Construction : Quand le bâtiment va, tout va à Maurice ?

« Quand le bâtiment va, tout va », dit l’adage. Quelques mois après le confinement, l’heure est au constat. Si le secteur du tourisme, un des plus affectés, essaie de se réinventer en misant sur le tourisme intérieur, un autre secteur, moins visible, se retrouve lui aussi sur le banc de touche. Le secteur du bâtiment est à bout de souffle. Avec une hausse du prix des matériaux, dont le ciment pour l’heure, la dépréciation de la roupie et le retard au niveau de la livraison des produits, entre autres, les acteurs du secteur broient du noir. Et ce, malgré les récentes initiatives prises par l’État et le ministère de tutelle pour tenter de relever le secteur. Tour d’horizon.

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« Je ne sais pas si je pourrai continuer les travaux de construction de ma maison. J’avais déjà planifié un budget, mais avec la Covid et la hausse des prix annoncée, je ne sais plus si je pourrai honorer mes engagements financiers auprès de la banque et de mon contracteur. Aussi, je dois économiser pour mon mariage », confie Rajeev, jeune employé du secteur privé. Comme lui, grand nombre de jeunes couples devront mettre leur rêve de devenir propriétaires on hold, le temps que les choses s’arrangent. Du moins, si elles s’arrangent, car avec la crise économique en perspective, le pouvoir d’achat diminué et la sécurité d’emploi fragilisée, le Mauricien lambda hésite. Pour cause, dans un entretien paru dans Le Mauricien le mois dernier, Dominique Billon, directeur général de Kolos Cement Ltd, soutenait que « la confiance sera un élément clé […] En effet, les projets de construction de maisons individuelles, qui représentent une grande part du marché pour le ciment, joueront un rôle important pour maintenir la demande à un niveau suffisant. »

Car outre le ciment, une hausse des autres produits est attendue, même si les coûts n’ont, pour l’instant, pas encore établis. « C’est un fait, la crise a eu un impact énorme sur le secteur », explique Abhishek Golap, Quantity Surveyor. « En janvier et février, le secteur se portait bien, mais la crise Covid a tout chamboulé. » Il explique ainsi que le talon d’Achille de ce secteur demeure sa dépendance sur les importations. « Nous connaissons actuellement un ralentissement au niveau des transactions des devises étrangères et au niveau des achats », dit-il. Un ralentissement dû principalement à la fermeture des frontières et à la dépréciation de la roupie. « En 2018, l’on estimait le dollar à Rs 34,88 et deux ans plus tard le dollar est estimé à près de Rs 40. » Une fluctuation au niveau du change, influençant directement le secteur, et qui plus est le citoyen lambda. « Les ouvertures en aluminium par exemple s’achètent au dollar. Que devons-nous en conclure ? » se demande Abhishek Golap.

« Il ne nous reste  que les miettes »

Un avis que partage Divesh Guttee, de la Mauritius Association of Architects (MAA). « Effectivement, en plus de la baisse du pouvoir d’achat du Mauricien, il y va aussi de sa capacité d’emprunt », dit-il. « Les gens sont dans le rouge, il y a la baisse des salaires, la perte d’emplois et la baisse du Loan Power. Le client sera peut-être contraint de réduire tout ce qui est additionnel : les carreaux, les installations en aluminium, etc. » Pour lui, l’État devrait ainsi travailler avec les banques pour encourager les Mauriciens hésitants à construire, et par là même relancer, un tant soit peu, le secteur. « Selon le Forex, on s’attend à une augmentation de 10 à 15%. Sans touristes, et donc sans devises étrangères, l’on doit s’attendre à une flambée des prix. Aussi, face aux navires bloqués pendant le confinement, l’on doit s’attendre à des coût additionnels au niveau des frais d’affrètement, mais aussi au niveau de pénalités causées par les retards de livraisons des projets », dit-il.

Car, oui, le bâtiment ne va pas bien. « Nous avons en ce moment uniquement des projets qui avaient déjà commencé avant la Covid, mais à part cela, rien. Il n’y a pas de nouveaux clients pour les gros projets de construction », ajoute Xavier Maurel, vice-président de la MAA. « L’on dit en France que quand le bâtiment va, tout va, mais c’est loin d’être le cas ici », déplore-t-il. « C’est un effet domino et en ce moment, il faut le dire : il y a un ralentissement dans la construction. » Ce dernier déplore aussi que les grands projets d’envergure sont remis aux étrangers que l’expertise mauricienne est bel et bien là. « Il ne nous reste que les miettes et en période de crise, ce n’est pas grand-chose », dit-il.

En effet, nos interlocuteurs sont unanimes : la construction est directement liée à l’économie et il faut à tout prix la relancer ! Pas de chantier, pas de travail pour les artisans, et ainsi de suite. « C’est un effet domino, si un tombe, tout tombe », explique Divesh Guttee. « D’ailleurs, aux Etats-Unis, on a décidé de ne pas arrêter ce secteur pendant la crise. » Et pourtant, le pays est un véritable chantier, avec les travaux en cours du Metro express, de l’échangeur autoroutier à Phœnix ou encore l’Urban Terminal. « Le gouvernement mise sur des projets publics, mais qui n’ont pas de poids réel dans le secteur », dit-il. Ainsi, à la place, les architectes préconisent un investissement dans des projets ponctuels, c’est-à-dire localisés, pour permettre d’une part aux petites et moyennes entreprises de construction de joindre les deux bouts, mais aussi pour améliorer le paysage déjà entassé du pays. « Nous n’avons pas forcément besoin de tous ces fly overs qui deviendront des espaces résiduels. C’est un gâchis d’espace », ajoute Xvier Maurel.

« L’État investit beaucoup dans des infrastructures publiques. Pourquoi pas dans des espaces publics ? » se demande Divesh Guttee. En effet, outre la crise économique et du bâtiment, l’architecte nous explique qu’on est à la croisée des chemins en termes d’aménagement des espaces. « Les maisons de demain devront obligatoirement avoir un coin bureau et aussi un cellier pour le stockage des aliments », dit Divesh Guttee. « Aussi, les pelouses seront vites remplacées par des espaces potagers, car c’est ce que le monde demande. » Ces derniers préconisent par ailleurs la création de villes mixtes, entre bureaux et résidences. « Que deviendra Ébène si l’on devait tous travailler à domicile ? Il faut aussi investir dans les centres-villes, car il y a tellement de choses à faire », explique Xavier-Maurel.

Ram Bahadoor (Construction Industry Development Board) : « La reprise sera graduelle »

Une reprise graduelle. C’est ce que pense Ram Bahadoor, Executive Director du Construction Industry Development Board (CIDB). Si effectivement le secteur de la construction a été lourdement affecté par la crise Covid, il reste néanmoins positif. « La reprise se fera graduellement », dit-il.

Relativement jeune entité gouvernementale gérant l’enregistrement des contracteurs de Maurice et veillant au bon déroulement des travaux de développement, entre autres, le CIDB a noté un engouement des petites et moyennes entreprises de construction lors de la reprise post-confinement. L’on compte ainsi actuellement 1 200 contractuels enregistrés dans le pays. « S’il y a cet intérêt, cela signifie qu’ils ont pu identifier les opportunités sur le marché. » En effet, conscient du manque de visibilité des gens du secteur, Ram Bahadoor explique que le nouveau cheval de bataille du CIDB est « que le gâteau soit partagé équitablement » entre petits et grands contracteurs.

« Nous sommes conscients des problèmes du terrain et c’est aussi pour cela que les seuils pour la certification des maîtres d’oeuvre ont été revus dans le Finance Bill. » Les petits contracteurs peuvent désormais entreprendre de plus gros travaux, ce qui leur permet d’acquérir plus d’expérience, d’employer plus de personnes et de s’épanouir au sein du marché, à la fois local et international. « Il y a eu dans le budget 30 à 40 mesures pour tenter de rebooster le secteur et cela est très positif, car c’est un fait que la construction est le moteur de l’économie d’un pays. »

Aussi, le CIDB souhaite que les métiers de la construction soient revalorisés. « Il faut former les gens du métier, mais aussi les revaloriser. Un simple changement de terme pourrait aider à faire avancer les choses, par exemple au lieu d’utiliser « maçon » on utilisait « artisan » », dit Ram Bahadoor. Par ailleurs, il explique que pour aider à reconstruire le secteur, plusieurs projets sont en cours, dont le e-registration des contracteurs locaux et étrangers et la mise en place d’un National Schedule of Rates pour faciliter le travail des petits entrepreneurs et des individuels également.

Construire ou acheter un bien immobilier ?

Un loan power diminué, prédisent les acteurs du secteur. Néanmoins, ce n’est pas le calme plat du côté des banques et des institutions financières. Si les banques mettent en effet les bouchées doubles pour tenter d’attirer de nouveaux investisseurs encore hésitants, la Mauritius Housing Corporation a noté, de son côté, « un intérêt grandissant pour investir. »

Anand Babbea, Managing Director de la MHC, nous explique ainsi que, « contre toute attente, les affaires ont repris assez rapidement après le confinement. » Il explique ainsi que de nombreux Mauriciens les contactent régulièrement pour demander des informations, même si ce n’est pas pour conclure. « C’est déjà bon signe. Je pense qu’ils se sont rendu compte de l’importance d’investir dans quelque chose de sûr. » Ainsi, il note que beaucoup de jeunes professionnels se tournent vers des biens immobiliers. « Nous avons beaucoup de demandes en ce sens. »

En effet, c’est le même son de cloche du côté de l’association des agents immobiliers de Maurice. Laval Savreemootoo nous confirme qu’en ce moment, beaucoup de Mauriciens investissent dans l’immobilier, sauf que de son côté, ce ne sont pas des jeunes professionnels mais des retraités. « Nous avons beaucoup de personnes retraitées qui émettent le souhait d’acheter des biens immobiliers en ce moment, pour la simple et bonne raison que louer une maison ou un appartement rapporte actuellement plus d’argent que les intérêts bancaires ! » Il soutient aussi que les jeunes n’ont pas les moyens pour acheter un terrain. Les conditions ont changé, dit-il, car « les jobs sont maintenant contractuels et ces jeunes ont plus de difficultés à trouver un loan. » Aussi, « les terrains sont chers. L’on doit ainsi compter entre Rs 35 000 à Rs 40 000 la toise en ville. »

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