Campagne “Support. Don’t Punish” : plaidoyers pour revoir notre politique de drogue

Dans le cadre de la campagne internationale “Support. Don’t Punish”, des ONG locales ont fait des plaidoyers pour le combat contre la drogue et demandé à nouveau une politique de drogue adaptée pour remédier à une situation toujours alarmante. La politique répressive n’est plus d’actualité. Une approche humaine vis-à-vis des usagers est souhaitée, tandis que de plus en plus de femmes sont concernées. Team leader et paire-éducatrice à l’association Aides, Infos, Liberté, Espoir et Solidarité, Cindy Trevedy nous en parle.

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Cindy Trevedy : “Hausse dans les cas de VIH et dans la consommation de drogues chez les femmes”

AILES vient de rejoindre le Women Harm Reduction International Network et c’est vous qui l’avez représentée. Qu’est-ce que cela apporte de plus à l’association et son combat ?

Cela nous offre une reconnaissance internationale, ce qui est un plus pour l’association elle-même et pour moi en tant que femme militante et activiste. Je suis une des premières femmes à avoir parlé des problèmes de drogue touchant les femmes. Je suis une des premières femmes à s’être battue pour qu’il y ait un centre pour les femmes, comme Chrysalide et d’autres.

Aujourd’hui, il est temps que nous ayons des fonds propres pour développer des services pour les femmes et que ces fonds sortent d’ici. Il faut qu’on arrive à reconnaître qu’il y a une féminisation du problème de la drogue et qu’il faut faire quelque chose pour celles qui sont touchées. Le Women Harm Reduction International Network nous offre un soutien. J’ai moi-même beaucoup bénéficié de cela. Avant, je m’exprimais violemment. Depuis les deux ans que je suis membre de cette instance, je peux désormais en parler posément.

Pourquoi est-il important de sensibiliser au sujet de la gent féminine quand on parle de toxicomanie ?

Depuis trois à quatre ans, il y a une augmentation dans les infections au VIH chez les femmes et une féminisation sur l’utilisation de drogues. Or, il y a deux centres de traitement à la méthadone pour les hommes et une seule pour les femmes. Ce n’est pas logique. On parle d’égalité des genres, mais nous ne voyons pas d’égalité. AILES est là pour dénoncer cela et dire qu’il est temps de mettre en place des services dédiés à la femme. Les femmes peuvent parler de leurs problèmes elles-mêmes. Nou empower zot, nou fer zot vinn koz zot problem.

Vous avez été usagère de drogue avant de devenir travailleuse sociale. Comment se fait cette transition ?

J’ai commencé à consommer de la drogue à 14 ans. Beaucoup de personnes disent que le cannabis est un gateway aux drogues dures, mais j’ai commencé par l’héroïne. Puis, j’ai essayé le cannabis. Au début, c’était une consommation récréative, mais c’est devenu problématique. J’ai arrêté, puis j’ai recommencé. Je me suis rendu dans des centres. Cela n’a pas marché, jusqu’à ce que j’intègre le traitement de la méthadone, en 2008. Depuis, je travaille. Je suis d’ailleurs la première personne sous traitement de méthadone qui travaille dans une ONG. Je peux vivre, je peux prendre soin de ma famille. J’ai perdu mon époux il y a deux mois, mais je persévère et je m’applique dans mon travail.

Pensez-vous que votre exemple peut avoir un impact dans le combat contre l’usage de drogues, notamment auprès des femmes ?

Je ne suis pas là pour dire à une personne si elle doit consommer de la drogue ou pas. Mais je peux lui dire que si elle en consomme, il y a des conséquences. Si tu consommes, tu dois consommer sainement. À ce propos, j’ai une demande à faire au gouvernement. Les trafiquants altèrent la composition des drogues sur le marché noir. Si c’était le gouvernement qui contrôlait sa vente, il n’en serait pas ainsi.

Je suis passionnée par mon travail, par les droits humains. Sa mo dada kouma dir, sa. Je suis là pour crier quand il y a des injustices. Si les gens veulent prendre exemple sur moi, prenez ce genre d’exemple. Quand il y a des injustices, dénoncez-les !

Quels conseils donneriez-vous aux femmes victimes du fléau de la drogue et qui veulent décrocher ?

Avant de donner des conseils aux femmes, j’en donnerai un au ministère. Mettez plus de lieux d’accueil pour ces femmes pour que je puise leur conseiller d’aller vers ces services. À l’étranger, il y a de l’héroïne sous prescription. Il faut mettre en place une panoplie de traitements. Demandez aux gens ce dont ils ont besoin et ce qu’ils pensent. Il n’est pas nécessaire de réinventer la roue. Il n’y a qu’à reproduire ce qui se fait déjà à l’extérieur. Les femmes ne doivent pas avoir peur. Elles doivent arrêter de trop réfléchir sur ce que les gens vont penser d’elles. Pensez à vous, sinon vous n’avancerez pas. Nous les femmes, prenons soin de nous-mêmes.

Quelles sont les grandes difficultés auxquelles vous faites face dans votre combat ?

