CLIMAT — Après le rapport du GIEC : La voix des PEID est-elle entendue ?

Dans son dernier rapport, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) fait le constat que l’activité humaine endommage la planète à un rythme alarmant. Seule la réduction immédiate des émissions mondiales à zéro d’ici le milieu du siècle permettrait de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C à long terme et aiderait à éviter le pire. Le rapport demande aussi d’aider rapidement les communautés vulnérables à s’adapter et à renforcer leur résilience. Afin d’évoquer ces questions, Le Mauricien a interrogé trois diplomates en poste à Maurice, soit Kate O’Shaughnessy, haute-commissaire de l’Australie, Robert Banamwana, coordinateur résident des Nations Unies par intérim pour Maurice et les Seychelles, et Sally Harrison, haut-commissaire britannique adjoint.

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Sally Harrison (haut-commissaire britannique adjoint) : « Nous voyons déjà les effets du changement climatique à nos portes »

Le dernier rapport du GIEC est un appel à une action climatique immédiate. Le monde est-il au bord d’une catastrophe climatique aux effets irréversibles ?
Nous voyons déjà les effets du changement climatique à nos portes. Partout dans le monde, des conditions météorologiques extrêmes sont en marche. Des feux de forêt en Amérique du Nord aux inondations en Chine, en Europe et dans certaines parties de l’Afrique. Les avantages de la lutte contre le changement climatique sont nombreux et fondamentalement dans notre intérêt à tous. Parmi eux : un air plus pur, des communautés plus saines, une croissance économique durable, la sécurité énergétique et un climat plus sûr et plus stable. Une reprise verte et résiliente après le Covid-19 créera des emplois dans les industries du futur, tout en relevant les défis urgents et liés de la santé publique, du changement climatique et de la perte de biodiversité.
Nous encourageons les pays à saisir l’occasion d’élaborer des plans de relance verts, inclusifs et résilients qui sont à la hauteur de l’économie et de la planète. Si nous agissons maintenant, les pires impacts du changement climatique peuvent être évités. La science nous dit que nous devons réduire de moitié les émissions mondiales d’ici 2030, et atteindre zéro émission nette d’ici 2050 si nous voulons maintenir notre objectif de +1,5°C.

L’Accord de Paris a été adopté en 2015, mais nous n’avons pas encore vu le changement ambitieux et transformateur nécessaire. Quelle a été la réponse de la communauté internationale jusqu’à présent ?
Des progrès significatifs ont été réalisés depuis Paris, et la COP 26 verra des augmentations majeures de l’ambition, à la fois par le biais d’engagements au niveau national et de changements dans l’économie réelle. Il reste encore beaucoup à faire et nous mettons à l’aide de notre présidence pour veiller à ce que l’accord de Paris soit remis sur les rails. Le changement climatique reste un problème mondial et le processus de la Conférence des Parties est le meilleur moyen de rassembler toutes les parties pour y faire face.
Sous la direction du Royaume-Uni, les pays du G7 ont maintenant des objectifs de réduction des émissions pour 2030, alignés sur zéro émission nette d’ici 2050. Nous continuerons à faire pression pour atteindre nos quatre objectifs clés : assurer le « zéro émissions » net mondial d’ici le milieu du siècle et maintenir le +1,5°C à portée de main; s’adapter pour protéger les communautés et les habitats; mobiliser des financements et travailler ensemble pour assurer le succès de la COP 26 pour les populations et notre planète.

Quelles sont les questions clés à négocier lors de cette COP et que pouvons-nous en attendre comme résultats ? Quelle leçon pouvons-nous tirer de la pandémie pour lutter contre le changement climatique ?
L’avenir n’est pas encore écrit. Comme nous l’avons mentionné précédemment, si nous agissons maintenant, les pires impacts du changement climatique peuvent être évités. Le Royaume-Uni a clairement défini une voie pour réaliser ses ambitions en matière de changement climatique grâce à son plan en dix points ainsi qu’à des stratégies globales de décarbonisation de l’industrie lourde et du pétrole et du gaz de la Mer du Nord. Ces derniers mois, nous avons fait des progrès clairs et tangibles, avec des investissements records dans l’énergie éolienne, un nouveau système britannique d’échange de quotas d’émissions, des investissements de 5,2 milliards de livres sterling dans les défenses contre les inondations et la mer, des plans clairs pour décarboner l’industrie lourde et le pétrole de la Mer du Nord, et des entreprises qui s’engagent à devenir à zéro émission nette d’ici 2050 ou plus tôt.
La COP 26 vise à rassembler des contributions déterminées au niveau national (NDC) et de stratégies à long terme (LTS) ambitieuses, ainsi qu’à accélérer les transitions vers zéro émission net dans les secteurs clés de l’énergie, des transports et de l’utilisation des sols. Ces actions, combinées à une dynamique accrue, signifient que les pays peuvent continuer à accroître leur ambition au cours des prochaines années jusqu’à ce que nous atteignions la voie requise pour les +1,5°C. Nous sommes ravis de travailler avec Maurice à travers cet atelier pour aider à préparer la COP26.

