Drogue – Avec « Ensemble » : le diocèse de Port-Louis en première ligne du combat

Cadress Rungen (travailleur social) : « La quête du plaisir ravage notre jeunesse »

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— Père Gérard Mongelard : « Pas un jour ne passe sans qu’il y ait un décès causé par la drogue synthétique »

L’heure est « très grave », estiment des travailleurs sociaux, dont Cadress Rungen et Jean Bruneau, et le père Gérard Mongelard, porte-parole du diocèse de Port-Louis. « La drogue synthétique, dont font état les médias chaque jour, fait des victimes au quotidien. Il est l’heure d’unir nos forces, citoyens, parents, ONG, État, secteur privé : toute la nation mauricienne… pour réagir et offrir à nos jeunes un futur empreint de bonheur », disent-ils. À l’initiative du cardinal Maurice Piat, ces travailleurs sociaux ont élaboré en collaboration avec père Mongelard, le document “Ensemble, construisons une société axée sur le bonheur”, qui a été présenté à Lakaz A, structure d’accueil du Groupe A de Cassis, à Port-Louis.

« Qu’est-ce qui pousse autant de jeunes à s’adonner à la drogue ? Le plaisir ! Il n’y a rien d’autre que cela. C’est un plaisir éphémère et fatal. Ce n’est pas cela, le bonheur. Mais c’est dans cette recherche du bonheur que ces jeunes, par ignorance, cèdent aux tentations et deviennent des esclaves de drogues, dont les produits synthétiques. » Ce constat de Cadress Rungen, travailleur social comptant plus de 30 ans de travail sur le terrain, infirmier à la prison et diacre depuis quelques années, résonne tel un coup de semonce. Il ne cache pas son extrême inquiétude. « La situation s’aggrave de jour en jour. » Réfléchi et lucide, il avance : « Les saisies, importantes et fréquentes, qui sont réalisées, sont révélatrices de deux éléments : d’abord, que nos agences répressives sont très productives, et de l’autre, que la demande est croissante ! Et c’est là que nous devons réagir. »

Jean Bruneau, ex-Deputy Commissioner of Police et ancien commissaire des prisons, actuel président du Centre d’Accueil de Terre-Rouge (CATR), renchérit : « L’ignorance est la source de tous ces maux. Si je vous demande : est-ce que la drogue est bonne, vous allez répondre “non”, parce que parmi vous, il y a des parents de toxicomanes, ou des animateurs de quartiers, vous avez tous été formés et vous connaissez les dangers des drogues. Mais posez au premier jeune rencontré dans la rue la même question. Il vous répondra : “Ladrog ? Nisa sa !” Pourquoi ? Parce que, pour lui, prendre de la drogue, c’est ressentir du plaisir. Voilà ce contre quoi nous devons nous battre pour donner à nos jeunes ce qui leur revient en toute légitimité : le bonheur de vivre ! »

En raison de la situation, qui ne cesse de se détériorer, le père Mongelard fait état de l’initiatice du diocèse catholique. « Le Cardinal Maurice Piat a réuni des travailleurs sociaux avec pour mission de se pencher le thème Ensemble, construisons une société axée sur le bonheur” ». Il renchérit: « ce n’est qu’ensemble, tout le peuple mauricien uni, que nous allons pouvoir vaincre ces fléaux sociaux qui découlent du trafic et de la prise de drogues ».
L’abbé Mongelard rajoute « chaque jour qui passe, je dois officier à des enterrements de jeunes, morts à cause des drogues ». Il poursuit : « Surtout les produits synthétiques. Il y a deux jours, j’ai enterré un jeune. Mais ce que m’a dit sa maman donne froid dans le dos : “Prepar ou pou anter mo segon… Li lor mem sime !” Vous réalisez à quel point c’est dur pour un parent de dire de telles paroles ? »

Jean Bruneau, réagissant sur cet aspect, a fait remarquer que « pour ne pas affoler la population, quand une personne meurt d’une overdose, il est écrit sur son certificat de décès “œdème pulmonaire” ». Or, ajoute-t-il, les cas d’overdose sont « en hausse constante ». Les drogues de synthèse sont disponibles dans tous les coins de rue. Il fait de plus ressortir que « les agences publiques, comme l’ADSU et les contrôles des douanes ont été revus, certes, mais les saisies continuent… La drogue continue d’entrer dans le pays ».

