Dr Julien Quenette (président de la Société des professionnels en psychologie) : « Le psychologue n’est pas assez consulté en général à Maurice »

Notre invité de ce dimanche est le Dr Julien Quenette, docteur en psychologie du développement et président de la Société des professionnels en psychologie qui se présente comme « le référent des professionnels en psychologie à l’île Maurice. » Dans cette interview, réalisée jeudi dernier, le Dr Quenette donne son point de vue sur les changements que va connaître la profession avec la mise en place de l’Allied Health Professional Council (AHPC). Il aborde aussi des questions d’actualité, notamment les répercussions psychologiques de la Covid et du confinement.

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Combien y a-t-il de psychologues à Maurice aujourd’hui ?

— C’est une bonne question à laquelle il n’y a pas, pour le moment, une réponse précise. La Société des professionnels en psychologie regroupe une soixantaine de psychologues et thérapeutes. En dehors de l’association, il doit y avoir à Maurice le même nombre sinon un peu plus de psychologues.

Est-ce que ceux qui ne font pas partie de votre association sont moins qualifiés ?

— Les qualifications sont un sujet de débat qui a toujours agité la profession. Le gouvernement est actuellement en train de mettre en place l’Allied Health Professional Council, un organisme d’État qui va venir réglementer la pratique de tous les métiers de soins paramédicaux à Maurice. Une loi a été votée au Parlement à cet effet en 2017, le préenregistrement a été fait online l’année dernière et l’enregistrement va se faire sous peu. C’est après cet exercice que le nombre officiel de psychologues pratiquant à Maurice sera connu.

En attendant que ce soit fait, comment reconnaît-on un vrai psychologue, un psychologue qualifié pouvant exercer à Maurice ?

— C’est une autre question qui a fait débat. Jusqu’à maintenant, il n’y a pas de norme établie, dans la mesure où ceux qui pratiquent ont étudié dans des pays différents avec des qualifications différentes. Les normes ne sont pas les mêmes dépendant des pays où les études ont été faites. Je viens d’arriver dans l’association, mais mes collègues avant moi se sont battus pour faire valoir les droits de ceux qui étaient qualifiés pour exercer et trouver un consensus entre ce qui est acceptable selon les temps de la formation.

Quand on crée une association, c’est pour promouvoir les intérêts de ses membres, mais aussi pour les défendre, les protéger. Est-ce le cas de la SPP ?

— Effectivement. Un des objectifs de notre association est de regrouper les psychologues pour défendre le titre, la profession et aussi protéger les patients. Au sein de l’association, nous vérifions les diplômes de nos membres et nous assurons qu’ils sont valables dans les pays où nous avons été formés.

Question directe : peut-on dire qu’il y a beaucoup de psychologues charlatans à Maurice ?

— Je viens de revenir à Maurice, mais j’ai entendu dire qu’il y avait certains qui exerçaient comme psychologues sans être forcément qualifiés. Vu le fait qu’il n’y avait pas encore de normes établies ni de réglementation, la porte était ouverte à toutes sortes de pratiques.

Peut-on dire que les Mauriciens ont accepté les thérapies psychologiques et en parlent ouvertement ?

— Non. Ce n’est pas seulement à Maurice qu’il existe des tabous autour du fait d’aller voir un psychologue, de faire un suivi psychologique, un traitement et d’en parler ouvertement. À Maurice, il y a d’autres facteurs qui entrent en ligne de compte, dont des facteurs culturels. Pour certaines personnes, aller voir un psychologue c’est aller voir un psychiatre, un médecin associé aux soins de troubles mentaux. C’est reconnaître, admettre qu’on a des problèmes facilement assimilés à la folie. On ne fait pas la différence entre le psychologue et le psychiatre. Je pense qu’en général on ne parle pas suffisamment et franchement de ce qu’est la psychologie, de ce que signifie un suivi, une thérapie.

Parlons-en justement. Qu’est-ce que c’est que la psychologie ?

— C’est, à la base, l’étude du fonctionnement humain. Et il y a différents courants ou approches psychologiques dans cette étude. C’est essentiellement un accompagnement, un soutien, une écoute. Aujourd’hui, avec les avancées au niveau des recherches scientifiques, on a beaucoup plus de moyens pour venir expliquer certains phénomènes dans le comportement humain. Comment est-ce que le cerveau fonctionne, par exemple, ce qui a permis de mettre au point des thérapies.

