Commission d’enquête : le réseau international d’Azaree passé au crible !

Des contacts aux quatre coins du monde : des USA à Mayotte en passant par le Kazakhstan pour le patron de Gloria Fast Foods

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Lam Shang Leen : « Dois-je convoquer toute votre famille devant la Commission, puisque vous insistez pour les impliquer ? »

Des conversations téléphoniques avec un skipper de Pointe d’Esny et la présence d’Azaree au Yu Lounge GAM Terminal de l’aéroport, intriguent

Dépôt d’un chèque de Rs 1,6 M de l’épouse d’Azaree à un casino et les 599 appels téléphoniques à la patronne de White Beach Property Ltd, Fadiila Mosuddee, également au menu

Azaree nie avoir utilisé son bureau de Port-Louis pour remettre de l’argent de la part de Siddick Islam à Me Raouf Gulbul

Shahebzada Azaree, dit Dade, patron de Gloria Fast Foods, a été entendu pour la deuxième fois par la Commission d’enquête sur la drogue, hier. Pendant presque 75 minutes, l’ancien juge Paul Lam Shang Leen s’est étendu sur les « beaucoup, beaucoup de conversations téléphoniques » de Dade Azaree avec des contacts se trouvant aux quatre coins du monde : des USA à Mayotte en passant par le Kazakhstan ! Le principal concerné n’a pas identifié un seul de ses interlocuteurs. Les très grosses mises, et pertes, de businessman qui se dit “l’ami” de Navind Kistnah et du policier Basana-Reddi, tous deux impliqués dans la saisie record des 157 kilos d’héroïne, l’an dernier, étaient aussi à l’agenda de l’audition. L’ombre de l’ancien Chairman de la Gambling Regulatory Authority, Me Raouf Gulbul, a encore plané avec des allégations de financement de Siddick Islam, alias Ner.

Dade Azaree est arrivé, une nouvelle fois, entouré des membres de la SSU, comme lors de sa première déposition devant la Commission d’enquête sur la drogue, le 13 décembre dernier. Ses proches et parents étaient déjà présents et guettaient une occasion pour lui parler.

D’emblée, le président de la Commission d’enquête devait reprocher au patron de Gloria Fast Foods de ne « pas avoir produit les documents que nous vous avions réclamés en décembre, nommément vos Tax Returns de la MRA ! » Paul Lam Shang Leen a aussi fait ressortir que « ce n’est qu’il y a une demi-heure que votre épouse nous a remis un document, dont nous venons de prendre connaissance…»

Fidèle à son habitude, Paul Lam Shang Leen n’a pas mâché ses mots. À diverses reprises, il devait rappeler à Dade Azaree que celui-ci était sous serment. Cela puisque le patron de Gloria Fast Foods ne donnait aucune indication quant aux nombreux appels internationaux énumérés par le président de la Commission. L’ancien juge expliqua d’ailleurs, à un certain point de l’audition, que « nous en avons fini avec vous. Mais il reste beaucoup de pistes non-élucidées. D’autres instances maintenant vont prendre le relais et continuer à enquêter sur vous ». A ce stade, le président Lam Shang Leen devait inviter Dade Azaree à s’expliquer : nous vous donnons, ici, l’occasion. Avez-vous des choses à dire ? » Devant la réponse négative de D. Azaree, P. Lam Shang Leen ne cacha pas son dépit : « Si vous voulez tout garder pour vous… Comme je vous l’ai dit, dorénavant, ce sont d’autres agences du gouvernement qui vont enquêter de près sur vous. » À l’issue de la session de questions-réponses entre le président et celui qui déposait, axée principalement sur les fréquentations du patron de Gloria Fast Foods, Paul Lam Shang Leen a aussi déclaré : « Nous vous soupçonnons d’être de mèche avec les trafiquants de drogue ! » Ce à quoi le principal concerné devait objecter.

L’essentiel des 75 minutes qu’a duré l’audition de Dade Azaree hier concernait ses appels téléphoniques avec l’étranger. En décembre dernier, l’homme avait admis avoir plusieurs numéros de téléphone à son nom. Il rappela, de même, que certains des numéros étaient utilisés par ses enfants, nommément sa fille et son fils, tous deux mineurs. Rafraîchissant sa mémoire sur ces numéros à son nom, P. Lam Shang Leen devait décortiquer les documents remis par les opérateurs téléphoniques à cet effet.

Paul Lam Shang Leen : Selon le document qui nous a été remis, il y a plusieurs appels passés vers l’Angleterre. Pourquoi ?
Dade Azaree : Ma sœur vit là-bas
PLSL : Quel est son numéro ?
DA : Je ne m’en souviens pas.
PLSL : Combien de sœurs avez-vous ?
DA : Deux se trouvent en Angleterre
PLSL : Et vous ne vous souvenez d’aucun de leurs numéros ?! Bon, notez ces numéros que je vais vous donner…
(NdlR : le président Lam Shang Leen donne plusieurs numéros que Dade Azaree note. Il décline, de la tête, et répond qu’il ne connaît pas certains de ces numéros; puis, explique que l’un d’eux est celui de sa sœur, un autre, de son beau-frère… Et déclare que « ce sont probablement des numéros de mes neveux »).
DA : J’ai plusieurs oncles, tantes, neveux, nièces, cousins et cousines sans oublier mes sœurs et mes beaux-frères à l’étranger…
PLSL : Il y a en tout, 18 numéros que nous avons relevés, dont les appels ont été passés de vos portables.
DA : Il se peut que je confonde… J’ai plusieurs parents à l’étranger.
PLSL : Voyons les autres pays maintenant. Vous avez de la famille aux États-Unis ?
DA : Non !
PLSL : Alors pourquoi vous appelez des gens là-bas ?
DA : Je n’ai jamais appelé personne aux États-Unis…
PLSL : C’est vous qui le dites ! Nous avons au moins deux appels que vous avez passés aux USA. Et en Afrique du Sud, qui connaissez-vous ?
DA : Un ami…
PLSL : Réfléchissez-bien, M. Azaree. Vous êtes sous serment, je vous le rappelle. Combien d’amis avez-vous en Afrique du Sud ?
DA : Il y a un jockey avec qui je suis ami; puis, il y a un ami de ce jockey et un parent à moi… Donc, trois personnes.
PLSL : Cet ami qui est jockey, quel est son numéro ?
DA : Je ne le sais pas.
PLSL : Pour la période de 2015 à 2016, nous avons relevé 20 appels environ et sur cinq numéros différents. Aux Emirats Arabes Unis, vous connaissez des gens ?
DA : Non.
PLSL : Pourtant, vous avez reçu des messages provenant de là-bas. Qui connaissez-vous au Luxembourg ?
DA : Personne.
PLSL : Vous n’avez jamais appelé personne là-bas ?
DA : Non.
PLSL : Et si je vous dis que ce numéro que vous avez appelé correspond à une agence d’escort girls ?
DA : Qui ? Moi j’ai appelé cette agence ?
PLSL : Le numéro correspond au vôtre… En Inde, vous avez des connaissances ?
DA : Non.
PLSL : Pourtant, il y a 23 communications avec vos numéros…
DA : Ah oui, j’ai un beau-frère qui s’y était rendu.
PLSL : Aux Pays-Bas, qui connaissez-vous ?
DA : Personne.
PLSL : Et pourtant vous avez appelé quelqu’un au Pays-Bas !
DA : L’appel provient de mon numéro ?
PLSL : M. Azaree, quand je vous dis que des appels ont été retracés, c’est définitivement à partir des numéros qui sont enregistrés à votre nom, et pas d’un autre ! Au Bangladesh, qui avez-vous appelé ?
DA : C’étaient des agents recruteurs quand je cherchais des employés pour travailler pour mon restau…
PLSL : Ah ! Et quand je vous en avais parlé l’autre fois, vous aviez nié avoir des employés bangladeshis ! Qui avez-vous contacté en Malaisie ?
DA : Ma sœur était partie étudier en Malaisie.
PLSL : Quel était son numéro ?
DA : Je ne sais pas.
PLSL : Depuis quand votre sœur est-elle rentrée au pays ?
DA : Peut-être deux ans de cela… En 2016…
PLSL : Vous connaissez qui en Thaïlande ?
DA : Personne.
PLSL : Il y a pourtant 21 échanges téléphoniques avec un bon nombre de numéros ! Comment vous expliquez cela ? Et c’est vous qui avez appelé !
DA : Je ne sais pas.
PLSL : A Mayotte, vous connaissez des gens ?
DA : Non.
PLSL : Et pourtant, vous avez passé des appels à Mayotte ! Il y a un réseau de trafiquants qui œuvre là-bas !
DA : Non, non, je n’ai jamais appelé personne à Mayotte !
PLSL : Vous voulez jeter un œil au relevé ? Vous verrez qu’il y a quatre appels de votre téléphone ! Vous avez passé des appels au Kazakhstan en 2017 ?
DA : Non… À quelle date ?
PLSL : Pourquoi ? Si je vous donne la date, ça va vous aider à vous en souvenir ?
DA : Peut-être…
PLSL : Et si je vous dis que la date correspond à l’arrestation, par l’ADSU, de deux ressortissants du Kazakhstan, à l’aéroport, pour une affaire de drogue ?
DA : Je ne suis jamais allé au Kazakhstan.
PLSL : Est-ce que je vous ai demandé cela ? Je vous ai dit qui vous avez appelé au téléphone, au Kazakhstan ! En août 2015, il y a plusieurs communications avec le Kazakhstan dont certains de plus de trois minutes ! Qui connaissez-vous à Christmas Island ?
DA : Où se trouve cet endroit ?
PLSL : A vous de me dire ! Vous avez appelé des gens de là-bas… Voilà. Ça, c’était pour vous montrer que vous avez un grand nombre de communications avec des pays étrangers. Et la France, qui vous appelez ?
DA : J’y ai des oncles et des cousins…
En fin de session de questions-réponses avec Dade Azaree, le président de la Commission lui demanda quelques informations concernant « votre petit bureau, dans le restaurant que vous avez à la rue Desforges, et où vous nous avez dit que vous avez donné gratuitement à manger aux agents de Me Gulbul, durant la campagne de 2014. Est-ce qu’à un certain moment vous n’avez pas, dans ce petit bureau, donné de l’argent, de la part de votre grand ami qui est en prison et qui a acheté un terrain près du vôtre, à savoir, Siddick Islam, à Me Raouf Gulbul ? » D. Azaree nia avoir fait cela.
Paul Lam Shang Leen avait aussi, au préalable, et à partir d’un document remis par Mme Azaree, peu avant le début des travaux, hier, questionné Dade Azaree quant à ses importations de l’Angleterre. Le 13 décembre dernier, le patron de Gloria Fast Foods devait indiquer qu’il faisait venir « des épices, dont du tandoori », pour les plats présentés dans ses restaurants. Parcourir le détaillé des importations a amené le président de la Commission à remarquer que « ce sont des peccadilles en comparaison aux sommes que vous misez aux jeux ! »

