger), mais après, j’ai liberté pour travailler et un droit à l’expérimentation beaucoup plus important qu’en France. Dans le cas de Maurice, je dois également rendre des comptes à la compagnie La Bourdonnais, propriétaire du lycée, ainsi qu’aux parents des élèves qui financent l’établissement. Quelque part, je suis également, à l’étranger, un diplomate qui doit trouver le juste équilibre, en respectant ses partenaires tout en expliquant que nous fonctionnons dans un cadre défini.

Est-ce que cette approche diplomatique va de pair avec l’application de la pédagogie décidée depuis Paris ?

— Absolument, et cela doit se faire dans la communication. Aujourd’hui, plus encore quand on dirige à l’étranger un établissement qui fonctionne selon les normes académiques qui ne sont pas forcément celles du pays, on doit expliquer, donner du sens à ce que l’on fait. Il faut expliquer et ce n’est pas facile dans un pays où le français n’est pas la langue, il y a des nuances, des subtilités qu’on ne maîtrise pas. Ce n’est pas le cas à Maurice où bien que la langue officielle soit l’anglais, tout le monde parle le français. Si on ne fait que mettre en œuvre la pédagogie sans l’expliquer, la faire comprendre, on va droit à l’échec. Il faut avoir du fond sans sacrifier la forme.

Est-ce que dans les pays étrangers vous appliquez le programme ou est-ce que vous tenez compte des spécificités, pour ne pas dire, des susceptibilités locales ?

— Si on ne tient pas compte des spécificités locales, ça n’a aucun sens. Il faut en tenir compte et s’adapter. Par exemple, à Maurice, on ne peut pas faire l’impasse sur l’anglais, qui est une des spécificités, tout en restant profondément francophone. Ce que nous voulons pour le LLB, c’est être une école plurilingue et pas seulement bilingue. Nous allons donc établir des programmes, inclure des enseignements optionnels qui vont mettre en valeur des points qui sont importants pour la culture mauricienne. Nous allons, dès l’année prochaine, mettre en place la section internationale britannique, parce que les parents le demandent. Ce qui fait la richesse des lycées français de l’étranger,  et du LLB, c’est qu’avec leur ADN français, ils apportent ce que les gens recherchent dans l’enseignement français : la culture générale, l’esprit critique, l’esprit de discernement, la capacité de raisonner, d’argumenter. Et il y a le plus que l’on apporte en s’adaptant à la société locale et à ses demandes.

L’approche d’ouverture que vous venez de décrire est-elle nouvelle au LLB ou était-elle déjà mise en pratique ?

— Au niveau de l’AEFE, l’ouverture n’est pas une nouveauté. Après, bien entendu, chaque chef d’établissement va, selon sa propre personnalité, développer le programme. Mon expérience, ma carrière m’ont démontré que si on ne communique pas, on va vers l’échec. Si on n’écoute pas, on ne regarde pas et on ne comprend pas la société locale, ça ne sert à rien. C’est sans doute ma personnalité qui est nouvelle, mais fondamentalement, au LLB, on est sur les mêmes principes.

En France, le système éducatif français est contesté, critiqué et remis en cause par ceux qui doivent l’appliquer. Est-ce également le cas au LLB ?

— En France, il est vrai que le système éducatif est actuellement mis sur la sellette et cela est dû à la transformation de la société française. C’est une société de plus en plus mixte, du fait qu’elle a accueilli, au cours de son histoire, des populations étrangères de plus en plus importantes. Il y a donc un problème sociétal et un problème de partage de valeurs qui font qu’a priori un certain nombre de choses enseignées peuvent être contestées. Avant, l’enseignant avait le monopole de la connaissance et délivrait le savoir. Aujourd’hui, avec internet et les réseaux sociaux, les jeunes très tôt ont accès à une foule d’informations. Aujourd’hui, le rôle de l’enseignant c’est moins d’apporter des connaissances que d’organiser les connaissances dans l’esprit de leurs élèves. De leur expliquer le vrai du faux, de leur
dire : vérifiez les sources et ne prenez pas tout ce qui est sur les réseaux sociaux comme des informations validées. En France, la collusion de tous ces facteurs fait qu’il y a aujourd’hui une remise en cause de l’enseignement.

Cette remise en question ne vise-t-elle pas plus particulièrement la pédagogie dans son ensemble ?

— C’est plus précisément le contenu de l’enseignement qui est remis en cause. Le radicalisme, qui n’est pas que religieux, est le fait qu’on est persuadé de détenir la vérité et que tout ce qui est étranger doit être rejeté et qu’on doit l’imposer. C’est ça qui sape le rôle de l’école en France. Le paradoxe c’est qu’à l’étranger le modèle scolaire français est très bien perçu. En Amérique du Sud et du Nord, le modèle ce sont les Etats-Unis où, en général, l’enseignement primaire et secondaire ne sont pas forcément extraordinaire. Là-bas, dit-on, les choses sérieuses dans l’enseignement commencent à l’université et le rôle de l’école dans le continent américain consiste au primaire, et au secondaire surtout, à socialiser les enfants et à développer l’estime de soi. En France, on est dans le dur depuis le primaire et le secondaire et on est très exigeant, ce qui fait que quand ils entrent à l’université ils sont prêts.

Est-ce que les enseignants des établissements français de l’étranger sont, disons, moins contestataires que leurs confrères français ?

— Le corps professoral a des origines professionnelles différentes. Il y a 30% des enseignants détachés depuis la France, les expatriés, et les 70 % restant, les locaux, sont des enseignants recrutés localement. Tous les enseignants bénéficient de stages de formation continue. Il y a très peu de contestation à Maurice, parce que les enseignants ont fait le choix de venir travailler ici en adhérant aux valeurs de l’établissement.

Les « expats » et les « locaux » ont les mêmes conditions de travail et les mêmes salaires ?

— Non, parce qu’ils n’ont pas tous forcément la même mission, même si fondamentalement ils font la même chose, ont les mêmes classes et le même nombre d’heures. Les expatriés touchent le même salaire qu’en France et touchent en sus une prime qui a pour fonction d’apporter un petit plus quand ils ont des enfants afin de leur permettre de payer leur scolarité. Les expatriés sont nommés pour une période déterminée, ce qui n’est pas le cas des locaux.

Dans votre lettre aux parents, vous disiez avoir hâte de découvrir Maurice. Quelle a été votre principale découverte ?

— L’engagement et l’amour des enseignants, plus particulièrement les locaux, pour leur lycée, qui est leur outil de travail. Ils sont très impliqués dans l’organisation d’activités pour faire connaître le LLB.

La Covid-19 a eu de lourdes conséquences sur les programmes éducatifs en France. Comment cela s’est passé au LLB ?

— La première, c’est que le lycée a fermé, comme tous les établissements scolaires mauriciens. Il a fallu s’adapter, mettre en place la continuité pédagogique consistant à faire les élèves garder le contact avec le lycée à travers l’enseignement à distance. Cela a été une révolution méthodologique et culturelle, car il a fallu utiliser au quotidien certains outils numériques, ce qui a développé l’autonomie des élèves qui ont appris, pas à travailler seuls, mais à le faire en n’ayant pas systématiquement l’enseignant derrière le dos. Nous allons utiliser la continuité pédagogie en cas de besoin si on est appelé à fermer l’établissement avec des processus d’évaluation et de rectification permanents. Nous avons utilisé la désorganisation initiale créée par la Covid-19 pour recréer de l’ordre, de la logique et de la cohérence.

L’épidémie a aussi provoqué une grave crise financière, des diminutions du travail ou carrément du chômage, et beaucoup de parents ont des difficultés à payer l’écolage de leurs enfants. Est-ce que ce problème affecte le LLB ?

— Dans la mesure où nous ne vivons pas dans une bulle, il est évident que cette situation nous affecte. Nous avons pu l’évaluer et la contenir en mettant en place, grâce à la compagnie La Bourdonnais et à l’association des parents-élèves, un fonds de solidarité en interne pour apporter une aide financière ponctuelle aux parents d’élèves mauriciens en difficulté. Parce que nos élèves français ou binationaux — 30% de notre effectif — bénéficient d’un système de bourse du gouvernement français. Nous mettrons tout en œuvre pour garder tous nos élèves qui sont dans le cycle terminal dans l’établissement jusqu’à la fin de leurs études.

Vous organisez une journée portes ouvertes samedi prochain, un autre lycée fait carrément de la publicité sur les radios pour attirer des élèves. Est-ce que cela signifie qu’avec la Covid-19 il y a moins de demandes pour les lycées français à Maurice ?

— L’établissement que vous citez a été très affecté dans une proportion très importante, puisque beaucoup de parents de ses élèves ont été rapatriés de Maurice à cause de le Covid-19. Le LLB a été moins affecté parce que nous avons une majorité d’enfants de parents mauriciens, mais il est vrai que parmi il y a beaucoup qui travaillaient dans l’aviation et le tourisme et se retrouvent donc en difficultés. Nous faisons une journée portes ouvertes pour, premièrement, maintenir nos effectifs et remplir les 90 places que nous avons perdues. Deuxièmement, nous voulons nous ouvrir davantage à la société mauricienne.

Vous ne l’êtes pas déjà ?

— Pas assez, à mon avis. Notre problème c’est l’image mentale que l’on a du LLB et qui est très difficile à changer. Les gens nous regardent avec l’image du lycée d’il y a trente, quarante ans, c’est-à-dire un établissement d’élite où l’on ne garde que les meilleurs et où les élèves ont plutôt la peau claire. C’est une image du passé. Si vous faites un tour dans la cour de récréation, vous vous rendrez compte que cette image n’existe plus, que nos élèves sont tout à fait représentatifs de la population mauricienne. Nous sommes une école mauricienne ouverte aux Mauriciens, une école internationale et plurielle et les gens ne le savent pas suffisamment.

