Conséquences économiques de la pandémie : L’entrepreneuriat féminin particulièrement menacé

Nadine Pierre (EFOI) : « La femme entrepreneur mettra plus de temps à se remettre comparé à l’homme

- Publicité -

À la tête de leur petite entreprise, où certaines sont seules à bord, des femmes entrepreneures sont des actrices non négligeables du secteur économique. Piliers financiers de leur foyer pour beaucoup d’entre elles, ces femmes sont particulièrement menacées par les retombées de la crise sanitaire du coronavirus. Elles nous confient leurs inquiétudes et leur détermination à rebondir après le confinement.

« Mo pa dormi ditou. Tou le-swar mo demann mwa kouman mo pou fer pou mo bizness », confie Sridevi, femme entrepreneure qui s’est spécialisée dans l’agroalimentaire. La cinquantaine, Sridevi travaille à son compte depuis plusieurs années. Ses achards, son masala maison et ses prestations en service traiteur ont conquis une fidèle clientèle, grâce à laquelle elle paye ses factures mensuelles de Rs 2000, achète ses provisions Même si ses enfants, adultes, ne dépendent plus d’elle, Sridevi compte sur son petit business pour vivre. Depuis le confinement, plus de foires, plus d’expo-vente et plus de commandes

« Je communique avec mes clients sur les réseaux sociaux. Tous les jours, je regarde mes applications. Il n’y a rien ! » se désole l’entrepreneure. À la reprise, Sridevi ne se fait pas d’illusion. « Il ne fait aucun doute que les réceptions et les mariages ne seront pas pour de sitôt. Et le fait de n’avoir pas eu de revenu depuis bientôt un mois, je dois envisager l’avenir autrement », poursuit-elle. Si elle a déjà bénéficié des Rs 5100 du self-employed assistance scheme de la Mauritius Revenue Authority, elle sait que pour les mois à venir, elle aura à trouver d’autres moyens pour subsister.

Qu’elles soient cheffes de famille ou qu’elles participent au budget familial, les femmes qui se sont lancées dans l’entrepreunariat pour renforcer leur capacité économique sont aujourd’hui contraintes de repenser leur petite entreprise pour garder la tête hors de l’eau et pour désormais, disent-elles, survivre. Les femmes petits entrepreneurs seront doublement affectées par les conséquences de cette crise pandémique. Leur secteurs d’activité n’étant pas toujours une priorité pour les consommateurs ciblés, elles risquent de ne pas générer de revenus dans les mois à venir. Aussi, beaucoup de ces femmes sont les seuls piliers économiques de leur foyer

« La femme entrepreneur mettra plus de temps à se remettre au business comparé à l’homme. Des semaines voire des mois après, car sa priorité reste la santé de sa famille, surtout s’il y a déjà un membre malade », avance Nadine Pierre, présidente d’Entreprendre au Féminin Océan Indien (Maurice). D’où sa demande pour le renouvellement de l’aide financière aux entrepreneurs. « La majorité d’entre nous travaille le matin pour manger le soir », rappelle Nadine Pierre.

De l’agroalimentaire à la décoration raffinée, de la fabrication de savons artisanaux à une école de formation aux métiers de l’hôtellerie, les femmes qui sont à la tête de leur entreprise sont unanimes quant à leur situation. Toutes celles qui se sont confiées à nous affirment être dans le même bateau, indépendamment de la taille de leur business. « Je continue la formation en ligne. Pour le moment, je dois sauver mon école et les compagnies que je gère. Je me donne tous les moyens pour cela, car je n’ai pas d’autres alternative pour rebondir », concède Nadine Catherine Delpy, directrice de The Task Consulting Ltd

Contrairement à cette dernière, Stéphanie, mère de famille de 44 ans et qui s’est lancée dans le secteur de la décoration depuis deux ans en fondant une petite entreprise, ne peut travailler à distance. « Mon activité ne permettant pas le télétravail, celle-ci a été totalement stoppée. Certes, les clients peuvent me demander des cotations, mais cela s’arrête là, faute de pouvoir réaliser leurs demandes. Donc, aucune facturation, pas de rentrée d’argent ! » dit-elle. Stéphanie travaille avec des décorateurs, des hôtels. Si à ce jour, affirme-t-elle, aucun de ses clients n’a décommandé ses services, elle s’interroge sur les retombées de la récession économique qui guette le pays. « Et pour rebondir ? Je n’ai pas assez de recul et d’informations pour cela, l’après-confinement me permettra peut-être de savoir comment et quoi faire pour ne pas couler », dit-elle. Pour le moment, Stéphanie peut s’en sortir financièrement et peut compter sur son époux pour les dépenses domestiques.