Le mystérieux skipper de Pointe D’Esny
Aspect important de la déposition de Dade Azaree, hier: ses relations avec un skipper résidant à Pointe d’Esny. Au départ, l’homme devait nier connaître qui que ce soit répondant à cette description. Puis, face aux informations de P. Lam Shang Leen, notamment concernant le numéro de téléphone duquel les appels vers ce skipper du sud ont été passés, D. Azaree indiqua que « le numéro est utilisé par mon fils ». Le président de la Commission alla droit au but : « Si vous allez impliquer tous les membres de votre famille, je vais devoir les convoquer tous, ici… C’est ce que vous voulez ? Prenez le temps de bien réfléchir et assumez vos responsabilités, M. Azaree. »

Dade Azaree devait alors expliquer qu’il était, effectivement, en communication avec un certain Narainsamy, habitant le Sud, « me li pa skipper. Li fer bato li…» Pour P. Lam Shang Leen, la personne en question répond au nom de Murday. L’ancien juge devait ainsi expliquer que, « selon les relevés des opérateurs, on peut retracer ceux qui communiquent des lieux où ils le font. Par exemple, nous avons appris que vous vous trouviez dans les parages de Mahébourg, plus précisément, de l’aéroport, quand vous parliez avec ce skipper…» Le président de la Commission est revenu en détail sur « une série de communications qui remontent à mars 2017, où vous vous trouviez au Yu Lounge GAM Terminal de l’aéroport de Plaisance quand vous lui parliez. De quoi vous discutiez ? Qu’étiez-vous allé faire au GAM Terminal ? » Il convient de savoir que le GAM Terminal est un accès réservé aux VVIP et jets privés qui atterrissent à Maurice. Il s’agit d’un accès spécial. D. Azaree devait nier se trouver là-bas, et déclara qu’il s’était rendu « chez Pats, pour chercher mes épices, que j’avais importés ». P. Lam Shang Leen lui fit remarquer que « cela s’est passé le soir… Je doute que Pats était ouvert pour vous livrer vos épices, à cette heure-là ! » L’ancien juge donna encore des détails quand à cette soirée : « Entre 21h et 23h, vous avez échangé, avec ce skipper, 84 minutes de conversation ! Que lui disiez-vous ? Vous lui donniez des instructions ? »

Paul Lam Shang Leen devait, une fois de plus, relever que Dade Azaree compte, « essentiellement parmi vos fréquentations, des trafiquants de drogue… Ce qui nous amène à soupçonner que vous avez des liens avec le trafic ! »

