Dix ans après : la Valette, parcours mi-figue, mi-raisin

Premier village intégré mis en place en 2009, La Valette devait servir de modèle pour d’autres régions. Dix ans après, le constat sur place est « mi-figue, mi-raisin », selon les dires des habitants eux-mêmes. Si d’une part certains reconnaissent avoir fait beaucoup de progrès sur le plan personnel, ils déplorent le fait qu’il y a encore « beaucoup de problèmes à La Valette ». Outre le bus, qui ne passe qu’à des heures précises de la journée, certains sont restés bloqués dans les fléaux tandis que d’autres n’arrivent pas à sortir du cercle vicieux de la pauvreté. De même, d’autres sont remontés contre la National Empowerment Foundation (NEF) qui, après dix ans, ne leur a toujours pas donné leurs contrats…

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Une grande animation règne au centre La Ruche, géré par l’association Quartier de Lumière. Ce centre, dédié à l’accompagnement des enfants, sert souvent de lieu de rassemblement pour les habitants, car c’est le seul du quartier à pouvoir accueillir un certain nombre de personnes. À La Valette, il n’y a pas de centre communautaire et chacun se débrouille comme il peut. Ce jour-là, des résidents ont été conviés par l’Ong Child Hope qui, avec le soutien du National CSR Committee, a remis des poussins à 30 femmes de la localité.

C’est un projet d’élevage que l’organisation a mis en place afin d’aider les bénéficiaires à être indépendantes financièrement. Avec la collaboration de Joyce Tabany, résidente du quartier, des femmes de 18 à 55 ans ont été ciblées, avec pour objectif de monter une coopérative à l’avenir.  De tels projets visent à l’empowerment des familles. Depuis dix ans, plusieurs Ong interviennent ainsi à divers niveaux pour aider les ex-squatters de Camp-Levieux à prendre leur vie en main. On retrouve ainsi Terre de Paix, qui gère le centre d’éveil, offrant un encadrement aux enfants dès leur plus jeune âge afin qu’ils grandissent sainement.

Dans l’après-midi, l’Ong Safire intervient auprès des adolescents pour faire de la prévention contre les fléaux qui guettent dans la région. Quartier de Lumière, qui a érigé son centre au milieu des maisons, accueille les enfants tous les après-midi pour un goûter et l’accompagnement scolaire, entre autres. Tout semble avoir été mis en œuvre pour offrir une meilleure vie à ceux qui, auparavant, vivaient sous des tentes ou des cases en tôles, avant d’être jetés à la rue. Ainsi, beaucoup s’accordent à dire que La Valette, après dix ans, a fait des progrès, mais qu’il y a encore du chemin à faire.

Suzelle Caliste est de ceux-là. Travaillant au centre d’éveil, elle dit avoir évolué personnellement tout en reconnaissant qu’il y a des problèmes dans le quartier. « Ma vie n’aurait pas été pareille si je n’étais pas venue habiter ici. Auparavant, j’étais sous une tente. En venant ici, j’ai pu bénéficier d’une formation auprès de la National Empowerment Foundation, ainsi qu’auprès de Terre de Paix. Ce qui m’a permis de trouver du travail au centre d’éveil. Je peux ainsi contribuer aux revenus de la famille, surtout que mon époux n’a pas un bon emploi et que j’ai deux enfants en Form I et IV. »

Sous des tentes

Suzelle se remémore les nuits passés sous une tente. On se souvient que des personnes qui avaient occupé illégalement des appartements de la NHDC, pendant la campagne de 2005, avaient été jetées à la rue. Une période difficile, concède-t-elle, où elle a pu compter sur la générosité des Mauriciens. « On a passé des nuits éveillés, il fallait attendre que les gens viennent nous donner à manger. On n’avait rien. Bien sûr, ici à La Valette il y a aussi des problèmes, mais personnellement, j’ai beaucoup progressé. »

Selon elle, quelques problèmes pratiques, comme des autobus plus réguliers, ou encore une boutique et un poste de police, auraient permis de faciliter la vie des habitants. Pierre-Louis Clodino est le président du Mouvement Constructif La Valette. Il est très remonté contre la NEF qui, selon lui, « bloque » les projets. Il cite en exemple le terrain de basket fraîchement rénové, mais fermé à clé. « Le terrain a été complété depuis deux mois, mais la NEF a mis le cadenas, au lieu de l’ouvrir pour que nos jeunes puissent jouer. Nous avons déjà un entraîneur de niveau national qui est là et qui n’attend que l’ouverture du terrain. Il paraît qu’on attend l’ouverture officielle, mais que vont faire nos jeunes entre-temps ? Comment les empêcher de tomber dans les fléaux ? »

Un avis partagé par son ami Gilbert Desveaux, qui déplore l’absence d’un centre communautaire. « Je donne des cours de guitare à des jeunes sous ma varangue, faute d’un centre social. » Ces derniers concèdent toutefois recevoir beaucoup d’aide du conseil de district de Bambous, ainsi que du PPS Alain Aliphon. « Il y a beaucoup de personnes qui viennent d’ailleurs et qui sont disposées à nous aider, mais il faut que la NEF apporte aussi sa contribution. »