Rebondir

Rosy Felix, entrepreneure spécialisée dans le textile, n’a pas attendu longtemps pour passer de la confection de vêtements de nuit aux masques. « L’avenir pour les petits entrepreneurs s’annonce sombre. Je suis certaine que les Mauriciens feront de l’alimentation et de la santé leur priorité. Ils ne vont pas acheter des vêtements ou sacs, deux items que je fabrique, pendant longtemps », observe Rosy Felix. Par contre, avec le port du masque qui s’avère une nécessité qui va perdurer et l’arrivée de l’hiver, la demande pour cette protection et de pyjamas pour enfant augmentera. Rosy Felix dont l’atelier est à domicile, s’est déjà mise au travail.

« J’ai un stock de tissus que je ne peux utiliser en ce moment, j’ai du matériel, ce qui fait que je peux confectionner des masques. J’en ai parlé à des proches et amis qui en ont acheté. J’en fais 10 à 50 par jour et que je vends à Rs 25 l’unité. Mes masques en tissus sont triplés en épaisseur ou peuvent être rembourrés avec du coton ou sopalin. J’utilise les réseaux sociaux pour les promouvoir, mais avec le confinement, il est impossible de les livrer », explique Rosy Felix. Cette dernière, qui a atteint l’âge de la retraite, est toujours active. « Il faut payer ses factures, le carburant pour la voiture, vivre  », dit-elle. Avant l’arrêt forcé de ses activités, Rosy Felix sous-traitait ses commandes. Grâce à elle, deux dames de son quartier pouvaient arrondir leurs fins de mois. Parce qu’elle estime malgré tout pouvoir mieux s’en sortir que d’autres entrepreneures, Rosy Felix a décidé de ne pas réclamer le support de Rs 5100. « Que cet argent puisse servir à une autre personne », dit-elle.

« En regardant le futur, nous ne pouvons pas ne pas paniquer ! » s’inquiète Nadine Pierre, « vu les commandes réduites ou annulées, l’augmentation de la location, des matières premières, le manque de liquidité, les difficultés pour vendre, les acheteurs réduits drastiquement. De plus, nous avons peur de nous embarquer dans des emprunts. » Partageant cet avis, Tessa Fauvrelle, mère de famille et à la tête d’Essentia Soap Bar depuis 2015, explique que malgré l’absence de revenu durant cette période de confinement « les standing orders, eux, ont bien été débités. » 

Tessa Fauvrelle insiste : « Si le confinement perdure et que la reprise est lente, les institutions financières pourraient geler les emprunts personnels et commerciaux pendant un laps de temps, car cela va être très difficile pour les petites et moyennes entreprises. Ce serait souhaitable que les institutions telles que la NWEC et SME Mtius encadrent leurs membres à la reprise. » Depuis qu’elle ne peut vendre ses savons, ce sont plusieurs milliers de roupies qui ne sont pas rentrées dans la caisse. « J’espère qu’à la reprise, les Mauriciens donneront un coup de pouce au Made in Mauritius. Pour leur part, les producteurs locaux auront aussi à pratiquer des prix intéressants pour encourager l’achat de leurs produits. Pour ma part, j’ai déjà commencé ma production pour la fête des mères. Je suis de nature optimiste et je ne baisse pas les bras. » 

Abondant dans ce sens, le courage et la résilience caractérisent la femme entrepreneur, dit Nadine Pierre. « Chacune devra chercher le bien qui pourra naître de ce mal. Certes, celles qui changeront de secteur d’activités, qui deviendront polyvalentes ou qui sont en coopérative, auront un avantage. La ferme intégrée, projet phare d’Entreprendre au Féminin Océan Indien Région Maurice, arrive à temps pour celles qui se tournent vers la terre, vers l’agrobusiness. Il nous faudra convaincre le plus grand nombre de femmes entrepreneurs pour qu’elles comprennent le rôle ou l’importance de l’agriculture dans l’après Covid-19 », avance Nadine Pierre.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -