Deux bras – Eddy Chrétien, planteur : Le manioc retrouve ses lustres avec une demande en hausse

Les marchands de légumes sont dans le feu des projecteurs depuis quelque temps, en raison notamment des prix pratiqués. Certains, en revanche, se font plus discrets. Il faut dire que leurs produits ne sont pas forcément les plus demandés. A tort, bien souvent. C’est notamment le cas d’Eddy Chrétien, un habitant de Mont-Fertile (Rose-Belle), et de son ami Ramesh, qui ont pris le pari, il y a déjà dix ans, de se lancer dans la culture de… manioc.

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Pour se lancer dans cette culture, les deux compères ont d’abord cherché des boutures de manioc. Ne leur restait plus qu’à chercher un terrain. C’est ainsi qu’ils ont loué une portion de 25 arpents à Deux-Bras à un gros propriétaire terrien de la région. « On se réveillait tôt pour tenter cette nouvelle aventure. Une première tentative qui, je dois dire, avait donné des résultats positifs, même si nous avions dû attendre neuf mois pour la récolte », explique Eddy. Ce dernier explique que le manioc prend en effet ce laps de temps pour arriver à maturité. Ce qui explique, selon lui, pourquoi peu de cultivateurs s’intéressent au manioc.

En attendant leur première récolte, Eddy et Ramesh n’étaient pas restés les bras croisés. En effet, une fois le manioc à maturité, il fallait encore l’écouler. Aussi les deux amis ont-ils consacré tout leur temps à dénicher un marché. « Pa ti fasil o debi. Nou ti gagn boukou difikilte. » Mais à force de persévérance, ils ont réussi par convaincre des marchands du bazar de Vacoas à leur acheter leurs produits.

Malheureusement, le malheur allait frapper. Quelque temps après en effet, Ramesh, gravement malade depuis un moment, décède. Eddy est désemparé. Mais pas question pour autant d’abandonner le projet monté avec son défunt ami. Et ayant commencé à se lier d’amitié avec Anil, le fils de Ramesh, le planteur propose à ce dernier de reprendre l’affaire de son père. Le bouche-à-oreille a ensuite fait le reste, et petit à petit, Eddy et Anil ont commencé à se faire connaître, à commencer par l’un de plus gros fabricants de biscuits au manioc de Mahébourg. D’autres ont vite suivi, à l’instar d’un dénommé Patrick, d’origine rodriguaise, spécialisé pour sa part dans la vente de galettes de manioc au Caudan Waterfront.

Dix ans après, Eddy peut se permettre de partager ses connaissances dans le domaine. « Le manioc demande peu d’engrais. L’entretien est simple. Pas besoin d’utiliser de pesticides non plus. C’est une plante qui s’accommode de tout type de terre, même de qualité médiocre, et qui s’adapte aux conditions climatiques les plus difficiles. » Sans compter, dit-il, que « le manioc résiste bien aussi à la sécheresse ».
Quant à la fréquence de production, l’expert en la matière poursuit : « La récolte annuelle n’est pas obligatoire. Maniok kapav reste dan later enn bon bout letan. » En attendant, Eddy affirme que « la vente de manioc a connu une hausse ces derniers jours, surtout après le ‘lockdown’ complet ».

Eric Mangar (MMA) : « L’État doit relancer la production de manioc »

Eric Mangar, directeur du Mouvement autosuffisance alimentaire (MAA), rappelle que le manioc a longtemps été considéré à Maurice comme un aliment à consommer « dans les moments difficiles ». Pour autant, dit-il, il a retrouvé un peu sa place dans les cuisines mauriciennes depuis l’apparition du Covid-19. « La production locale de ce tubercule, qui est de 450 tonnes annuellement, aurait dû être encouragée par le gouvernement. Le manioc est devenu un aliment principal de la gastronomie locale depuis la première semaine du couvre-feu sanitaire à Maurice. Car il est peu coûteux et possède certains avantages sur le plan nutritionnel », en termes de calories par exemple. « Li ti tre demande, a tel pwin ki li pe koumans vinn rar lor marse. »

Eric Mangar reprend : « L’État doit impérativement relancer la production de manioc à Maurice. Nous devons tirer des leçons de ce qui se passe dans certains pays actuellement, où les hommes et les femmes doivent se battre quotidiennement pour avoir un peu de nourriture pour leurs enfants. Nous ne sommes pas encore arrivés à ce niveau ici mais il nous faut parer à toute éventualité. Même les grands experts ne s’attendaient pas à ce que nous nous retrouvions dans une telle situation. » Et le manioc est une bonne alternative, estime-t-il encore, d’autant que sa culture ne nécessite pas de grands espaces. « Chaque Mauricien devrait utiliser le moindre espace libre chez lui pour cultiver cette plante. »

Le manioc, poursuit l’agronome, « prend du volume dans l’estomac », nous permettant de nous rassasier. « Li bien konsistan. Akoz sa mem bann dimounn lontan ti konsidere maniok kouma enn gran repa », fait-il observer. Selon Eric Mangar, ce tubercule permet en outre, grâce à sa teneur en magnésium, de « renforcer les défenses immunitaires, mais aussi de contribuer au bon fonctionnement des muscles ». Par ailleurs, « comme c’est la racine que l’on consomme, elle est très riche en amidon ».
Quant aux feuilles de ce tubercule, elles se mangent aussi, rappelle-t-il. « Nous n’avons pas pris l’habitude de consommer les feuilles de manioc à Maurice. C’est une grave erreur. Nou kapav konsom li. Nou fair toufe ar li kouma nou fer ek lezot bred. » Eric Mangar poursuit : « Les feuilles peuvent aussi servir à préparer des sauces qui accompagnent le riz, le maïs ou encore d’autres tubercules, comme la pomme de terre. Elle contient moins d’amidon, mais elle possède beaucoup plus de vitamines, de minéraux et de fibres. »

Lisbeth Arlanda, « reine » du manioc

Lisbeth Arlanda a déjà fait parler d’elle dans le passé, notamment pour avoir participé à une émission télévisée où elle avait évoqué différentes recettes à base de manioc. Depuis, elle n’a jamais cessé d’être sollicitée par des organisations féminines afin qu’elle partage son expérience.

« Le manioc est une source d’énergie », reprend cette habitante de Rose-Belle. Rappelant que « ce tubercule a retrouvé sa place dans nos cuisines depuis le premier jour du confinement, faisant la joie des petits et des grands, qui l’ont goûté pour la première fois », elle concède qu’au début, elle ne connaissait « pas grand-chose » en matière de recettes à base de manioc. « J’ai appris et découvert des recettes lors de rencontres avec mes amies philippines et rodriguaises. J’ai découvert qu’on peut préparer de la soupe, du curry massala, une autre manière de préparer le ‘kat-kat’, des galettes entre autres, tout cela avec le manioc. »

Ce tubercule l’intéresse tellement qu’elle souhaiterait participer un jour à une exposition sur le manioc à Maurice. « Ce serait en quelque sorte une manière d’encourager les jeunes à s’intéresser à la culture du manioc. » Et de conclure : « Covid-19 bizin fors bann zen reget nou manier nou konsome. »

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