À cet effet, Cadress Rungen a dressé un parallèle avec le Covid-19 (nouveau coronavirus). « Pour éviter d’attraper ce virus, nous avons tous, à Maurice comme dans le monde entier, développé les bons réflexes : on sait par cœur ce qu’il ne faut pas faire. Alors pourquoi n’adopte-t-on pas la même attitude envers la drogue ? » se demande-t-il. Le travailleur social poursuit : « Des virus, comme le Covid-19, on en a vu d’autres qui passent, font leur temps, et disparaissent. En revanche, la drogue, elle, est un virus qui est tenace ! Malgré tous les gros efforts des autorités et de la société, on n’arrive pas à s’en débarrasser ! Au contraire. Elle prolifère. »

Toutefois, il concèdera que « le trafic de drogue est synonyme d’argent, de beaucoup d’argent, facilement gagné, de plaisirs factices, de pouvoir. » Pour le père Mongelard : « On entend couramment des arrestations et des saisies, mais de « petits poissons ». Qu’en est-il des trafiquants ? Des cerveaux de la mafia ? Pourquoi ne les arrête-t-on pas ? Est-ce une question d’argent ? De pouvoir ? De protection ? On se pose toutes ces questions : c’est légitime avec tout ce qui se passe autour de nous ! »

“Ensemble” se veut « un document complet, un guide pour mieux comprendre et reconnaître les symptômes de l’addiction ».

La réinsertion sociale, talon d’Achille

Cadress Rungen cache difficilement son amertume sur un aspect de la lutte contre la drogue. « Aujourd’hui, les centres engagés dans la réhabilitation et la réinsertion sociale des anciens toxicomanes sont livrés à eux-mêmes ! Mes frères et sœurs des autres ONG ne peuvent plus donner de formation et d’encadrement adéquats en matière de réinsertion. Cela pour la simple raison que les finances font défaut ! Ils sont réduits à mendier un quelconque soutien financier afin d’aider des patients. C’est révoltant ! »

Le cardinal Piat en session de travail avec Cadress et Ragini Rungen et Letissia Molen de Lakaz A/Groupe A de Cassis

De fait, il lance un vibrant appel: « les autorités doivent revoir l’aide apportée aux centres et ONG en vue de les soutenir davantage, afin que nous puissions avoir de meilleures armes pour protéger les victimes des drogues ».

« La hausse constante sur le plan de rechute découle du fait que, dans la majorité des cas, les patients n’ont aucune ouverture en termes de réinsertion sociale, comme trouver un emploi et le garder. C’est là d’où vient une grosse partie du problème ». Évoquant, dans la foulée, sa carrière d’infirmier des prisons, Cadress Rungen a fait ressortir que le problème de la drogue y est « très inquiétant ».

« Les Envoyés »

“Ensemble, construisons une société axée sur le bonheur” comprend le projet “Les Envoyés”. Il s’agit de « former des gens, les armer par le biais de l’éducation et de les envoyer dans la communauté, partout autour de l’île, afin qu’ils sachent reconnaître ces personnes victimes de drogues, qu’ils les approchent, et parviennent à les diriger vers des centres et des soins appropriés ». C’est mettre en place un réseau d’humains prêts à prendre en charge les victimes. Le Père Mongelard a évoqué l’Évangile de St Luc, « où Jésus envoie 72 disciples en mission, dans la société, avec des consignes bien précises pour s’attaquer aux problèmes sociaux ». Il poursuit : « Nous sommes parmi ces disciples et nous avons cette mission à accomplir ! » Plusieurs groupes de personnes ont déjà bénéficié de formations et étaient placés dans divers quartiers du pays.

Ne jamais baisser les bras

Cadress Rungen, Jean Bruneau et le père Mongelard présentent un message unanime: ne jamais baisser les bras. « Toutes nos plateformes religieuses présentes à Maurice doivent s’unir pour faire un seul bloc et pour combattre, dans un même élan de solidarité, notre ennemi commun qu’est la consommation des drogues ». Ils ajoutent : « La place du religieux n’est pas uniquement dans son église, son temple ou sa mosquée. Elle est aussi dans la société, dans la rue et là où les croyants ont besoin de leur aide. »

Cadress Rungen déclare : « quand je vois que nos jeunes, filles comme garçons, de 15 ans à monter, sont déjà accros aux synthétiques et autres produits, je suis extrêmement inquiet. Il est l’heure maintenant d’agir. »

Le père Mongelard note que « certes, beaucoup diront que c’est un gaspillage d’énergie parce qu’un grand nombre de victimes rechutent, je réponds que nous ne devons jamais perdre espoir ». Et conclut : « L’espérance fait partie de la foi. Et nous avons le devoir d’offrir à nos jeunes un avenir heureux. Ils le méritent. »

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