Cardinal Maurice Piat : « Servir avec toujours plus de bienveillance et d’humilité »

Cela fera 50 ans demain depuis que le cardinal Maurice Piat, évêque de Port-Louis, a été ordonné prêtre. Un événement qu’il célébrera, dit-il au Mauricien, dans une « ambiance sobre mais dans un esprit familial ». Après un si long parcours, le cardinal Piat garde le ton humble pour dire que la mission du prêtre « n’est jamais accomplie ». Et rappelle le devoir de « toujours servir avec bienveillance et humilité ». Le chef de l’Église avoue qu’il a eu des « moments difficiles » durant son épiscopat et que la décision de certains jeunes prêtres de quitter le sacerdoce l’a profondément marqué. Dans un registre d’ordre social et économique, l’évêque de Port-Louis livre ses sentiments sur le contexte actuel difficile et fait part de ses interrogations par rapport au projet Contribution sociale généralisée, annoncé dans le nouveau budget.

- Publicité -

Vous célébrez les 50 ans de votre sacerdoce dans un contexte très difficile pour le monde entier. Avez-vous donc le cœur à la fête et comment vivez-vous cet anniversaire ?
Je célébrerais mes 50 ans de sacerdoce avec le père Sullivan et avec Sylvio Lodoïska et Eddy Coosnapen qui ont 25 ans de sacerdoce. Malgré la COVID-19, le cœur est à la fête car c’est une action de grâce, et non pas une fête tapageuse où l’on s’éclate. C’est une fête de la grande famille de l’Église dans une joie sobre qui vient d’une reconnaissance envers le Seigneur qui appelle et qui continue à appeler aujourd’hui. C’est une fête qui témoigne que répondre à cet appel a donné beaucoup de bonheur. Le moment difficile que nous vivons nous renvoie au cœur de notre appel, et nous invite à servir avec toujours plus de bienveillance et d’humilité.

Peut-on parler de « mission accomplie » après un si long parcours dans la vie sacerdotale ? Avez-vous vécu des épreuves difficiles dans votre mission d’évêque de Port-Louis ?
La mission que le Christ nous confie est tellement vaste qu’elle n’est jamais accomplie. Chacun de nous n’est qu’un petit maillon sur une longue chaîne d’apôtres ; il y a ceux qui nous ont précédés et qui nous ont accompagnés dans nos premiers pas et ceux qui continueront après nous la route au service des hommes et de l’Évangile. Quant aux épreuves, elles font partie intégrante de la mission. Jésus lui-même en a connu, et pas des moindres, et il nous prévient que nous en connaîtrons, nous aussi. En ce qui me concerne, il y a eu des moments difficiles à cause de certaines incompréhensions, à cause de ma façon de vouloir aller trop vite et ne pas respecter le rythme du peuple en marche. Certaines déceptions aussi par rapport à des jeunes prêtres que j’avais ordonnés et qui ont quitté le sacerdoce.

Au bout de ces cinquante ans de prêtrise, quel est votre regard sur le clergé ? En tant que chef du diocèse de Port-Louis, comment arrivez-vous à trouver le juste milieu lorsqu’il y a désaccord entre vous et certains prêtres sur des sujets et actions de leur part qui donnent lieu à la polémique ?
C’est vrai que tous les prêtres n’ont pas les mêmes points de vue sur certaines questions qui touchent à la société mauricienne, et à la manière d’aborder ces questions à la lumière de l’Évangile. Mon souci, ce n’est pas de faire que nous marchions comme une armée rangée en bataille sous le même uniforme, mais que nous puissions ensemble parler de ce qui nous préoccupe avant d’en parler publiquement. J’essaie de me rendre disponible pour écouter le point de vue des uns et des autres, non seulement dans un face-à-face avec chacun mais à plusieurs, afin de dégager une manière de réagir qui soit à la fois conforme à l’Évangile et pertinente pour la société. Je cherche à faire confiance au souci des prêtres de témoigner de l’Évangile dans la société mauricienne. Mais pour témoigner, nous sommes quelquefois confrontés à des situations difficiles, où il n’y a pas de solution évidente. Et justement, c’est parce que ce n’est pas évident qu’il faut se rencontrer pour en parler et afin de mieux discerner.