Le financement climatique sera à nouveau au cœur des négociations de la COP26. Malgré les engagements des pays en développement, le niveau de financement climatique n’a pas encore atteint le montant nécessaire…
Nous exhortons les pays développés à honorer leur promesse de lever USD 100 milliards par an au titre du financement international de la lutte contre le changement climatique et à présenter des engagements financiers à l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre, y compris des engagements sur le financement de l’adaptation. Le Royaume-Uni s’est engagé à fournir 11,6 milliards de livres sterling de financement climatique entre 2021/22 et 2025/26. Il s’agit notamment de soutenir des programmes tels que le Partenariat pour une action précoce fondée sur le risque (REAP) et la Coalition pour les mesures d’adaptation (AAC). Le REAP rassemble un éventail de parties prenantes dans le but de rendre un milliard de personnes plus sûres contre les catastrophes climatiques d’ici 2025 et l’AAC est une occasion pour les pays développés et en développement de travailler ensemble sur des solutions locales, régionales et mondiales sur l’adaptation et la résilience.

Les petits États insulaires en développement (PEID) sont de plus en plus reconnus comme méritant une attention particulière. Comment les voix et les considérations des PEID comme Maurice peuvent-elles être prises en compte au niveau international ?
Le Royaume-Uni veut accueillir une COP inclusive et ambitieuse. Nous ne réussirons que si nous travaillons avec toutes les parties, et si nous veillons à ce que toutes les voix soient entendues dans les négociations. Nous sommes déterminés à faciliter l’accord sur un ensemble complet, ambitieux et équilibré de résultats négociés. Il est important de veiller à ce qu’aucune question et personne, y compris les PEID, ne soit oublié.

Kate O’Shaughnessy (Haute-commissaire de l’Australie) : « J’ai hâte d’explorer des opportunités de niche à Maurice »

Le dernier rapport du GIEC est un appel clair en faveur d’une action immédiate pour le climat. Le monde est-il au bord d’une catastrophe climatique aux effets irréversibles ? 
Le rapport de l’IPCC prévoit de graves conséquences si nous n’agissons pas maintenant. Mais nous avons encore la possibilité d’agir. Les discussions qui nous attendent, à Glasgow, en novembre 2021, sont essentielles pour que nous tracions tous la voie à suivre.

L’Accord de Paris a été adopté en 2015, mais nous n’avons pas encore vu le changement ambitieux et transformateur nécessaire pour atteindre son objectif de limiter le réchauffement climatique bien en dessous de 2°C .Quelle a été la réponse de la communauté internationale jusqu’à présent ?
Du point de vue de l’Australie, les solutions technologiques (comme l’hydrogène, le captage et le stockage du carbone, le stockage d’énergie de longue durée) sont des solutions. La suppression de la prime verte (la différence de prix entre les technologies actuelles et les solutions à faibles émissions) est la clé pour rendre le « net zero » pratiquement réalisable pour tous. Lorsqu’il y aura une adoption mondiale généralisée de la technologie à faible émission de carbone, nous verrons les émissions diminuer dans les secteurs responsables de 90% des émissions mondiales. 
L’Australie a quelque chose à offrir dans ce domaine. Nous avons une expertise, car nous travaillons en partenariat avec des pays comme le Royaume-Uni, l’Allemagne et le Japon pour développer des technologies d’énergie propre. Et nous avons des institutions. Notre Clean Energy Finance Corporation est d’ailleurs la plus grande banque verte gouvernementale au monde et a mobilisé plus de 30 milliards de dollars d’investissements dans des projets d’énergie propre. J’ai hâte d’explorer des opportunités de niche ici à Maurice ainsi que de partager cette expertise australienne.

