Claude Canabady :« Il y a une colère grandissante parce que la population est frustrée »

Après avoir été membre du comité exécutif et ensuite président de l’Association des Consommateurs de l’île Maurice (ACIM) pendant 4 ans, Claude Canabady a formé la Consumers’ Eye Association (CEA) dont il est le secrétaire général. L’association, dont les membres sont tous des volontaires, oeuvre à prodiguer des conseils au public sur ses droits et ses devoirs. Dans cette interview, Claude Canabady pointe du doigt la mauvaise communication du gouvernement devant la détresse économique de la population. Il demande aux consommateurs d’être vigilants.

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l Entendez-vous monter cette sourde colère venant de la population? Qu’est-ce que cela vous inspire ou rappelle?

Évidemment, il y a une colère grandissante parce que la population est frustrée et pense que le gouvernement n’est pas à l’écoute. Il se peut que ce soit le contraire, mais ce n’est pas l’impression de la population. Le plus gros problème de ce gouvernement, c’est que la communication ne passe pas, malgré le fait qu’un grand nombre d’experts et conseillers sont payés grassement des deniers publics. Cette colère et cette frustration augmenteront au fil des jours. C’est essentiel que les autorités viennent avec des propositions concrètes le plus vite possible et démontrent une volonté d’être à l’écoute du peuple, tout au moins par ses représentants. Cela me rappelle le temps au Royaume Uni quand la Première ministre Margaret Thatcher était déterminée que la poll tax – officiellement connue comme la community charge – sera appliquée, peu importe les protestations. Une taxe injuste car tous les habitants et habitantes avaient à payer, sans prendre en considération leurs revenues respectifs. Pour donner suite à une protestation monstre à Londres et la démission de la PM, la taxe a été abolie et remplacée par la Council Tax, basée sur les valeurs des logements individuels. Une taxe qui démontre que le mieux loti que vous êtes devez payer plus pour aider ceux et celles au bas de l’échelle. Ici, il y a des manifestations qui sont prévues, mais c’est essentiel qu’une solution puisse être trouvée avant qu’on ne se retrouve dans une impasse.

l Est-ce que, comme tout le monde, vous ressentez une baisse de pouvoir d’achat?

À Maurice, les prix augmentent et les revenus n’augmentent pas ou même, dans certains cas, baissent. Cependant, une perte de pouvoir d’achat signifie qu’on peut avoir moins de ce qu’on avait pu acheter précédemment pour le même revenu. Les gens qui nous téléphonent à la CEA nous informent qu’ils peuvent obtenir seulement 60% des denrées et qu’auparavant, ils avaient 100%. Évidemment, toute la population le ressent, même ceux qui sont riches. De même, les consommateurs de la classe moyenne se trouvent dans des difficultés pour gérer leurs budgets mensuels, car certains ont perdu leur emploi pendant la période de Covid. En principe, les consommateurs achètent strictement l’essentiel ou cherchent les grandes surfaces offrant des promos sur les items qu’ils achètent régulièrement. Évidemment, ils ne pourront pas gérer leurs budgets tout au moins pour l’immédiat car la situation risque de s’empirer.

l Comment expliquez-vous cette montée de prix?

C’est inévitable avec la dépréciation de la roupie et l’augmentation du fret. Il faut être réaliste et comprendre qu’il y a certains facteurs qui sont hors de notre contrôle comme l’augmentation du fret et le prix des denrées importées. La situation ne s’améliorera pas, même si on a une augmentation de la capacité du fret maritime. La situation n’est pas brillante spécialement pour notre pays qui importe la majorité de ce dont nous avons besoin. Certaines autorités nous disent que la roupie est surévaluée et, de ce fait, une dépréciation était inévitable. N’étant pas un économiste, je ne vais pas trop m’aventurer dans ce domaine. Tout ce que je peux confirmer, c’est que l’euro valait Rs 42 en 2018 et est maintenant arrivé à Rs 49. Le dollar vaut maintenant presque Rs 43. La livre sterling frôle les Rs 60. Cela augmente également le coût de la taxe de la valeur ajoutée car tout ce qui est importé est basé sur la valeur du dollar américain.

l Est-ce que ces prix à la hausse sont toujours justifiés, surtout pour les produits intrants, totalement locaux?

