Dan Maraye, (Ombudsperson for Financial affairs) : « Si on ne me donne pas les outils nécessaires  pour travailler, il vaut mieux fermer le bureau ! »

Ancien gouverneur de la Banque de Maurice, commentateur de l’actualité politico-économique du pays, critique féroce du fonctionnement des institutions et de ceux qui les dirigent, et apôtre de la bonne gouvernance, Dan Maraye est depuis le mois de février le nouvel Ombudsperson for Financial Affairs. Dans sa première interview depuis sa nomination, il donne les raisons qui l’ont poussé à accepter la proposition du Premier ministre, explique les objectifs du bureau qu’il dirige désormais et répond à des questions d’actualité.

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À quoi sert l’Ombudsperson for Financial Affairs, poste que vous avez accepté, à la surprise de beaucoup, il y a quelques mois ?

— C’est un poste dont j’avais demandé la création en 1997, alors que j’étais gouverneur de la Banque de Maurice. C’est un poste indispensable dans une société démocratique pour que les clients des banques, des assurances et des services financiers insatisfaits des prestations de service puissent loger leurs doléances et demander réparation devant une instance indépendante. Le poste a été créé en 2018 avec le vote d’une loi…

Plus de 24 ans après votre suggestion. Pourquoi est-ce que cela a pris autant de temps pour ouvrir ce bureau ?

— C’est sans doute dû au fait que depuis, plusieurs gouvernements se sont succédé à la tête du pays d’une part, et, de l’autre, la lenteur administrative des services gouvernementaux. Finalement, en 2018, on a enfin réalisé que ce poste est un pilier majeur du secteur bancaire et financier incluant les assurances, une loi a été votée au Parlement et le bureau créé quelque temps après. Quand j’ai été nommé en février de cette année, cela faisait un an que le bureau était dans un état comateux sans Ombudsperson, le précédent et le premier ayant quitté ce poste pour aller prendre le poste de premier adjoint du gouverneur de la Banque de Maurice.

On dirait que ce bureau n’a pas fait grand-chose depuis sa création. Pour ma part, c’est quand vous avez été nommé que j’ai découvert son existence…

— Je ne veux pas commenter sur la performance de qui que ce soit. Mais après la démission du premier Ombudsperson, il n’a pas été remplacé et les dossiers se sont empilés en une année d’inactivité. J’ai dû en quelque sorte recréer le bureau et revoir son fonctionnement en recrutant le personnel technique adéquat. J’ai demandé et obtenu du personnel venant de la FSC et de la Banque centrale pour pouvoir constituer mon équipe et nous sommes aujourd’hui opérationnels. Mais il faudrait doubler nos effectifs pour que nous soyons totalement efficaces.

Comment fonctionne votre bureau ?

— Laissez-moi vous donner quelques chiffres tout d’abord. Nous avons environ 70 doléances par mois et avons 840 dossiers en cours. 70% des plaintes concernent les assurances et les autres le secteur bancaire en général. Il faut aussi dire que toutes les plaintes ne sont avérées, dans la mesure où il y a des institutions de mauvaise foi et des plaintes frivoles. Voilà comment nous fonctionnons : quand un consommateur n’est pas satisfait, il doit tout d’abord soumettre ses doléances à l’institution concernée. Si après un mois le problème n’est pas réglé à la satisfaction du client, il peut nous contacter selon une procédure qui sera détaillée sur notre site web, qui est actuellement en voie de construction. Le plaignant aura à remplir un formulaire. Nous ouvrons alors un dossier, faisons une enquête et convoquons les deux parties pour une conciliation, ce que nous privilégions dans la mesure du possible. Quand ce n’est pas possible, je me sers alors de mes pouvoirs pour donner un award qui ne peut être contesté que par le biais d’une judicial review. Pour le moment, il y a des institutions financières qui ne tombent pas sous notre contrôle, par exemple la Banque de Développement, mais je pense qu’à terme nous devrions pouvoir englober toutes les institutions bancaires et financières du pays. La transparence, l’intégrité et les instruments nécessaires ainsi que l’obligation des institutions à rendre des comptes vont ramener la confiance dans ces institutions et renforcer l’image de marque du pays.

Comment le Dan Maraye connu pour son esprit critique et son indépendance d’esprit affiché vis-à-vis des institutions paraétatiques a-t-il fait pour accepter un poste qui est sous la tutelle du ministre des Services financiers et de la bonne Gouvernance ?

— La loi qui régit ce bureau précise: « This office shall in the exercise of its functions act without fear or favour and shall not be subject to the direction or control of any other person or authority. » Je puis vous assurer que sans cette provision de la loi, je n’aurais jamais accepté ce poste. Le jour de mon entrée en fonction, j’ai rendu une visite de courtoisie au ministre des Services financiers et à son Secrétaire Permanent, et pour moi ça s’arrête là.

Vous savez aussi bien que moi qu’à Maurice, il ne suffit pas d’avoir un bon texte de loi, mais il faut surtout qu’il puisse être mis en application. Ce qui n’est pas toujours le cas dans les nombreuses institutions paraétatiques du pays…

— Je suis là pour faire appliquer la loi et pratiquer la bonne Gouvernance. Et mon indépendance ne s’achète pas.

l Mais vous êtes tout de même sous la tutelle du ministère des Services financiers et de la Bonne Gouvernance. Vous êtes logé dans le même bâtiment qui abrite ses bureaux et, qui plus est, appartient à une compagnie d’assurance, la SICOM, que votre bureau pourrait être appelé à sanctionner. Est-ce que tout ça ne fait pas un peu désordre dans la pratique de la bonne Gouvernance ?

— J’en suis bien conscient. Il y a dans la loi de 2018 des lacunes et des contradictions qu’il faut enlever pour que le bureau puisse être réellement indépendant dans la pratique. Par exemple, il est fait mention dans la loi d’un Supervisor du ministère pour contrôler ce bureau ! J’ai fait des suggestions au Bureau du Premier ministre pour que la loi soit amendée et que ce bureau soit vraiment indépendant. Votre remarque concernant le bâtiment où se trouve mon bureau est tout à fait justifiée et j’ai demandé que nous soyons délocalisés. Tout comme j’ai demandé que l’équipe soit renforcée.

Est-ce que vos demandes ont été acceptées ?

— Je dois dire que certaines de mes demandes concernant le personnel ont été modifiées sans même que je ne sois consulté dans les propositions budgétaires. J’ai protesté auprès du ministère des Finances et du Bureau du Premier ministre, suite à quoi j’ai eu une réunion très positive avec ses hauts gradés et on m’a promis que mes demandes seront prises en considération.

Je ne vous suis pas très bien. Vous êtes sous la tutelle du ministère des Services financiers — on pourrait d’ailleurs penser que votre bureau en est un sous-département — et c’est au PMO que vous envoyez vos doléances et vos demandes d’amendement de la loi ! À mon avis, ce n’est pas tout à fait de la bonne Gouvernance !

— J’ai été nommé par le président de la République sur la recommandation du Premier ministre, après consultation avec le leader de l’opposition. Mon budget tombe sous le PMO et c’est pour cette raison que j’ai envoyé mes doléances là-bas. Le fait que dans la loi mon bureau est placé sous la tutelle du ministère des Services financiers est une anomalie qu’il faut corriger par un amendement.

Qui vous a proposé ce poste et pourquoi l’avez-vous accepté ?

— C’est le Premier ministre qui m’a fait cette proposition que j’ai acceptée tout de suite parce que (i) c’est moi qui avais proposé la création de ce bureau en 1997 et je connais son importance dans notre système financier et que (ii) c’est une occasion de servir mon pays et de travailler pour instaurer la bonne Gouvernance dans nos institutions. Je dois reconnaître que ce bureau fonctionne avec une série de contraintes. Si on ne me donne pas les outils nécessaires pour travailler, il vaut mieux fermer le bureau !

Vous seriez prêt à vous en aller si vous n’obtenez pas satisfaction en termes de moyens pour faire fonctionner ce bureau ?

— Je vous donne la garantie que je m’en irai, car ma réputation est en jeu.

Je ne comprends pas une chose. Est-ce que ces demandes et amendements à la loi n’auraient pas dû avoir été proposés, ou imposés, avant d’accepter la nomination ?

— J’ai accepté pour partager mon expérience et faire fonctionner ce bureau dont j’avais moi-même recommandé la création. Maintenant, je demande que la loi soit amendée et que les outils nécessaires soient mis à disposition pour accomplir la tâche.

Est-ce que cette nomination vous a fait devenir naïf et vous a fait oublier comment beaucoup de hauts fonctionnaires travaillent dans ce pays : en faisant ce que leurs ministres leur demandent et parfois même en précédant la demande ? Situations que vous aviez vous-même dénoncées dans le passé. Vous pensez vraiment, dans le système que nous avons, pouvoir agir en toute indépendance et pratiquer la bonne Gouvernance ?

— Je continue à dénoncer aujourd’hui encore cette manière de faire et c’est pour cela que j’ai eu une réunion avec les hauts gradés du PMO. Je ne vais pas me laisser faire et je vais travailler selon les règles de la bonne Gouvernance pour que ce bureau devienne, si on me donne les outils nécessaires, un modèle d’indépendance, d’intégrité et de transparence. C’est ça mon but et c’est pour cette raison que j’ai accepté le poste.

Vous avez longtemps mené campagne pour que les institutions gouvernementales — et celles du privé aussi — fonctionnent selon les règles de la bonne Gouvernance. Maintenant que vous faites partie du système public, est-ce que vos critiques étaient justifiées et que la situation est aussi grave que vous le disiez ?

— C’est malheureux d’avoir à répondre oui à cette question. Le problème réside dans la qualité des gens à la tête des institutions qui ne font pas leur travail. C’est parce qu’il y a parfois de hauts fonctionnaires qui se croient et se comportent comme plus royalistes que le roi et leurs décisions retombent sur des ministres qui n’ont rien à faire dans l’histoire.

Il y a aussi des ministres qui s’accommodent très bien de la situation que vous dénoncez…

— Ils font fausse route. Un ministre n’a pas besoin de yes-men pour faire fonctionner son ministère, il a besoin de personnes compétentes qui le conseillent comme il le faut de manière indépendante, au lieu de se contenter de lui dire ce qu’il veut entendre. Chacun doit prendre ses responsabilités pour que les institutions fonctionnent en respectant les règles de la bonne Gouvernance. Et pas uniquement sur le papier ou dans les discours.

Après vos cinq premiers mois ici, vous pensez que vous pourrez faire appliquer et respecter, au moins dans votre secteur, les règles de la bonne Gouvernance ?

— Je fais de mon mieux. Mais je vous le répète : si je n’ai pas les moyens nécessaires et que la loi n’est pas amendée, je n’aurai rien à faire ici. Et comme je vous l’ai dit, il vaudrait mieux fermer ce bureau pour ne pas gaspiller l’argent des contribuables.

En parlant d’argent, quel est le budget de votre bureau et quel est votre salaire ?

— Permettez-moi quelques explications. Pour fonctionner, le bureau a pris un département de la Banque centrale et un autre de la FSC, et je pense que les deux institutions citées devraient financer le budget du bureau de l’Ombudsperson. Car en définitive, nous faisons le travail qu’elles devraient faire. Pour le moment, ce bureau est financé par le budget du gouvernement, ce qui, à mon avis, n’est pas correct si l’on regarde les modèles indiens, singapourien, malaisien ou néo-zélandais. Le fait que ce bureau n’est plus financé par le gouvernement va accroître notre indépendance.

Quel est donc votre budget, jusqu’à maintenant financé par le gouvernement ?

— Nous avions demandé Rs 30 millions, nous avons reçu Rs 22 millions.

Et quel est votre salaire ?

— Quand on m’a proposé le poste, je n’ai pas négocié mes salaires qui sont des Rs 140 000 par mois. On m’avait proposé une voiture et des facilités duty free que j’ai refusées pour accepter une allocation d’essence pour utiliser ma voiture personnelle. Je ne suis pas venu ici pour de l’argent.

J’aimerais passer maintenant à des sujets d’actualité que le Dan Maraye d’avant sa nomination au poste d’Ombudsperson for Financial Services se serait fait un devoir de commenter. Est-ce que le Financial Bill qui a amendé 85 lois et qui a été voté à toute vitesse au Parlement l’a été selon les procédures de bonne Gouvernance ?

— Je ne vais pas entrer dans une polémique à ce sujet.

Je vous trouve un peu frileux. Trouvez-vous que la MIC et le gouvernement font preuve de bonne Gouvernance en refusant de donner l’identité de certains bénéficiaires du plan d’aide aux entreprises en invoquant la confidentialité pour refuser la transparence ?

— Ce que j’ai compris, c’est que tout sera transparent dans le rapport annuel de la Banque de Maurice. Cela dit, il y a confidentialité et confidentialité, et quand il s’agit de l’argent public, on doit être transparent. Je souhaite que tous les détails sur la MIC soient donnés dans le rapport annuel de la Banque centrale.

Mais ce rapport ne sera publié que vers la fin de l’année. Est-ce que dans notre situation économique dans laquelle nous sommes, nous pouvons nous permettre d’attendre plusieurs mois pour savoir comment l’argent public est dépensé par la MIC ?

— Ce que vous venez de dire devrait donner matière à réfléchir aux responsables.

Vous avez, dans le passé, souvent évoqué le dossier Betamax. Quelle réflexion vous inspire aujourd’hui sa conclusion devant le Privy Council et surtout le fait qu’il a coûté presque Rs 6 milliards des fonds publics ?

— (Long silence) Je pense qu’on n’a pas suffisamment réfléchi au moment où le contrat a été établi.

Et quelle réflexion vous inspire le rapport Britam qui vient d’être publié, et dont les conclusions et l’indépendance de certains de ses commissaires sont remises en cause ?

— Il y a, à mon avis, des controverses sur ce sujet qui doivent être éclaircies.

l Je vous ai connu beaucoup plus explicatif dans vos réponses, Dan Maraye ! Comment réagissez-vous quand vous entendez le Speaker de l’Assemblée législative s’en prendre, au Parlement, au physique du député Rajesh Bhagwan, qui souffre d’une maladie de la peau ?

— Je pense que toute personne qui occupe un poste de responsabilité doit réfléchir à ce qu’elle dit et toujours garder son calme à tout moment. Et surtout veiller à ne pas offenser qui que ce soit.

Vous ne vous sentez pas un peu à l’étroit dans ce poste et un peu obligé de ne pas vous exprimer sur certains sujets d’actualité ? Est-ce qu’accepter ce poste n’était pas vous condamner au silence ?

— Non, puisque comme vous pouvez le constater, je réponds, même brièvement, à vos questions sur l’actualité. Il est pratiquement impossible de me condamner au silence mais, et comme je viens de vous le dire, quand on occupe un poste de responsabilité, il faut être responsable et réfléchir avant de dire quoi que ce soit.

Êtes-vous satisfait de la manière dont le gouvernement gère les affaires du pays ?

— Je pense qu’il y a toujours l’espace pour mieux faire.

Quelle est votre opinion sur les crises sur des questions d’égo qui divisent les oppositions ?

— Je le redis : ceux qui occupent des postes de responsabilités et ceux qui veulent être un jour au gouvernement doivent se comporter de manière responsable. Ils doivent réfléchir et être sérieux dans leur démarche.

Quel est votre regard sur l’avenir économique du pays ?

— Il y a tout d’abord la crise sanitaire qui a été relativement bien gérée. Du point de vue économique, nous sommes au plus bas et il faut de la discipline et de la transparence pour remonter. Pour cela, il faut redonner confiance aux investisseurs, mais aussi aux Mauriciens. Nous sommes dans une situation très difficile, mais avec de la bonne volonté, avec de la bonne Gouvernance, je suis optimiste pour l’avenir de Maurice. Mais ça va prendre du temps et je crois qu’il faudra attendre la fin de 2023.

Et finalement, que répondez-vous à ceux qui disent sur le ton ironique que « Dan Maraye finn resi gagn so bout » avec votre nomination comme Ombudsperson for Financial Affairs ?

— On ne peut pas empêcher les mauvaises langues de déblatérer ! J’ai accepté la proposition, qu’il aurait été plus facile de refuser, pour faire un travail et atteindre des objectifs précis. On m’a offert une occasion de servir mon pays dans mon domaine de compétence et j’ai accepté, en restant ce que je suis.

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