Brexit : un défi linguistique pour la tour de Babel européenne

L’Union européenne, avec ses 24 langues officielles, est une vraie Tour de Babel, aux services de traduction pléthoriques. Mais le Brexit pose une question existentielle sur la place dominante de l’anglais avec le départ des Britanniques.

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Il y a trente ans, quand elle a commencé à travailler au Parlement, Alison Graves disait sans hésitation « bonjour » en entrant dans un ascenseur. « Le français était la langue par défaut », raconte à l’AFP cette Britannique à la tête du service du multilinguisme au Parlement européen.

Aux débuts de la construction européenne, le français, langue diplomatique, langue du pays hôte (la Belgique), était largement utilisé. Mais la situation a évolué, particulièrement depuis 2004 et l’élargissement de l’Union européenne à l’est, traditionnellement peu francophone.

Au sein des institutions européennes, où l’anglais, le français et l’allemand sont les trois principales langues de travail, il y a 24 langues officielles, soit 552 combinaisons possibles de traduction.

« Unie dans la diversité », dit la devise de l’Union européenne, qui s’enorgueillit de donner accès à ses institutions à tous les Européens dans la langue de leur choix.

Le travail est titanesque. Le service de traduction du Parlement produit 2,7 millions de pages par an. Empilées, elles atteindraient quasiment la hauteur de la tour Eiffel.

Mais dans cette diversité, une langue domine: l’anglais.

– « Quasi-diparition » du français –

Selon des chiffres compilés en France dans un rapport parlementaire, l’anglais était en 2016 la langue de rédaction de plus de 82% des documents au sein de la Commission, plus de 90% au sein du Conseil de l’UE.

Ce qui faisait déplorer aux députés Christophe Caresche et Pierre Lequiller une « quasi-disparition de l’usage du français au sein des institutions européennes ». Au milieu des années 1990, soulignaient-il, les deux langues étaient utilisées de façon équilibrée dans la rédaction des documents de la Commission (45% d’anglais, 40% de français).

Une institution se distingue: la Cour de justice de l’UE (CJUE), basée à Luxembourg, qui a choisi le français comme langue de délibéré dès les années 1950.

« Ce n’est qu’une pratique et cela peut changer, je peux même dire que ce débat est ouvert en permanence », rapporte Thierry Lefèvre, directeur général du multilinguisme à la CJUE.

Les interprètes et traducteurs ont souvent plusieurs cordes à leur arc. Sur les 525 interprètes de la Commission, 426 ont le français dans leur combinaison linguistique, et 465 l’anglais. « Au moins 80% de nos fonctionnaires parlent le français comme leur première, deuxième ou troisième langue », assure la Commission.

La presse française, Le Point et Les Echos, a publié le mois dernier une lettre ouverte à la prochaine présidente de la Commission, l’Allemande Ursula von der Leyen, écrite par « un groupe de fonctionnaires européens » revendiquant son « droit de travailler en français ».

Ces fonctionnaires y soulignent que l’utilisation d’une seule langue de travail conduit « à une dégradation de l’anglais utilisé » et un « nivellement par le bas ».

– « Desperanto » –

Au Parlement européen, environ 70% du travail de traduction se fait à partir de l’anglais, et la plupart du temps le document d’origine n’est pas écrit par un locuteur natif, note Alison Graves. L’assemblée s’est dotée d’un service interne doté d' »experts en anglais » qui corrige les textes avant toute traduction.

A la CJUE, Thierry Lefèvre craint qu’il devienne difficile de recruter des juristes parfaitement anglophones après le Brexit. Les traducteurs irlandais devraient donc devenir très en vogue, même si l’anglais est également une langue officielle à Malte ou Chypre.

« Je me pose la question: dans quelle mesure, à la suite du Brexit, d’autres langues ne vont pas reconquérir un petit peu de terrain », pronostique par ailleurs Thierry Lefèvre.

« Il y a une sorte de prise de conscience, qu’en utilisant une certaine langue, on importe en réalité un système de valeurs, une culture, une vision du monde. Et pourquoi renforcer celle qui accompagne l’anglais à l’instant même où les Etats-Unis nous tournent le dos et le Royaume-Uni nous quitte? », s’interroge-t-il.

« De façon paradoxale, il se pourrait que plus de gens se mettent à parler l’anglais, comme une langue neutre », avance Alison Graves. Et de s’interroger: verra-t-on émerger une sorte d' »anglais-européen » ou un anglais « desperanto » — mélange entre « désespoir » et « esperanto »?

mla/alm/ia

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