Non. Évidemment pas parce qu’il y a une hausse de prix sur un produit, par exemple, l’huile comestible, que tout doit augmenter. Tous ceux et celles qui s’en servent, comme les différentes entreprises dans l’alimentation, prendront cette raison pour également augmenter leurs prix, même si ce n’est pas toujours justifié. Cependant, quand il y a d’autres augmentations en dehors du contrôle de l’importateur, comme par exemple, le coût du fret ou la dépréciation de la roupie, cela peut être justifié. Ce qui aurait aidé le consommateur à mieux comprendre et accepter une augmentation de prix, c’est de démontrer une transparence totale. Par cela, je veux parler des facteurs suivants : le prix à l’achat + toutes les taxes en détails, la marge de profit, si l’importateur a absorbé une partie de l’augmentation ou le détaillant a fait de même. Et le prix final au consommateur.

l Faudrait-il réintroduire le contrôle de prix?

Emphatiquement oui et dans le plus bref délai. Il faut le faire sur les denrées de base les plus essentielles comme le riz basmati, le grain sec, l’huile au moins. À long terme, il faut trouver une solution durable parce que bien que certaines augmentations puissent être très justifiées et d’autres sont purement des abus, c’est essentiel qu’il y ait plus de compétition parmi les grandes surfaces. La Competition Commission effectue un travail tout à fait louable. Elle agit comme chien de garde et son rapport sur les médicaments et pharmacies, récemment, a démontré son indépendance. La CEA souhaite que d’autres organisations non gouvernementales fassent également aussi bien que la Competition Commission. Il faut également penser aux subsides ponctuels sur certaines denrées de base pour alléger le fardeau des consommateurs.

l Sans imposer une politique stricte de contrôle, les autorités ne devraient-elles pas exercer une meilleure vigilance sur les niveaux des produits alimentaires d’utilisation courante et ceux des médicaments, par exemple?

Tout à fait d’accord. Il y a un manque de vigilance de la part des autorités bien qu’elles nous diront le contraire. Par exemple, tous les prix doivent être affichés. Si vous allez dans les marchés, vous verrez que ce n’est pas le cas. La balance qui pèse les produits qu’ils vendent doit avoir deux faces pour que le consommateur puisse voir aussi. Dans beaucoup de magasins et supermarchés, pas tous les prix sont affichés. Trop souvent, le prix de la caisse est différent de celui affiché et, par coïncidence, presque toujours en faveur du commerçant. Des consommateurs se sont plaints que certains commerçants éteignent leurs réfrigérateurs le soir pour les rallumer à l’ouverture le lendemain. On parle de beaucoup de pratiques douteuses où les autorités devraient donner une attention particulière.

l Compte tenu de la situation en ces jours de pandémie avec non seulement une hausse généralisée des prix mais aussi des pratiques mercantilistes, ne devrait-on pas songer à un ministère des prix de la protection des consommateurs entièrement indépendant de tout autre ministère?

Vous avez tout à fait raison car c’est une responsabilité qui demande beaucoup d’attention et beaucoup de dossiers à gérer au quotidien. Malheureusement, ce n’est pas le cas à Maurice car le ministre qui gère le ministère du Commerce et la Protection des consommateurs gère également le ministère du Travail et de l’Emploi qui est déjà une énorme responsabilité. À la rigueur, on aurait pu avoir un Parliamentary Private Secretary (PPS) pour s’occuper des droits des consommateurs à plein temps. Il/elle aurait plus de temps pour gérer les dossiers brûlants, rencontrer les associations et les consommateurs également. On a besoin d’une personne qui peut être sur le terrain et constater de visu tout ce qui se passe, au lieu d’être dans un bureau. Pour faire le point, je vais vous donner un exemple, a nouvelle Protection Consumers Act est en gestation depuis plusieurs années et à notre dernière rencontre avec l’ancien ministre concerné, il nous a dit que c’était pour bientôt. On a l’impression que cela a été renvoyé aux calendes grecques.

l Depuis toujours, les ministres des Finances et gouvernements qui se sont succédé ont imposé une taxe sur la valeur ajoutée (TVA). À taux unique. Pour protéger les économiquement faibles, n’est-il pas temps de revoir cela?

Je pense que ce sera compliqué à mettre en pratique. À moins qu’une taxe soit imposée sur les articles de luxe dépassant un certain niveau de prix. La CEA avait proposé dans les discussions pré budgétaires que la taxe sur les revenus soit sur une base progressive au lieu du taux unique. Cela aurait apporté beaucoup plus de revenus pour le gouvernement car un bon nombre de personnes gagnent au moins Rs 200,000 par mois. Cela aurait évité de mettre cette taxe de Rs 2 sur l’essence/diesel et aurait été suffisant pour l’achat des vaccins et beaucoup d’autres projets. Avant cette taxe additionnelle, il y avait déjà cinq imposées pour diverses raisons, telles la Covid Solidarity Fund et la Road Development Authority.

l Le pays dépend encore largement de l’étranger pour plus de 70% de ses besoins alimentaires. Pourtant, depuis des années, l’on ne cesse de tenir de grands discours sur l’importance de s’assurer sa sécurité alimentaire.

Les discours se suivent et se ressemblent. On le fait pour la galerie. On a parlé ad nauseam de l’autosuffisance. La CEA est consciente que c’est un objectif très difficile pour ne pas dire impossible mais on aurait pu au moins faire un pas dans la bonne direction. La CEA a rencontré l’ancien ministre de l’Agriculture il y a quatre ans de cela et on a parlé de l’autosuffisance alimentaire. On avait suggéré que le ministère encourage chaque citoyen d’avoir son potager personnel même ceux et celles qui habitent dans des appartements (un garden box). Au-delà du fait de produire des légumes et fruits sains, sans produits chimiques, c’est également une activité physique qui nous aide et aide le pays dans un projet d’auto-suffisance. Beaucoup de terres agricoles ne sont pas cultivées. Commençons donc par ouvrir plus de bureaux de l’Agricultural Marketing Board à travers l’île. C’est essentiel que les autorités organisent des causeries et vendent des semences à un prix raisonnable pour encourager une participation plus active.

• Faut-il plus que jamais consommer mauricien?

Oui, il faut encourager tous les Mauriciens à consommer des produits locaux mais la qualité doit primer si on souhaite être en compétition avec les importations. Les autorités doivent faire beaucoup plus pour les petites et moyennes entreprises (PME). On peut fabriquer beaucoup d’items qu’on importe. La main d’œuvre est là. Ce qu’il faut, c’est un coup de pouce en ayant des experts pour les guider. Si la qualité est là et le prix est compétitif, il n’y a aucune raison pour que les Mauriciens n’achètent pas le produit local. Il faut encourager les jeunes entrepreneurs. Pourquoi ne pas organiser des foires à travers les grands centres de shopping pour que tout le public puisse avoir un aperçu des talents de notre population locale?

l Sur le même sujet, en dépit de sa gigantesque Zone Économique Exclusive (ZEE) de près de 2 millions de kilomètres carrés, n’est-ce pas risible que Maurice doive importer du poisson et autres fruits de mer pour sa population?

S’il y a un aspect où Maurice est très fort, ce sont des projets en gestation, des projets sur papier et à venir. On peut voir les mêmes projets reproposés d’année en année. On a parlé d’économie bleue. Le concept est apparu dans les années 1990. Cela devrait créer plus d’emplois et plus de revenus pour le gouvernement. On a tout ce dont on a besoin pour réussir dans l’économie bleue. Avec la flambée des prix et la dépendance à outrance sur l’importation, c’est le moment de changer de mindset.

l Il faut aussi reconnaître que par son manque de vigilance et sa naïveté, le consommateur moyen est souvent le premier responsable quand il se fait tondre par des commerçants malhonnêtes…

Je suis tout à fait d’accord avec vous. À 100%. Le consommateur se fait souvent arnaquer parce qu’il ne connaît pas ses droits et ses devoirs. Les autorités nous informent qu’ils ont un programme pour l’éducation des consommateurs, mais dans le concret ce n’est pas très évident. Pour la CEA, c’est la priorité des priorités. C’est la raison pour laquelle on est une association qui va vers les consommateurs et, dans la pratique, on a commencé un projet d’éducation des consommateurs à la résidence Barkly. Ce projet sera complété cette année, mais on a déjà constaté qu’il y a un gros travail à faire à la base même car il y a des choses basiques dont le consommateur n’est pas conscient. À titre d’exemple, quand un consommateur fait un achat avec une garantie en bonne et due forme: si l’article en question ne fonctionne pas, qu’une réparation n’est pas possible et qu’un produit également semblable n’est pas disponible, il /elle a le droit à un remboursement en espèces. Il /elle ne doit pas accepter d’autre alternative à moins que cela lui convienne. Aussi, beaucoup de consommateurs ne comprennent pas la différence entre la date d’expiration / date of expiry et best before qu’on voit sur les produits. Date of expiry signifie de ne pas consommer après la date imprimée, alors que best before indique que le produit peut perdre sa fraîcheur, de son goût de son odeur, mais est toujours consommable.