Est-ce qu’au LLB l’écolage est au même niveau que ceux des autres écoles françaises ?

— Nous sommes tout à fait complémentaires et pas plus chers que les quatre autres établissements français de Maurice. Et on peut même dire qu’au niveau du secondaire nous sommes un peu moins chers.

Quel est le principal défi que vous avez à relever en tant que nouveau proviseur du LLB ?

— Je vous l’ai déjà dit : changer son image et surtout développer l’aspect international et pluriel. Il faut savoir qu’au LLB tous les élèves apprennent obligatoirement l’anglais, nous sommes bilingues, mais nous enseignons aussi l’espagnol, l’allemand, le mandarin, le russe…

Et aucune langue orientale, comme l’hindi ?

— C’est une question à l’étude. Pour le moment, l’hindi n’est pas au programme, mais je n’ai pas renoncé à l’inclure dans notre offre linguistique. Nos élèves sont plurilingues lorsqu’ils quittent l’établissement et ça ne se sait pas assez parce que le LLB a été trop absent du terrain de la communication. Nous avons désormais plusieurs comptes institutionnels sur les réseaux sociaux pour nous faire connaître.

Donc, la vieille dame de Forest-Side se modernise ?

— Voilà. Elle était un peu endormie, ce qui a permis à nos partenaires et concurrents d’occuper les devants du terrain. Nous étions là, mais un peu derrière et il fallait nous chercher. Nous avons désormais une stratégie volontariste qui va nous permettre de revenir devant, à côté des autres sur le plan de la communication et garder une place centrale dans le réseau des établissements français à l’île Maurice. Nous sommes quand même fourniture d’excellence depuis 1985.

Comment est-ce que le comité de direction du LLB accueille votre désir de réveiller la vieille dame pour moderniser son image ?

— J’ai la faiblesse de croire que ce je fais est bien perçu. Sans prétention aucune, je pense qu’il y avait une attente et je pense que ce je propose, après avoir longuement étudié le fonctionnement du LLB, va dans ce sens.

Vous a-t-on proposé le LLB ou avez-vous choisi de venir travailler à Maurice ?

— Le LLB figurait dans mon top ten. Ce qui me plaît c’est de relever les défis, parce que, comme je vous l’ai dit, je ne suis pas un gestionnaire, je suis un directeur, un manager éducatif. Je crois que nous sommes sur les mêmes objectifs à atteindre. Je suis beaucoup aidé par le président de la compagnie qui a été élève avant et connaît donc très bien l’établissement. Il est Mauricien, connaît donc la culture de son pays et sait m’éclairer dans ma démarche. Le projet que je lui ai présenté, je pense qu’il y adhère : nous allons donc dans le même sens. Pour ce qui est maintenant du personnel du LLB, je pense que le personnel local adhère également à ce projet. Quad aux résidents, ou expatriés, je ne pense pas qu’ils y sont opposés. Ils ont un peu plus en eux de culture franco-française que les autres pour être «parfois», peut-être, un peu moins enclins à démarrer au quart de tour et mon job consiste à leur montrer que c’est la voie à suivre. Je suis confiant. Je ne suis pas en train de faire une révolution, je suis tout simplement en train de fédérer, de donner du sens et de susciter des volontés.

Et les parents d’élèves dans tout ça ?

— Ce sont nos premiers partenaires. J’entretiens de bonnes relations avec l’association des parents d’élèves, on se voit toutes les trois semaines, je communique aussi avec les familles et je n’ai pas eu de retour négatif.

Donc, vous êtes un proviseur qui vient de prendre son nouveau poste et qui est heureux ?

— Je serai heureux lorsque j’aurais atteint mes objectifs et je suis motivé pour le faire.

La dernière question est d’actualité depuis des semaines. Si un de vos enseignants souhaite utiliser les caricatures de Charlie Hebdo pour illustrer un cours sur la liberté d’expression, est-ce que vous le lui interdirez ou l’encourageriez à le faire ?

— D’abord, il ne m’appartient pas, en tant que proviseur, d’autoriser ou d’interdire dans le champ pédagogique à partir du moment ou celui de l’enseignant rentre dans le cadre. Nous sommes un établissement français avec un programme français, et dans le système législatif français le blasphème n’existe pas. Ce n’est pas, me semble-t-il, le cas à Maurice où il existe une interdiction légale de heurter les religions. Donc, si j’apprends qu’un enseignant a l’intention d’utiliser des caricatures, je lui dirai qu’il faut savoir faire preuve de discernement en se demandant à qui il s’adresse et le message qu’il doit faire passer doit automatiquement utiliser ce support. Une fois qu’on a répondu à ces questions, on peut faire ce qu’on a à faire.

Vous êtes effectivement très diplomate dans votre approche pédagogique. Que souhaitez-vous dire pour terminer cette interview ?

— Que j’ai été heureux de pouvoir expliquer le sens de ce que je souhaite faire au LLB. Après, on me jugera sur mes actes.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -