Distribution de vivres dans l’Est : Enn bouse manze loin de tout résoudre

Nous avons accompagné les bénévoles de Aide nous Prochain lors d’une distribution de vivres dans l’est. Quelques denrées de base offertes pour aider temporairement des familles dans la précarité.

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La distanciation n’est définitivement pas d’actualité en cette fin d’après-midi pour cette cinquantaine de familles de l’est. La priorité pour chacun étant d’être présent, et surtout, de ne pas rater cette distribution de vivres qui leur apporte un peu de réconfort en ces temps durs. Pour cela, ces mères et ces pères se prêtent au jeu et se laissent prendre en photo et filmer en recevant quelques denrées alimentaires des bénévoles venus à leur rencontre.

Ce n’est pas un secret que bien avant le Covid-19, leur vie était déjà difficile. Sauf que ces deux mois de confinement sont venus rajouter aux complications de ces Mauriciens contraints à se débrouiller pour vivre. Pour ces femmes de ménage, maçons, laboureurs, helpers, pêcheurs, et autres effectuant des petits boulots payés à l’heure ou à la journée, ces packs alimentaires sont loin de dissiper leurs inquiétudes car l’avenir ne présage rien de bon. “Si déjà ceux qui ont un travail et un salaire fixes vivent dans la peur, vous pouvez imaginer notre détresse car les jours se suivent et se ressemblent sans grand espoir de s’en sortir”, confie Miranda. Cette trentenaire pensait retrouver son métier de femme de chambre dans un hôtel après avoir eu quelques mois d’arrêt pour s’occuper de son nourrisson. Mais ce ne sera pas le cas. Sans compter que son compagnon s’est retrouvé aussi au chômage et qu’il faudra nourrir trois enfants tout en trouvant de l’argent pour payer le loyer et les autres factures qui s’empilent.

Une misère sans fin

Pour certains il ne vaut plus la peine d’évoquer le désespoir qu’ils vivent : “Pa vo lapenn koze. Sa na pa pou sanz kitsoz de tou fason.” D’autres s’approchent en espérant pouvoir trouver une aide supplémentaire. Comme Sheila, une fille-mère d’à peine 16 ans, qui explique survivre grâce à une petite allocation sociale. « L’argent n’est définitivement pas suffisant pour couvrir les dépenses de mon bébé. Mo pa travay parski mo pena person pou okip mo ti baba. Je suis née dans une famille pauvre et aujourd’hui à mon tour je fais vivre la même situation à mon enfant.” Au cœur de ce cercle vicieux qui se transmet de génération en génération, ce n’est définitivement pas une distribution de vivres d’un jour qui viendra tout solutionner. De plus, une fois les bénévoles rentrés chez eux et que les photos de la distribution sont mises en ligne les problèmes de ces familles restent entiers et bien réels. Plus les confidences et les témoignages défilent, plus ils se ressemblent. Ici dans l’est, comme aux quatre coins de Maurice, en ville aussi bien que dans les villages, ce sont des histoires où chômage, familles monoparentales, précarité, enfants déscolarisés, squatteurs, dettes, stigmatisation s’entremêlent aux autres fléaux dévastateurs.

Enn bouse manze pa efass traka

Le compagnon d’Anju est actuellement en prison : “Li ti al konkin legim pandan konfinman ek zot finn trap li. Je sais que ce n’était pas la seule solution mais il voulait juste ramener de quoi manger pour moi et ma famille. Ar sa tit voler la kuma pou regayn travay aster la.” Elle attend la levée du confinement pour espérer trouver de quoi payer sa caution : “Ce sera encore une dette supplémentaire à rembourser.” Pour l’instant, elle peut compter sur le soutien et les conseils d’une voisine vivant la même situation.
Jackson, 67 ans, rentre à peine de sa sortie en mer. Le temps venteux ne lui a pas permis de ramener “enn ti cari.” Même s’il ne figurait pas sur la fameuse liste soumise aux distributeurs, il patiente en espérant repartir avec au moins un paquet de macaroni. Au cas contraire, il réchauffera un reste de riz avec un peu de beurre. “Nous sommes nombreux à vivre cette galère au quotidien. Certains plus que d’autres. Je n’allais pas dormir le ventre vide ce soir. On ne sait jamais comment seront les jours à venir.” Reconnaissante envers les bénévoles de Aide Nou Prochain, Marday, 55 ans, n’arrive pas à cacher sa colère et sa déception. « Aujourd’hui nous avons reçu de quoi manger. Mais cela ne veut pas dire que nous sommes heureux et soulagés. Comme tous les jours, je ne trouverai pas le sommeil. Bann traka la pa disparet ar enn bouse manze.”

Muni de son sac de provisions, le pêcheur s’empresse de retrouver son deux pièces où l’attendent sa femme et leurs quatre enfants. “Dimoun kwrar ki nou kontan tal lame ek dimann kass ek manze. Il faut vivre notre réalité pour comprendre que la vie ne nous fait aucun cadeau. Au contraire, on s’appauvrit jour après jour et malgré tous nos efforts pour survivre avec des petits boulots, nous sommes les oubliés et les rejetés de la société. Nous ne sommes définitivement pas une priorité pour les autorités.”

Démunis et abandonnés

Trishia peut en témoigner. Deux ans depuis que cette orpheline et mère-célibataire multiplie les démarches administratives pour trouver une aide financière afin de construire une chambre. “La réponse que j’ai eue de la NEF c’est une allocation de Rs 650. Au lieu de nous encourager à sortir de la pauvreté, on se lave les mains avec nous.” Malgré tout, elle n’a pas baissé les bras et avait fini par décrocher un emploi comme cleaner dans un restaurant. Elle était même parvenue à mettre de côté de l’argent. Mais durant ces deux derniers mois sans aucun salaire, elle a dû puiser de toutes ses économies. Son moral est au plus bas : “Mon employeur vient de m’informer qu’il ne pourra pas garder tous les employés du restaurant. Li pa mem pou pey nou enn kass pou letan nou fin travay pou li. Personne ne sera prêt à aller défendre mes droits. Dimoun pov pa raport kass sa.”
Ce ne sont que des exemples parmi tant d’autres lacunes de la société mauricienne. D’ailleurs comme le souligne Marday “pa tou problem kapav gayn led dans Moris”. Sa conviction est que : “Quand on est au bas de l’échelle. On y reste à vie.” Alors que Maurice affiche zéro cas de Covid-19 depuis plus de 20 jours, son compteur en pauvreté et inégalité s’affole : “Si gouvernma mem pe lav lame ar nou pena lespwar ki dimoun pou kapav tir nou depi la.”. Avec la crise économique qui se met en place, il sera bien difficile de cacher cette misère derrière des feuilles en tôle.

Aide Nou Prochain

Deux mois depuis la création de Aide Nou Prochain à travers Facebook. Une initiative de Samuel Carriapen regroupant en une seule et unique plafeforme les appels à l’aide de nombreux Mauriciens dès le début du confinement. Depuis, ce graphic-designer et ses amis bénévoles travaillent en collaboration avec d’autres ONG et associations pour effectuer la distribution de vivres. Plus de 800 familles ont reçu des foods packs, et le groupe multiple les démarches afin récolter plus de dons afin de répondre à plus de demandes. Les bénévoles effectuent des sorties plusieurs fois par semaine et couvrent plusieurs régions de l’ile.

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