Comment savoir si on a besoin d’une thérapie, d’un suivi psychologique ou pas ?

— Dans la plus grande des généralités, on peut dire que nous en avons tous besoin, dans la mesure où nous avons tous un vécu avec des choses qu’on arrive à prendre, à accepter et d’autres pas. Dès le premier jour de ma formation, on m’a appris que tous les êtres humains sont des névrosés, ce qui veut dire qu’on a tous au fond un problème gérable pour certains et pas pour d’autres. Quand ces névroses deviennent une entrave à la vie quotidienne, on parle alors de pathologie et il est utile d’aller voir un psychologue…

Pour trouver une solution aux problèmes que nous sommes incapables de résoudre seuls ?

— Attention ! Un psychologue n’apporte pas des solutions aux problèmes de son patient. Il ne peut pas avoir cette prétention, même s’il a une formation qui lui permet de connaître le fonctionnement humain. Mais chaque humain est un cas qui vient avec son histoire de vie, son vécu et on ne peut pas prétendre connaître, comprendre et solutionner ses problèmes…

Mais un psychologue n’est pas censé être armé, formé pour trouver les outils, des méthodes pour aider son patient à se sentir mieux ?

— C’est une réflexion, une démarche et une recherche qui se font ensemble avec le patient. C’est ouvrir un espace d’écoute, accepter ce que l’autre est en train de vivre et essayer de le guider, plus de l’accompagner vers une solution au lieu de lui en proposer une toute faite. Ce n’est pas donner une prescription pour des médicaments qui vont faire disparaître le problème.

J’ai le sentiment qu’on va souvent voir un psy à cause des problèmes de communication parents-enfants. C’est un bon… diagnostic ?

— Il y a d’énormes problèmes de communication, effectivement, dans le monde dans lequel nous vivons et les problèmes parents-enfants en font partie. La société a évolué : aujourd’hui le papa et la maman travaillent, rentrent tard et il n’y a pas forcément un grand-père et une grand-mère derrière pour donner un coup de main aux parents en gardant les petits-enfants. On rentre fatigué du travail, des embouteillages, il faut faire à manger, faire un peu de ménage, la lessive. On est épuisé et on n’a pas trop le temps de s’occuper de l’enfant, qui lui a besoin d’attention. Et puis, il y a toutes ces nouvelles technologies, les ordinateurs, les tablettes et les téléphones, que l’on donne à l’enfant pour l’occuper. Il passe des heures avec, il s’amuse, se développe, apprend des choses qui peuvent mener à des problèmes de discipline plus tard. On a beaucoup de pression certes, mais il faut trouver le temps et l’espace pour l’enfant et ce n’est pas facile parce que le parent a aussi, en tant qu’être humain, besoin de moments à lui, pour respirer, faire autre chose et se ressourcer. Mais il y a moins de relations de communication parents-enfants et on va voir le psychologue.

Ce qui explique le fait que les psychologues en vue ont leur carnet de rendez-vous rempli et qu’il faut attendre des semaines pour trouver une place…

— Je n’ai pas de données pour répondre à votre question. Mais il faut aussi dire qu’il y a pas mal de psychologues qui aident les ONG et les associations en dehors de leurs heures de travail. Par ailleurs, le psychologue n’est pas le magicien qui règle tout. Ce n’est également pas celui sur qui on se décharge des responsabilités que doivent assumer pleinement les parents et les éducateurs dans l’accompagnement des enfants.

Le Mauricien emmène-t-il plus facilement son enfant voir un psychologue qu’il ne va consulter lui-même ?

— Je ne voudrais pas généraliser, mais c’est plus facile de dire : mon enfant a un problème dans ses études, je vais l’emmener voir un psychologue, que d’aller le voir pour soi-même ; la démarche est différente. Mais accepter qu’on ne soit pas bien et décider d’aller voir un psychologue pour en parler, ce n’est pas évident pour tout le monde. Jusqu’à maintenant, ce n’est pas une pratique courante de dire aux autres : je ne vais pas bien, je crois que je fais une dépression et je vais aller consulter. On ne se remet pas suffisamment en question et on redoute le regard des autres.

Quel a été l’impact psychologique de la Covid — et de ses retombées économiques — à Maurice ?

