Bilgis Dinally :« Il faut avoir de l’amour, de la compassion et une vraie vocation pour être infirmière »

« On voit une certaine discrimination au sein même de notre profession, quand
les infirmiers surpassent les infirmières, simplement parce qu’il s’agit des hommes »

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 « C’est vraiment avec la peur au ventre que j’allais travailler, car je redoutais de ramener la maladie à la maison, où j’avais un époux gravement malade déjà »

« La présence 24h/24 d’un gynécologue pourrait être une solution pour éviter
des complications ou autres »

Alors que le monde est plongé dans une crise sanitaire depuis plus d’un an, les soignants, notamment les infirmières, se retrouvent en première ligne. Épuisées, elles doivent également faire face aux impératifs de préserver la vie des malades. Mal-être, tensions, pertes de sens, conflits de valeurs… Les dysfonctionnements au cœur de la profession sont nombreux. Plus que jamais, la profession d’infirmière est mise en lumière aujourd’hui. À l’occasion de la Journée des infirmiers/ères, célébrée internationalement dans le cadre de l’anniversaire de Florence Nightingale, qui est née il y 201 ans, Week-End donne la parole à une infirmière. Elle a plus de 45 années dans le métier. Elle parle de son expérience, de leurs conditions de travail et de formation dans le contexte si particulier de la crise Covid-19. Bilgis Dinally, Nursing Supervisor au Jawaharlal Nehru Hospital de Rose-Belle, nous raconte la vie et les aléas de ces professionnels en « première ligne » et à qui nous disons merci et bravo !

Après 45 d’expérience dans le domaine, quel regard portez-vous sur le métier d’infirmier ? Quelle a été l’évolution à Maurice ?

Il s’agit d’un noble métier qui n’est pas fait pour tout le monde. Ce n’est pas toujours facile, car ce métier est challenging. Mais il est passionnant, car nous avons à cœur la santé des patients. J’ai débuté dans la profession à l’âge de 18 ans, en 1976. À l’époque, il n’y avait pas autant de malades et de maladies. Et j’ai vu le métier se professionnaliser au fil des années. Aux différents départements créés dans notre système de santé, notamment les specialized care units comme l’ICU, le Cardiac Centre, l’hôpital de cancer, la NeoNatal ICU, etc., qui n’existaient pas auparavant, se sont rajoutés des infirmiers mieux formés pour y travailler. Il y a eu une décentralisation des soins et aujourd’hui dans chaque hôpital, tout comme il y a des médecins spécialistes, il y a des infirmiers spécialisés qui travaillent dans ces unités spécialisées. Tout cela pour dire comment la professionnalisation du métier s’est accentuée et l’importance des soins que nous prodiguons, devenus plus pointus et importants…

Comment devient-on infirmière ? À quoi aspire-t-on quand on embrasse ce métier ?

Auparavant, il fallait une formation de Student Nurse pendant trois ans. Mais depuis quelques années, un Certificate en General Nursing est nécessaire. Mais ce métier est avant tout une histoire d’amour. Il faut avoir de l’amour, de la compassion et une vocation pour être infirmier. L’écoute est primordiale dans ce domaine.

Aujourd’hui, plus que jamais, avec la crise de la Covid, la profession d’infirmier/ère est mise en lumière. On parle de frontaliers. Comment vivez-vous cela ?

La situation actuelle est effrayante. Mais en tant que frontaliers, même si la peur est là, on se bat jour et nuit comme des soldats pour protéger la population. Nous quittons nos familles, nos maris, nos enfants, nos proches pour aller affronter cette maladie. Nous avons été nombreux à aller en quarantaine et y retourner après trois ou quatre semaines, et ce n’est pas une situation évidente de laisser derrière soi sa famille. Durant la première vague, c’est vraiment avec  la peur au ventre que j’allais travailler, car je redoutais de ramener la maladie à la maison, où j’avais un époux gravement malade déjà. Mais en respectant toutes les mesures barrières scrupuleusement, on peut éviter la maladie et sa propagation. C’est aussi notre rôle d’aider le ministère de la Santé, avec la collaboration de la population, à faire que Maurice redevienne une « Covid-Free Island ». D’ailleurs, dans les cinq hôpitaux régionaux, l’Infection Control Committee s’assure de la formation du personnel continuellement. Et nous disposons de toutes les facilités et des équipements nécessaires pour pouvoir suivre à la lettre les consignes sanitaires et ainsi éviter d’attraper et de propager la Covid-19.

Quelles sont les satisfactions de ce métier ?

Notre satisfaction c’est lorsque nous voyons un malade à qui on a prodigué des soins retourner chez lui guéri. C’est ce sourire, simplement un petit mot, un bonjour, ou une attention… que l’on peut donner à quelqu’un quand il est malade et qu’on doit lui donner ses soins. Chaque jour, nous obtenons une satisfaction. C’est une bénédiction d’aider les malades…

Et les frustrations ?

Tous les jours ne sont pas des jours faciles. Surtout quand le public que nous côtoyons n’est pas reconnaissant et fait preuve d’un manque de respect envers le personnel soignant pour x raisons. Il faut savoir gérer ce genre de situation. Mais ce qui est aussi décevant, c’est quand on voit une certaine discrimination au sein même de notre profession, quand les infirmiers surpassent les infirmières, simplement parce qu’il s’agit des hommes. C’est extrêmement frustrant, quand, alors que vous possédez les certificats nécessaires, vous ne bénéficiez pas de promotions ou vous n’êtes pas rémunérée comme il se doit alors que votre collègue infirmier, sans aucune spécialité, est lui promu. Aujourd’hui, je suis, après de longues années, Nursing Supervisor, alors que mon collègue infirmier, qui est mon junior, assume le poste de Nursing Administrator et même de Regional Nursing Administrator. Les infirmières sont amenées à travailler dans les Casualities, l’ICU, les salles d’opération, etc. Mais quand il faut prendre en charge ces salles, c’est un infirmier qui est nommé et pas une infirmière. Les infirmières n’ont pas la chance de devenir Director of Nursing… Ce sont autant d’exemples de frustrations au sein même de la profession et qui peuvent décourager.

En même temps que ce métier est applaudi mondialement en ce temps de pandémie, le personnel soignant est aussi pointé du doigt dans des cas de négligence médicale, comme les dialysés et les deux derniers cas, médiatisés, celui de la petite Prishtee et celui de la petite Émilie Quirin. Quels sont les manquements qui mènent à la négligence médicale, selon vous ?

Je ne peux pas me prononcer sur ces cas. Il y a une enquête et nous devons laisser les autorités concernées faire leur travail. Les critiques sont faciles, mais il faut tenir compte des faits. Nous faisons un travail difficile, mais qui n’est pas toujours valorisé. Combien d’infirmiers par exemple sont des décorés de la République ? Je ne sais pas ! Ce qui est sûr, c’est que le personnel soignant est dévoué à la tâche. La sage-femme qui procède à un accouchement le fait toujours en présence d’un médecin. Et si des complications se présentent, c’est au médecin de prendre les décisions qui s’imposent. La présence 24h/24 d’un gynécologue pourrait être une solution pour éviter des complications ou autres. Mais c’est une décision qui revient à l’administration de la Santé. Nous, nous sommes là pour suivre les directives.

Quel message souhaiteriez-vous passer à la population ?

Aujourd’hui, Maurice est confrontée à un taux élevé de maladies non-transmissibles. Il devient urgent que la population le reconnaisse et agisse en adoptant un mode de vie sain pour se protéger. En ce qui concerne la Covid-19, nous devons agir en tant que citoyens responsables pour se protéger et protéger les autres. Les mesures barrières ne doivent pas être prises à la légère. En se protégeant, on protège les siens et le pays.

 

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