Revenant sur les 10 ans de La Valette, Pierre-Louis Clodino dit avoir noté des progrès. « Il y a des personnes qui ont construit de jolies petites maisons, même si cela n’est pas autorisé. La NEF doit nous comprendre. Les familles ont évolué, les enfants ont grandi. Chacun, dépendant de ses moyens, devrait pouvoir ajouter une pièce ou deux. Mais nous n’avons pas encore de contrat à ce jour. On avait dit que ce serait fait après trois ans et là, ça fait dix ans que nous attendons. » Il faut dire que parmi ces résidents, beaucoup accumulent des arrérages auprès de la NHDC. Ce qui rend encore plus compliquées les procédures en vue de leur octroyer le titre de propriété.

La Ruche

Au milieu de tout ce désordre, l’Ong Quartier de Lumière s’applique à offrir un encadrement aux enfants de la localité. Son centre, La Ruche, est devenu dans un certain sens le coeur du village. Lindsay Cybele, responsable de l’administration, et Jeff Manal, responsable pédagogique, se chargent du bien-être des 83 enfants, âgés de 5 à 15 ans, qui fréquentent le centre La Ruche régulièrement. « Nous accueillons les enfants à partir de 15h30, après l’école. Nous leur offrons un goûter et faisons de l’accompagnement scolaire. De même, ils ont l’opportunité de pratiquer diverses activités, telles que la peinture », explique Lindsay Cybele.

Ce dernier rappelle que l’équipe, qui compte aujourd’hui une vingtaine d’animateurs, a démarré « sous les arbres », avant de pouvoir profiter du confort d’un local. « Notre but ici est d’encourager les enfants à aller à l’école. Il y a un ou deux cas où les parents ne collaborent pas. Nous devons à ce moment-là faire appel aux autorités compétentes. » L’Ong, qui offre également des activités artistiques aux enfants, prépare actuellement son deuxième camp de vacances. « C’est une activité qui fait partie de la formation des jeunes par rapport au sens des responsabilités et la socialisation. Nous avons fait une première bonne expérience l’année dernière, que nous allons renouveler pendant les vacances. Pour l’occasion, nous aurons une quarantaine d’employés de la Standard Bank, un de nos sponsors, qui viendront nous épauler. Nous projetons également d’emmener les plus grands à Rodrigues cette année. »

Pour valoriser la créativité des jeunes, la banque a organisé une exposition de leurs tableaux à son quartier général, à Ébène, à l’occasion du Mandela Day. Après dix années, poursuit Lindsay Cybele, il y a des progrès qui ont été notés chez les enfants. « Ils ont appris des choses et sont devenus gérables. Ce qui n’était pas le cas auparavant. D’autres étaient toujours mis derrière dans la classe. Ils ont appris à lire et à écrire, et ont progressé. »

Parallèlement, l’Ong travaille avec les parents. Au bout d’un parcours de dix ans, le premier village intégré tarde encore à atteindre pleinement ses objectifs. Mais tous les acteurs engagés se disent déterminés à briser le cercle vicieux qui empêche d’avancer et, surtout, de donner un meilleur départ aux plus jeunes.

NEF : pas de parti pris

S’expliquant sur le terrain de basket-ball cadenassé, un porte-parole de la NEF avance que la clé sera bientôt remise à l’entraîneur, Nick Persand. « Il faut savoir qu’à La Valette, il y a plusieurs groupes. C’est vrai qu’il y a certains qui nous ont demandé la clé, mais nous ne pouvons choisir un groupe plutôt qu’un autre. Nous préférons rester neutres dans cette affaire. » Ce dernier déclare que pour éviter tout problème, la NEF a pris la décision que ce sera à l’entraîneur de réunir tout le monde autour de lui. « Les clés seront remises à Nick Persand sous peu. Il est quelqu’un de connu dans ce domaine et nous lui faisons confiance. Il pourra ainsi réunir tous les jeunes intéressés autour de lui, au lieu qu’il y ait l’impression que le terrain de basket n’est que pour un groupe. »

Nick Persand : « Éloigner les jeunes des mauvaises activités »

L’entraîneur de basket Nick Persand aura la responsabilité de former les jeunes de La Valette. Parlant de cet engagement, il déclare : « En emmenant le basket ici, nous voulons éloigner les jeunes des mauvaises activités et leur proposer quelque chose de sain. Il faut dire que les jeunes sont motivés, tant qu’il y a des facilités. Le premier obstacle qui se dressera sur leur chemin les fera rechuter. Il est donc important que tous les acteurs concernés comprennent cela. Le basket va également inculquer une discipline de vie à ces jeunes, qui ont grandi dans des conditions difficiles. »

Le terrain de basket accueillera les jeunes du quartier

Ce dernier sera ainsi présent à La Valette trois fois par semaine. Deux jours seront consacrés aux entraînements et un jour aux matches. Pour cela, la compagnie Onirik Design a offert deux ballons de basket aux jeunes.

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