Siddick Islam lors de son audition, l’an dernier

Lauthan : « Vous étiez financier de la mafia…»
Lors de son tour de questionner Dade Azaree, l’assesseur Sam Lauthan devait relever qu’« entre vous et le policier affecté au PIO, Basana-Reddi, il y a eu pas moins de 138 appels échangés sur la période allant du 1er janvier 2015 au 14 janvier 2017. Comment vous expliquez cela ? » Pour M. Azaree, il s’agissait ni plus ni moins du fait que « nous parlions de courses…» Amenant S. Lauthan à rétorquer : « que des courses ? Et pourtant dès qu’il en a eu l’occasion quand il a été arrêté, Basana-Reddi a déclaré que la drogue importée était pour vous ! »

L’assesseur, ancien ministre de la Sécurité Sociale et travailleur social actif sur le terrain, en matière de lutte contre la drogue, a profité de cette occasion pour donner sa lecture des choses. Ainsi, il devait indiquer que, selon lui, « vous, (NdlR : Dade Azaree) avez été, dans un premier temps, un financier de la mafia. Vous n’aviez pas les mains dans le business. Mais, à un certain moment, vous avez été tenté… Et vous vous êtes lancé dans le trafic. Sinon, comment expliquer que Basana-Reddi vous ait dénoncé et qu’il ait dit que la drogue importée était pour vous ! »

L’assesseur de la Commission a aussi indiqué que selon les relevés téléphoniques, « il y a eu 29 communications entre vous et Navind Kistnah. Vous l’avez appelé à 22 reprises, et il vous a appelé 7 fois. » Pour D. Azaree, cela s’explique du fait qu’« on s’appelle souvent pour aller manger ensemble…» Il devait aussi nier être copropriétaire de cheval avec Navin Kistnah, dans le même souffle.

Sam Lauthan devait aussi revenir sur le fait que des appels ont été enregistrés entre le téléphone de Dade Azaree et la détenue Lina Gentil. Là encore, l’assesseur a donné ses explications : « alors que tous les regards sont braqués sur les caïds qui sont en prison, comme Curly Chowrimootoo ou Peroumal Veeren, personne ne faisait attention aux femmes… C’est comme cela que Lina Gentil est devenue une plaque tournante du trafic de l’intérieur de la prison ! » S. Lauthan a donné des noms de certaines femmes, dont Anshila Pulliah, Chantal Petit et Anne-Marie Gustave « qui ont déposé devant la Commission et qui ont expliqué comment fonctionne le réseau par le biais de Mme Gentil. Et il y a encore plusieurs autres femmes impliquées… C’est un réseau extraordinaire et vous êtes en contact avec cette femme ! » A cela, D. Azaree devait répondre qu’il n’avait « jamais parlé à L. Gentil. Quand elle appelle, je décroche mais elle ne parle pas…»

Transit de Rs 6 M sur le compte de Mme Azaree
Autre indication de taille de Sam Lauthan : « Pour la période du 13 août 2013 au 13 août 2015, pas moins de Rs 6 millions ont transité par le compte bancaire de votre épouse, M. Azaree ! » Avant cela, l’assesseur devait effectuer un rapide relevé de plusieurs mises du patron de Gloria Fast Foods aux casinos, s’appuyant surtout sur ses pertes, des sommes considérables : « le 13 février 2013, vous perdez Rs 190 000; le 18 février, soit cinq jours plus tard, Rs 180 000. Le lendemain, 19 février, Rs 160 000 et le même jour, peu après, Rs 200 000. » S. Lauthan donna plusieurs chiffres dans le même esprit. D. Azaree admis : « Je suis un “gambler”, je le reconnais. Je gagne, je perds aussi…»

P. Lam Shang Leen devait rebondir sur l’argument et demander au témoin s’il prélevait les sommes qu’il misait des comptes de la compagnie, et s’il les remplaçait, par la suite. Les explications de D. Azaree sur ce point furent plutôt évasives. Le président de la Commission devait aussi rempiler avec le fait que « nous avons aussi, selon le relevé des casinos, un “dépôt en chèque” d’une valeur de Rs 1.6 M, déposé par votre épouse…» L’homme devait tenter de donner ses explications, à diverses reprises, sur la question. Cette transaction remonte au 25 avril 2015, a indiqué P. Lam Shang Leen.
Le nom de l’épouse de Dade Azaree est également revenu sur le tapis quand le président Lam Shang Leen lui a demandé des explications quant à ses appels téléphoniques — 599 entre janvier et avril 2017 — à la gérante de White Beach Property Ltd, Fadiila Mossudee. L’homme expliqua que « c’est une amie de mon épouse ».

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