Bien qu’ils contribuent le moins aux émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES), les petits États insulaires en développement (PEID) sont les plus vulnérables aux impacts du changement climatique. Quelles devraient être les principales priorités des PEID pour s’adapter au changement climatique ?
Vous avez tout à fait raison de mettre l’accent sur l’adaptation, qui est au cœur de l’approche de l’Australie en matière de soutien au changement climatique. En fait, plus de 80% du financement de la lutte contre le changement climatique en Australie soutient des programmes d’adaptation et de résilience et se concentre sur les PEID et les pays les moins avancés (PMA). 
Les priorités individuelles varieront bien sûr d’un pays à l’autre. Mais à un très haut niveau, je dirais qu’une bonne préparation implique l’utilisation des données pour prendre des décisions fondées sur des données probantes dans un large éventail de domaines (économie, eau, agriculture, préparation aux catastrophes et ainsi de suite). Et ces décisions doivent tenir compte de tous les membres de la communauté, y compris les femmes, les jeunes, les handicapés…
Je pense que Maurice fait déjà un excellent travail dans ce domaine. J’ai été ravie de voir, par exemple, que le représentant de Maurice au sommet Youth4Climate de l’Onu à Milan, en septembre, Mathieu Dacruz, était présent à notre récent atelier sur la diplomatie du changement climatique cette semaine. Il est très important de faire de la place pour le point de vue des jeunes, qui sont nos leaders de demain.

Le financement de la lutte contre le changement climatique sera à nouveau au cœur des négociations de la COP 26. Comment faire en sorte que des pays comme Maurice puissent s’adapter efficacement et renforcer leur résilience au changement climatique….
La Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques fixe très justement des objectifs clairs en matière de financement de la lutte contre le changement climatique. Tant les gouvernements que le secteur privé ont un rôle important à jouer à cet égard. Le gouvernement australien s’est engagé à verser 1,5 milliard de dollars au financement de la lutte contre les changements climatiques pour la saison 2020-2025, dont les deux tiers iront aux PEID et aux pays les moins avancés, principalement dans le Pacifique et en Asie du sud-est. Parallèlement, le partenariat australien pour le financement de la lutte contre le changement climatique mobilisera des investissements innovants du secteur privé dans des solutions à faibles émissions et résilientes au changement climatique en Asie du sud-est et dans le Pacifique. Dans cette région, l’Australie soutient le Commonwealth Climate Finance Access Hub, dont le siège est à Maurice et qui a entrepris des projets ici, aux Seychelles et ailleurs.

Les PEID sont de plus en plus reconnus comme méritant une attention particulière. Comment les voix et les considérations des PEID comme Maurice peuvent-elles être prises en compte au niveau international ?
Vous avez raison, on reconnaît de plus en plus que non seulement les voix des PEID doivent être entendues lorsque le monde parle de changement climatique, mais que ces pays doivent disposer des outils nécessaires pour les aider à faire entendre leur voix. C’est exactement le raisonnement qui sous-tend le soutien de l’Australie au renforcement des capacités des négociateurs sur le changement climatique, ici et aux Seychelles, par le biais d’un partenariat avec le Royaume-Uni et l’Onu, mais aussi par le biais du programme de développement de l’Australie dans le Pacifique, où nous offrons une formation similaire pour les négociatrices du Pacifique. Je dois dire qu’il y avait beaucoup d’énergie dans la salle virtuelle lors de l’ouverture du cours mardi, et je suis sûre que les responsables mauriciens et seychellois feront la fierté de leur pays à Glasgow en novembre.

Robert Banamwana (coordinateur résident des Nations Unies pour Maurice et les Seychelles) : « La décision de Maurice d’éliminer progressivement le charbon est très louable »

Une grande partie de l’attention mondiale en ce moment se tourne vers la COP 26, en novembre. Sera-t-elle notre dernière chance pour une réponse internationale coordonnée pour lutter contre le changement climatique ?
En 2019, le secrétaire général de l’Onu, António Guterres, avait souligné que la COP 25 était une occasion manquée pour la communauté internationale de montrer une ambition accrue en matière d’atténuation, d’adaptation et de financement pour lutter contre la crise climatique. À la lumière des données scientifiques récentes et de l’impact sans précédent du changement climatique dans le monde, il est désormais non seulement urgent, mais crucial, de prendre les mesures nécessaires pour lutter contre le changement climatique, faisant de 2021 un tournant majeur.
Lors des négociations de la COP 26, la devise clé devrait être plus d’ambition : plus d’ambition sur l’atténuation, plus d’ambition sur l’adaptation et plus d’ambition sur le financement. Il est également temps que les pays concluent le processus de négociation et passent à la mise en œuvre de leurs engagements ambitieux. Pour cela, tout le monde doit être prêt à faire des compromis. C’est la seule façon pour tout le monde de gagner la lutte contre le changement climatique.

Quelles sont les questions clés à négocier lors de la COP26 et que pouvons-nous attendre comme résultats concrets de cette réunion de la COP26 ?
Trois priorités fondamentales doivent être abordées lors de la COP26. Premièrement, les émissions nettes nulles devraient devenir la nouvelle norme pour tous les pays et pour tous. Il est nécessaire de créer une coalition mondiale pour des émissions nettes nulles de gaz à effet de serre d’ici le milieu du siècle. Deuxièmement, il faut mettre à nouveau l’accent sur l’adaptation aux changements climatiques, notamment en ce qui concerne le renforcement de la résilience des communautés et des sociétés. La troisième priorité est le financement; il devrait y avoir des propositions concrètes qui facilitent l’accès des pays les plus vulnérables à un financement et à un soutien technologique plus importants afin qu’ils puissent relever les énormes défis auxquels les populations sont déjà confrontées en raison des impacts du changement climatique.
2021 est également l’année de la reprise après la pandémie de Covid-19. Avec la même solidarité et le même objectif commun dont nous avons fait preuve dans la lutte contre la pandémie, nous pouvons parvenir à une reprise inclusive et durable, qui nous aidera à atteindre les objectifs de développement durable et l’Accord de Paris.

Quelles devraient être les principales priorités des PEID pour s’adapter aux changements climatiques ?
Bien que les PEID contribuent à moins de 1% des émissions mondiales de carbone, ce sont eux qui souffrent le plus des effets du changement climatique. Certains PEID pourraient d’ailleurs devenir inhabitables. Par exemple, de nombreuses îles atolls de faible altitude, principalement dans l’océan Pacifique, comme les îles Marshall et Kiribati, risquent d’être submergées d’ici la fin du siècle.
Les pays insulaires en développement ont rempli leur part du marché en ce qui concerne l’atténuation du changement climatique. À cet égard, la décision du gouvernement mauricien d’augmenter la part des énergies renouvelables d’ici 2030 à 60% et d’éliminer progressivement le charbon est très louable. Les principales priorités pour les PEID et pour Maurice restent toutefois l’adaptation aux changements climatiques et la résilience. La plupart des PEID seraient très probablement aux prises avec l’érosion côtière, la qualité et la disponibilité réduites de l’eau douce en raison de l’inondation des aquifères d’eau douce par l’eau salée, en plus des cyclones et des inondations plus intenses, ayant des effets désastreux à la fois sur la nature et les moyens de subsistance. En outre, de nombreuses îles sont protégées par des récifs, qui jouent un rôle clé dans l’industrie de la pêche. Ces récifs devraient mourir presque entièrement, à moins que nous limitions le réchauffement en dessous de 1,5°C.

Le financement climatique sera à nouveau au cœur des négociations de la COP 26. Malgré les engagements des pays en développement, le niveau de financement de la lutte contre le changement climatique n’a pas encore atteint le montant nécessaire…
Dans l’Accord de Paris, les pays ont reconnu la nécessité d’un climat spécifique et ont appelé à « rendre les flux financiers compatibles avec une voie vers de faibles émissions de gaz à effet de serre et un développement résilient au climat ». Parmi ces efforts concertés, les pays développés se sont engagés à mobiliser conjointement USD 100 milliards par an d’ici à 2020, auprès de diverses sources, pour répondre aux besoins urgents des pays en développement en matière d’atténuation et d’adaptation. En 2020, cela ne s’est pas produit. Cela doit se faire en 2021 et au-delà, et pour que nous ayons une COP 26 réussie, nous devons mobiliser le monde entier, sans excuses et sans prétextes.
Bien que, parmi les pays les plus vulnérables au climat, les PEID n’aient reçu que 2% du financement mondial de la lutte contre le changement climatique entre 2016 et 2018. Là encore, la mobilisation ne sera efficace que si nous surmontons les obstacles persistants auxquels se heurtent les PEID pour accéder au financement. Dans de nombreux pays, la capacité de mobiliser ces ressources est rare et limite la capacité des pays à rédiger des propositions de projets élaborées pour puiser dans des fonds, par exemple des Fonds verts pour le climat. À cet égard, l’équipe de pays des Nations Unies à Maurice a travaillé en étroite collaboration avec les institutions gouvernementales, le secteur privé et la société civile pour soutenir non seulement la mobilisation du financement climatique, mais aussi pour renforcer les capacités nationales d’accès à ces fonds.
En outre, seulement 20% de l’ensemble du financement de la lutte contre le changement climatique provenant des donateurs et des banques multilatérales et nationales de développement sont versés à l’adaptation et à la résilience au changement climatique, qui est une priorité essentielle pour les PEID. Il doit y avoir à la COP 26 des propositions concrètes pour faciliter l’accès à un financement et à un soutien technologique plus importants pour les pays les plus vulnérables et des engagements de la communauté internationale pour augmenter à 50% la part du financement climatique allouée à l’adaptation au changement climatique.

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