l Il y a aussi les faux soldes et autres publicités mensongères…

La publicité est omniprésente. C’est pour vendre un produit ou donner un service. C’est tout à fait naturel, mais attention à la publicité mensongère, basée sur des informations ou présentations qui sont erronées! Réelles promotions ou attrape nigauds? Les soldes et promotions provoquent toujours l’engouement des consommateurs soucieux de faire de bonnes affaires, mais est-ce qu’ils ressortent vraiment gagnants? Les soldes et promotions peuvent présenter des avantages pour les entreprises et également pour le consommateur. Cela permet aux entreprises d’écouler un excès de stock, d’attirer plus de clients et de redynamiser leurs ventes. Cela peut être aussi profitable pour les consommateurs car ils peuvent bénéficier des réductions et faire de bonnes affaires à des prix qui sont souvent avantageux. Alors, il faut dire aux consommateurs : attention, soyez prudents quand vous êtes à la recherche de bonnes affaires. Soyez beaucoup plus vigilants que lors de vos achats habituels. Ne vous fiez pas seulement aux publicités attirantes, aux réductions, aux prix alléchants. Examinez en détail l’article en question et assurez-vous que le rabais annoncé correspond à une réduction réelle, par rapport au prix précédemment pratiqué. Soyez attentif aux faux rabais. Malheureusement à Maurice, il n’y a pas de loi qui réglemente les soldes /promotions, comme c’est la pratique en Europe. Par exemple, en France, les soldes sont d’une durée limitée et les produits en soldes doivent avoir été proposés à la vente au moins un mois avant la date de la période des soldes. En revanche, à Maurice, les soldes sont présents tout le long de l’année et même affichés en permanence dans certains magasins.
Pour mieux régulariser les soldes et promotions, la CEA propose que les soldes et promotions soient d’une durée limitée et que les articles en soldes aient été vendus à un prix supérieur au moins 28 jours avant la période des soldes. De même, quand des articles en soldes sont accompagnés de la mention Jusqu’à épuisement du stock, la quantité du stock doit être un minimum stipulé par la loi, parce que les commerçants se servent de cette tactique uniquement pour attirer les clients. Il ne doit pas y avoir une distinction entre les articles soldés et non-soldés. Et dans le concret, cela veut dire qu’il ne doit pas y avoir de limitation sur la garantie du produit, qu’il soit soldé ou pas.

l Le mot de la fin…

Dans la réalité, malheureusement, ce sont toujours les consommateurs qui paient les pots cassés et sont les dindons de la farce. C’est pourquoi plus que jamais, l’éducation des consommateurs sur leurs droits et devoirs est primordiale. C’est essentiel que les autorités concernées prennent conscience de leurs responsabilités et organisent un programme structuré, et non des causeries au petit bonheur. De notre côté, la Consumers’ Eye Association continuera à apporter sa pierre à l’édifice pour parfaire l’éducation des consommateurs. Nous sommes et serons plus que jamais une association de proximité.

 

L’interview de Claude Canabady ayant été faite avant l’annonce de la baisse de prix sur certains produits par le PM, nous lui avons donc demandé sa réaction sur ce développement :

« Un pas dans la bonne direction »

« La CEA accueille favorablement la décision prise par le gouvernement de revoir les prix des produits essentiels spécialement pour les familles les plus démunies en les ramenant aux prix pratiqués en janvier 2021. C’est tout à fait justifiable également de compenser les importateurs, grossistes et détaillants. Juste pour rappel, en janvier 2021, les prix avaient déjà commencé à prendre l’ascenseur suite à la Covid 19 et l’augmentation du prix du fret. Comme dit l’anglais: “ Let us be grateful for small mercies.” C’est un pas dans la bonne direction. Néanmoins, il faut trouver un moyen plus efficace pour s’assurer que les subsides aillent plus à ceux et celles qui en ont le plus grand besoin.

Par ailleurs, pour la CEA, l’Observatoire des prix n’a jamais été vraiment efficace pour aider les consommateurs. Il a été aboli en juillet 2015 par le ministre de tutelle à cette époque pour être remplacé par le National Price Consultative Committee (NPCC). D’après les autorités, l’Observatoire des prix n’était pas aussi efficient et pratique pour les consommateurs car géographiquement, cela n’aidait pas le consommateur. La CEA propose une corbeille ménagère avec 10 à 12 produits de base et de faire la comparaison dans les différents supermarchés et hypermarchés dans les 9 districts de Maurice sur une base mensuelle et conclure où cela coûte moins cher en identifiant le nom, la compagnie concernée de chaque district. Le choix sera au consommateur et créera une meilleure compétition entre les différents supermarchés et hypermarchés. Nous souhaitons toujours avoir une rencontre avec les autorités pour discuter d’autres moyens pour alléger l’énorme fardeau que les consommateurs ont à subir à présent et qui certainement ne diminuera pas, vu la situation mondiale au point de vue économique et sanitaire. »

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