— Il a été énorme, comme partout ailleurs dans le monde. Au début, avant le confinement, on a semblé croire que cela ne pouvait pas nous arriver, que Maurice allait être protégée, que la Covid n’était pas pour nous. Quand c’est arrivé, de manière quand même assez soudaine, tout le monde a été surpris. Certains de mes collèges ont parlé au début de faire le deuil de ce qu’était notre vie avant et d’accepter celle qui nous était imposée avec le confinement. Je pense que les premières semaines du confinement ont été les plus dures. Les familles, les couples et les enfants se sont retrouvés dans une situation à laquelle ils n’étaient pas habitués : vivre ensemble tout le temps, 24h/24. Tout cela a mené à des changements de comportement en général. Après, on a parlé de résilience, un neuropsychiatre a même parlé de la capacité du cerveau à remodeler certains de ses circuits pour s’adapter aux situations nouvelles aux changements de l’environnement. Pendant cette période, la SPP avait mis en place une hotline téléphonique pour proposer un service d’écoute qui a touché une centaine de personnes. Il y avait dans les problématiques qui sont remontées la lourdeur de la situation de confinement, le stress, l’anxiété et même des dépressions.

Des travailleurs sociaux qui sont en contact avec les ONG s’occupant de problèmes familiaux disent que si le confinement a permis aux familles de se retrouver, il a également permis aux situations conflictuelles de se multiplier…

— Le fait de se retrouver les uns à côté des autres 24h/24 a ses côtés positifs et ses inconvénients. Dans les grandes familles avec grand-père et grand-mère, les parents les enfants dans un espace restreint, ce n’est pas évident. À ce que j’ai entendu et constaté, on peut dire que le bilan du confinement a été plus positif que négatif en gros. Les enfants ont trouvé top d’avoir leurs parents à la maison, à disposition, attentifs, ce qu’ils n’avaient pas avant le confinement. Les enfants autistes, ceux qui ont du retard dans le développement, ont profité du confinement et on constate des effets positifs. Mais cela étant constaté, il faut quand même dire que la violence domestique n’a pas diminué pendant le confinement, au contraire. Des chiffres assez inquiétants ont été rendus publics.

Depuis le déconfinement, on entend des Mauriciens dire qu’ils ont peur de l’avenir, de perdre leur travail, de ne pas pouvoir rembourser le prêt bancaire pour la maison et, pire, de ne plus avoir les moyens d’envoyer leurs enfants dans une école payante…

— Il faut qu’on fasse attention, que l’on soit sur le qui-vive par rapport à ces peurs. Qu’est-ce que tout cela engendre finalement ? Où est-ce qu’on va ? On n’arrive pas à se projeter dans l’avenir, on a une vision qui est pessimiste. Un auteur américain fait le lien entre le pessimisme et la dépression. Les personnes qui sont de nature pessimiste sont sujettes dans leurs parcours de vie à des épisodes dépressifs. Si on prend en compte l’augmentation de la peur de l’avenir, du pessimisme, finalement, on peut penser qu’on aura plus de personnes qui risquent de sombrer en dépression ou en tentative de suicide. La personne qui a des difficultés à rembourser ses prêts bancaires et à payer l’écolage de son enfant n’aura pas les moyens d’aller consulter. Ce sont des sujets qui sont encore difficiles à aborder. On en parle en société en général, mais c’est très difficile pour la personne qui est en train de passer par une phase dépressive de le réaliser, dans un premier temps, ensuite, de s’accepter avant d’aller se faire accompagner.

A-t-on une idée de l’importance de l’impact psychologique de la pandémie à Maurice ?

— À Maurice, on n’a pas de données sur la situation psychologique. Au niveau de l’association, nous sommes en train de revoir nos valeurs par rapport à notre mission et nos objectifs. Avec la mise en place de l’AHPC, tout est remis en question. Au départ, l’association a été créée pour essayer de donner un cadre à la profession avec l’AHPC, si nous sommes encore légitimes, si nous devons exister en tant qu’association. Nous sommes actuellement en train de travailler sur ces problématiques.

Quelle est votre réponse à la question de la survie de la SPP ?

— Je pense que oui. On a d’autant plus besoin d’exister autour des besoins que l’on a ressentis avec la Covid. Il faut s’unir pour faire avancer la profession. L’être humain se perd un peu dans ce brouhaha qu’est le travail, la technologie et on ne prend pas suffisamment de temps pour se recentrer sur ce que l’on est là, ici et maintenant. C’est essentiel de prendre cinq minutes pour soi chaque jour, pour respirer, regarder autour de soi, poser ses pieds sur la terre juste pour se ressourcer. Il faut quand même garder l’espoir et rester optimiste. Je garde l’espoir dans l’enfant qui est l’avenir du pays et du monde. Il faut que les adultes en soient conscients, se remettent en question par rapport à leur rôle envers les enfants. C’est tout un travail que nous devons faire sur nous-mêmes pour accepter l’enfant comme il est déjà, arrêter de parler de punition et éduquer dans le respect et la bienveillance. Il faut aussi entendre, accepter et écouter ce que les parents sont en train de vivre à leur niveau, leur ressenti. C’est à travers cette écoute, cette acceptation que l’on peut essayer de guider, de conseiller, d’accompagner, de réfléchir ensemble aux possibles solutions. Il y a beaucoup de problématiques sur notre capacité à nous adapter au monde d’aujourd’hui. C’est une problématique sur laquelle on ne travaille pas suffisamment.

Est-ce qu’il faut redouter des séquelles psychologiques de la pandémie et du confinement ?

— Il faut d’abord reconnaître que Maurice a été beaucoup plus résiliente face à la pandémie que d’autres pays et on ne le dit pas assez. Quand on compare à ce qui se passe ailleurs dans le monde, nous nous en sommes bien sortis. Nous avons quand même été confinés pendant trois mois et on l’a un peu oublié, mais la pandémie a créé une nouvelle situation. L’impact que le confinement a eu sur l’économie avec les emplois perdus a fait naître des peurs et on ne sait pas comment les gens pourraient réagir si nous étions forcés d’aller vers une deuxième période de confinement. Il y a non seulement ceux qui ont perdu leur emploi ou ceux dont les salaires ont été réduits, mais ceux avec qui ils vivent. La dépression, l’anxiété, la perte de contrôle ne se voient pas forcément, mais il y a des gens qui, suite aux retombées du confinement, sont en grande souffrance et il faut prendre des mesures pour gérer ces situations. Est-ce que nous sommes équipés pour le faire quand ça arrive dans une entreprise ? Il faudrait pouvoir mettre en place des cellules d’écoute, former des gens à cette écoute. Je ne suis pas sûr que la dimension psychologique des retombées du confinement soit reconnue comme elle devrait l’être et que des mesures aient été ou soient prises pour y faire face. De manière générale, à Maurice, quand on fait une nouvelle loi qui a des retombées psychologiques — je prends l’exemple du Children’s Bill —, on ne vient pas forcément demander leur avis ou leurs recommandations aux psychologues. De manière générale, on ne consulte pas les psychologues sur ces questions-là. On a beaucoup parlé de la dimension psychologique du confinement pendant le confinement, mais après, on en a parlé de moins en moins, sans doute parce que d’autres problématiques plus importantes ont surgi et occupent toute la place dans l’actualité, comme les faits divers.

Que pensez-vous de cet engouement, pour ne pas dire cette passion des Mauriciens pour les faits divers ?

— Ce n’est pas seulement à Maurice que cette tendance existe: c’est un phénomène mondial. On est plus intéressé par ce qui va mal, par le drame, le sensationnel que par ce qui est plus positif. Mais il faut aussi dire qu’il y a des gens qui ne s’intéressent pas à ce genre d’information et qui ont choisi de se déconnecter parce que c’est too much pour eux, alors que d’autres en redemandent. Mais à force de n’entendre que des faits divers, de baigner dedans, si on peut dire, ça va finir par influencer notre fonctionnement. Car nous avons tendance à reproduire certains comportements vus et entendus. Le négatif répété à haute dose ne peut qu’engendrer du négatif. Nous sommes modelés, façonnés du point de vue neurologique par notre environnement. S’il nous renvoie des choses qui sont négatives, nous n’allons pas reproduire des choses positives. Il faut qu’on arrive à trouver les moyens pour se recentrer sur soi-même, sur les choses essentielles pour son propre bien-être et celui de la société dans laquelle nous vivons. Vous allez me dire que c’est utopique, mais il faut une dose d’utopie dans le monde dans lequel nous vivons.

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