La grosse difficulté que je rencontre quotidiennement, c’est la répression. Parce que je vais prendre de la méthadone au poste de police. Kan mo al laba, mo trouv lapolis pe atann dimounn ki’ena warant kont zot, zot pe get dan Attendance sheet. Cela me révolte parce que c’est supposé être confidentiel. L’infirmier a peur et leur donne le papier par crainte. Je les surprends parfois en train de redonner le papier à l’infirmier dès qu’ils me voient arriver. J’ai les mains liées, mais heureusement que je siège sur le Country Coordinating Mechanism, où je représente les populations clés. C’est un atout puisque je peux avoir contact avec le secrétariat et le commissaire de police. Je peux partager les problèmes. Mais on se heurte souvent à des policy decisions qui nous mettent des bâtons dans les roues. Cela décourage ceux qui ont besoin de traitements. Je rencontre souvent des personnes qui ont arrêté le traitement de la méthadone pour cette raison.

Pensez-vous que les autorités en font suffisamment pour combattre le fléau de la drogue à Maurice ?

Il n’y a qu’à voir le Budget. Regardez quelle somme a été allouée aux systèmes de santé et combien à d’autres choses. Les autorités voulaient combattre le problème de la drogue avant 2020; c’est passé à 2030. Bientôt, ce sera 2050. Nous tournons en rond. Chaque gouvernement qui vient fait un bout et s’en va. Certaines choses qui marchent bien sont annulées à l’arrivée d’un autre gouvernement. Cela a été le cas quand on a interdit la méthadone et on sait l’impact que cela a eu. Nous payons toujours la diabolisation de la méthadone et, par conséquent, ceux qui sont sous traitement.

Danny Philippe de CUT : “La situation s’est dégradée”

La campagne internationale “Support. Don’t Punish” a été marquée à travers le monde le mercredi 26 juin. Cette campagne fait un plaidoyer pour promouvoir de meilleures politiques des drogues et pour que les consommateurs de drogues ne soient plus criminalisés.

L’ONG CUT, en collaboration avec PILS, a mis en avant quelques points fondamentaux. Lors de son intervention, Danny Philippe, directeur de CUT, s’est insurgé sur le fait que le Budget n’ait fait aucune mention de chiffres par rapport aux programmes de prévention, de réhabilitation, de réinsertion et la réduction des risques. “La situation de la drogue à Maurice s’est dégradée par rapport aux services que nous devons mettre en place. Les ONG ont dû réduire certains services importants par manque de fonds. Il est dommage qu’il n’y ait aucun chiffre sur ce gros problème dans le Budget.”

Il a également élaboré sur le Drug Control Master Plan, qui n’a toujours pas été appliqué, alors que le draft est prêt depuis août 2017. “À chaque fois, on nous dit qu’il sera appliqué très bientôt. Le Premier ministre avait dit d’attendre la commission Lam Shang Leen, mais on ne voit toujours rien venir. Tant qu’il n’est pas appliqué, chacun travaillera dans son coin et nous n’aurons pas une conduite directrice.”

Kunal Naik, de PILS, a souligné que le Budget aurait dû renforcer également les programmes de santé publique et y inclure l’aspect social et non seulement l’effectif de l’ADSU ainsi qu’un budget de Rs 25 millions.

Danny Philippe a annoncé la tenue d’un High Level Comity le 3 juillet, où les partis politiques seront invités. Cela permettra de savoir ce qu’ils prévoient sur les politiques de drogues dans leur manifeste électoral et d’en discuter. “Nous n’avons pas un problème de drogue mais un problème de politique de drogue.” Il cite une étude qui met en avant que la criminalisation des consommateurs de drogues est un des facteurs qui peuvent les rendre vulnérables à l’infection par le VIH et l’hépatite. “Ils sont 22 fois plus à risques, selon les études. La criminalisation est un des facteurs qui les empêche d’avoir accès à des services essentiels de santé. Car lorsqu’ils se sentent criminalisés, ils ne vont pas chercher de l’aide là où il le faut.”

AILES milite pour les femmes usagers de drogues

De son côté, l’ONG AILES a axé sa campagne sur les femmes consommatrices de drogues et leur accès aux services de réduction des risques, et les violences auxquelles elles sont confrontées. Les intervenants ont rappelé qu’un tiers des usagers de drogues sont des femmes et ont souligné que les hommes et les femmes ne sont pas égaux face à l’usage de drogues. Les femmes font face à une plus grande stigmatisation et à des discriminations limitant leur accès aux soins, aux traitements et aux programmes de réduction de risques.

L’association a également affirmé que malgré les protocoles mis en place par le ministère de la Santé pour accompagner les femmes qui s’injectent des drogues et celles qui sont sous traitement de substitution à la méthadone lors de leur grossesse, leur route est jalonnée d’obstacles. Les femmes enceintes n’ont pas accès aux centres de santé et n’adhèrent pas aux services de soins.

L’ONG demande qu’il y ait des services mieux adaptés et des programmes spécifiques pour les femmes. Elle souhaite également que les femmes soient incluses dans les discussions et les prises de décisions.

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