Ils incarnent une nouvelle tendance musicale : dans l’antre des Lyonsquad

C’est un phénomène qui mérite que l’on se penche dessus. Mis de côté par un système qui ne les intègre pas encore, ces jeunes se sont construits par leurs propres moyens à travers la musique, des rythmes, la danse et les réseaux sociaux. Le filon qu'ils exploitent leur permet de récolter des dizaines de millions de vues en ligne. Et d'être suivis par des centaines de milliers d’internautes à travers le globe. Une réussite qui conjugue musique et humour, à un langage et une manière d'être de la street 2.0. Alors qu’ils sont adulés par nombre de jeunes, ils comptent aussi des détracteurs qui ont du mal à comprendre le succès de cette autre culture, tout comme cela avait été le cas pour le mouvement hip hop/rap/ragga au début des années 90. De : Joël Achille.

Dans l’intimité des membres de Lyonsquad couvent des dénonciations d’une génération incomprise et laissée à elle-même. Celle-ci se raconte à l’écart des caméras et du spectacle auquel ils ont habitué le monde.

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« Hey, non les gars ! C’est trop fou ! », lâche Tii Alexandre, 16 ans, en tombant sur Yohan, 18 ans, accroupi sur les toilettes et dansant face à la caméra. « Ouai, c’est trop fou », concède Donovan Bottesoie, 24 ans, et manager de Lyonsquad Empire Label. La scène ne sera pas introduite dans le clip accompagnant leur nouveau hit, Ti ladans kranp. Car ils ont retenu des leçons des épreuves affrontées sur leurs parcours, dont ils tracent eux-mêmes les avenues. D’autres délires s’immisceront cependant dans la vidéo tournée à Flic-en-Flac.

Bomboclak, 20 ans, grimpant à un arbre pour esquisser la chorégraphie reprise sur Tiktok par 2 000 personnes en deux jours. Dj Wayn, 19 ans, tentant de twerker à ce son démentiel qu’il a remixé à Gonna make you sweat (1991) et son légendaire « everybody dance now ! ». Tandis que Tazou, 20 ans, les accompagne de ses commentaires ironiques ; comme « Get Zezi ! » quand l’un d’eux réquisitionne une pirogue pour danser sur l’eau. En cinq jours sur YouTube, le clip enregistrera plus de 200 000 vues.

Consultez : les coulisses de Ti ladans kranp

Les jeunes de Lyonsquad vivent un rêve. Cinq chanteurs, deux Djs et un manager font partie de cette boîte d’évènementiel formée en juin 2017, qui se présente désormais comme label. « Enn fami », expliquent-ils. De nos jours, dans les rues de Flic-en-Flac ou à Port-Louis, enfants et adolescents se présentent à eux pour une photo ou un autographe. Leur popularité s’est forgée sur des plateformes en ligne. Et ce, à travers des stories, vidéos et des lives sur Instagram, Snapchat et TikTok, qui font réagir des centaines de milliers de followers partout à travers le monde. Sur YouTube, leurs musiques cumulent des dizaines de millions de views.

Une ascension fulgurante accentuée depuis le confinement de l’année dernière et leur premier clip Angela, diffusé en août 2020. Ces jeunes de différentes régions de l’île et de Rodrigues, déscolarisés pour la plupart, apprennent d’eux-mêmes à faire de la musique et à gagner du fric grâce à Internet. Les rythmes racoleurs et dialog humoristiques qu’ils exploitent accrochent des générations. A l’instar de « Bann doner, hehe ! Kontan fatig, hehe », ou encore « Mo pe anvi kone kisana pe aroz ma roz ».

Une légèreté de propos assumée qui génèrent des vagues de critiques. « Enn ta lorgey », rétorque Tii Alexandre, hors des caméras. Dans cette intimité – en face à face dans un campement, autour d’une table au Caudan, posé sur des sièges dans une chambre -, les membres de Lyonsquad se dévoilent comme tout autre jeune : plein de rêves et d’incertitudes.

« Ils disent que l’on chante de la merde, que nous n’avons pas de paroles. Mais ce sont ces mêmes gens que nous croisons en soirée, pe pil lor nou bann son », observe Donovan Bottesoie. Le dénigrement qu’ils affrontent ne les a aucunement freinés. Lyonsquad a tourné dans les îles des Mascareignes, a connu diverses scènes et participé aux plus folles soirées dans de nombreuses discothèques.

Toutefois, les craintes que les effets éphémères de leurs productions n’atteignent leur carrière ne quittent jamais leur esprit. Ils ne se font pas d’illusion, chacun ayant prévu une sorte de plan B. Tazou étant la seule à avoir terminé sa scolarité, elle suit des cours en Nursing. « Je ne me vois pas vivre de la musique », concède-t-elle. « Je veux qu’elle reste comme une passion, que cette flamme ne s’éteigne jamais ». Pour leur part, Bomboclak et Dj Wayn émettent le souhait de quitter le pays parce « pena lavenir isi, nous ne sommes pas reconnus ». Leurs homologues réunionnais, la bande à Dj Seb, « ils vivent de leurs musiques », et à l’île Soeur « nous sommes bien mieux accueillis ». Tii Alexandre prévoit d’aller vivre en France l’année prochaine. Yohan, quant à lui, évoque le souhait de se professionnaliser dans l’évènementiel. Mais pour l’heure, il vit de ce que lui rapporte sa voix et ses textes.

Photo : Pascale Sullivan

Peu à peu, les inspirations enfantines se transforment. Il y a d’abord eu le chapitre Mo pou fight avec l’ancien membre du groupe Helix Dynasty. Et plus récemment, le poignant Akoz nou enn zanfan dan ghetto de Yanky et Dj Riick – deux membres qui n’ont pu rejoindre les rendez-vous de Port-Louis et Flic-en-Flac -, dont la poésie balance : « Apre dime ferm nou/ Akoz nou’nn trap enn sering/ Donn nou fasilite/ Nou ena talan dan nou lavenn ». « Asterla mo pe santi lekip ena pwa. Nous avons acquis le respect des plus grands, comme Blakkayo, Elijah », confie Donovan Bottesoie.

Avec la Covid, les finances du groupe se retrouvent impactées. Les autorités ont maintenu la fermeture des discothèques et limiter à cent les spectateurs à un concert. Les jeunes de Lyonsquad doivent entre-temps miser sur les revenus variables générés en ligne, ou trouver un job comme Yanky et Dj Riick. « L’île Maurice n’a pas assez de considération pour ses artistes », déplore Donovan Bottesoie. « Ailleurs, les artistes vivent de leur art, zot ranz lakaz, aste loto tousa. Ici, nous n’avons reçu aucune aide aucun coup de main des autorités. Tou zafer nou’nn trase par nou mem. J’espère que nous parviendrons à changer cela ».


Bio express

Tazou

Tazou

Marie Anastasia Perrine, 20 ans, est née à Maurice mais a grandi à Rodrigues. Elle chante depuis son enfance et a participé à plusieurs concours, dont Star en 2009. C’est à la suite de Les mwa kontan twa qu’elle intègre Lyonsquad. Ancienne élève de Rodrigues College, elle a regagné Maurice à l’occasion du clip Mo pou fight, avant d’y venir rester il y a un mois. Depuis, elle habite un studio Pointe-aux-Sables et suit des cours à Pamplemousses. Son rêve, « amenn enn karier kouma Linzy ».

Donovan

Donovan Bottesoie (Photo : Pascale Sullivan)

Avec deux partenaires, Donovan Bottesoie, 24 ans, a lancé Lyonsquad en 2017 comme une compagnie d’évènementiels. L’évolution vers la musique s’est amorcée peu à peu. Ancien footballeur professionnel, il a partagé sa vie entre Maurice et Rodrigues. Il a à un moment donné dû trancher entre sa vie sportive et musicale. Depuis, c’est lui qui manage d’une main de fer le groupe de jeunes.

 

Dj Wayn

Dj Wayn

C’est en 2020 que cet habitant de Forest-Side a rejoint la squad. Après un passage au St Mary’s et au Curepipe College, Wayn Favory, 19 ans, a appris seul à manier FL Studio, pour remixer. « Boukou moman mo’nn anvi abandone. Me lanvi arive, li la, li motiv mwa. L’avenir paraît prometteur ».

Yohan

Yohan André

Durant le confinement, Yohan André, 18 ans, apprend qu’une de ces chansons, To grandioz twa, fait le tour de Tiktok. Ce qui ne devait être que pour « pran enn nisa » devient un choix de carrière. Ancien élève du collège Bhujoharry, l’habitant de Pailles était un talent prometteur du football local. Il prévoit de suivre des cours en management, histoire de rester dans cet univers qu’il chérit.

Tii Alexandre

Tii Alexandre (Photo: Pascale Sullivan)

Il n’a que 16 ans mais, dans sa tête, « mo santi mwa pli gran ». Alexandre Sylvain habite Forest-Side et a connu à travers Angela un premier succès révélateur. Réaliste, il sait cependant qu’il est presqu’impossible de vivre de l’art dans l’île. Il prévoit d’aller travailler avec son oncle en France.

Bomboclak

Ivann et Bomboclak

Approché d’abord pour faire du marketing en ligne, Kevin Meunier a connu la scène bien malgré lui, sa voix ayant été samplée par Ivann pour faire un tube qui connaîtra un certain succès, le propulsant même jusqu’à la Réunion. « Ivann c’est quelqu’un que je respecte parce qu’il travaille très dur. Des fois quand je vais rester chez lui, il est encore leveé à 6h du matin à travailler sa musique ». Bomboclak habite Bambous. Le jeune de 19 ans raconte avoir vu beaucoup de ses amis sombrer dans des fléaux. Ancien employé d’une chaîne de restauration, il ravi sa multitude de followers grâce à son humour.

Yanky et Dj Riick

Dj Riick et Yanky

Le premier nommé habite Bonne-Mère, et l’autre Poste-de-Flacq. Yannick Lafleur, 18 ans, travaille dans un supermarché. Alors que Rick Edson Thomé, 22 ans, exerce auprès d’une compagnie offrant des activités nautiques. Ce dernier a également appris à utiliser FL Studio « par mo’em ».

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