Vous êtes un homme public n’échappant pas à la loupe des médias à l’instar d’autres personnalités du pays. Avez-vous eu l’impression d’avoir été incompris parfois par les médias ?
Au début, j’avais un peu peur des médias, il faut l’avouer ! Mais je n’avais pas le choix, il fallait bien se jeter dans la fosse aux lions. Je dois dire que j’ai été assez agréablement surpris de trouver chez les journalistes une certaine bienveillance, même si leurs questions étaient souvent pointues.

La pandémie de COVID-19 a plongé le monde entier dans une période sombre et marquée par l’incertitude et beaucoup d’inquiétudes à cause d’une situation économique difficile. Êtes-vous satisfait de la réponse des Mauriciens à l’appel à la solidarité que vous avez lancé ?
C’est vrai que pour sortir de la situation difficile créée par la pandémie de COVID-19, la solidarité apparaît comme une question de vie ou de mort. Un responsable au Vatican disait : « Si nous ne partageons pas, nous mourrons ». De fait, il y a eu un grand élan de solidarité au début du confinement quand beaucoup de familles ont manqué de nourriture. Il faut saluer cet élan de la part du gouvernement comme de la part des entreprises privées et des ONG qui ont su collaborer pour une plus grande efficacité du partage.
Mais comme nous le savons, la solidarité s’essouffle vite. C’est pourquoi il me semble urgent de trouver des moyens pour que la solidarité puisse tenir la distance, laquelle risque d’être longue. Au niveau de l’Église, nous cherchons des moyens adaptés pour vivre la solidarité envers les plus pauvres comme envers beaucoup de personnes de la classe moyenne qui sont en train de perdre leur emploi ou de voir leur salaire être drastiquement diminué. Il y a beaucoup de “schemes” proposés par les banques ou par le gouvernement pour aider les grandes entreprises comme les PME et les “self-employed”. Mais souvent, des personnes ne savent pas trop comment avoir accès à ces différentes propositions. Elles ont besoin d’être accompagnées dans cette recherche et soutenues dans leurs difficultés.

Comment remplissez-vous vos fonctions de cardinal en cette période où vous ne pouvez pas voyager ?
Le cardinalat n’est pas une fonction, c’est simplement une responsabilité de participer à l’élection du pape. Il est vrai que le pape confie quelquefois certaines fonctions précises à certains cardinaux, à la curie romaine, par exemple. Quant à moi, le pape m’a nommé comme consulteur au dicastère qui s’occupe du développement humain intégral, mais jusqu’à présent, je n’ai été sollicité qu’une fois l’an dernier pour participer à une rencontre sur l’écologie. Par ailleurs, bien avant le cardinalat, le pape m’a déjà confié la responsabilité d’évêque de Port-Louis et cela reste ma fonction principale.

Outre la mission spirituelle, un évêque a un rôle au plan social auprès de tous les citoyens indistinctement. Quelles sont vos dernières observations de la vie sociale et politique du pays ? Au vu de certaines démarches du gouvernement, êtes-vous d’accord avec des citoyens qui craignent un rétrécissement de la liberté d’expression ?
Il me semble que le gouvernement a bien géré la question de la pandémie ; c’est grâce aux efforts de l’équipe gouvernementale que l’île Maurice a été protégée. Cependant, il est triste qu’une avalanche de scandales ait émergé depuis ; cela laisse un goût amer même si l’enquête n’a pas encore donné ses conclusions.

Par rapport au budget, il y a une mesure dont je n’arrive toujours pas à comprendre le bien-fondé. Il s’agit du fameux projet Contribution sociale généralisée, et j’ai eu l’occasion de le dire au Premier ministre. Ce projet mélange la pension de vieillesse qui relève de l’Etat Providence et un système de contribution des citoyens qui relève d’un plan de pension. Pour moi, ce mélange entraîne une confusion qui n’est pas saine. Et par ailleurs, je n’arrive pas à comprendre pourquoi seuls les membres de la fonction publique ne contribueraient pas à ce fonds alors qu’ils auront, eux aussi, une augmentation de leur pension de vieillesse.

Peut-on connaître vos loisirs lorsque vous n’êtes pas dans vos fonctions épiscopales ? Auriez-vous une passion dans un domaine spécifique ?
Quand on parle de loisirs, je pense beaucoup à la marche. Cela me détend. Par exemple, j’aime bien me promener sur les sentiers du Dauguet à Port-Louis. J’aime aussi la lecture dans un endroit tranquille et pouvoir parler des livres lus avec des amis ou avec des membres de la famille.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -