Élections générales 2019 : La femme toujours sur le banc de touche

Loga Virahsawmy : “Si pena madam, sa bann zom-là pa eli”

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 Jonathan Ravat : “Plusieurs choses font que leur engagement s’arrête au seuil de la politique, et c’est dommage”

  La mission d’observateurs aux élections générales de la Southern African Development Community (SADC), dirigée par la ministre sud-africaine des Relations internationales et de la Coopération, Maite Nkoana-Mashabane, a accordé une note positive à Maurice. Toutefois, elle devait faire état des efforts supplémentaires en vue d’assurer une plus importante représentation féminine sur le plan politique et surtout lors des élections législatives.” C’est ce qui est indiqué dans un article du Mauricien de 2014. Cinq années plus tard, en 2019, les choses ne se sont pas améliorées, bien au contraire. Cette année, seulement 18% de femmes seront candidates mais seulement 12 sur 60 pour les trois grandes formations politiques. Nous avons discuté avec Loga Virahswamy de Gender Links et Jonathan Ravat de l’Institut Cardinal Margéot.

Elles seront 148 candidates à briguer les suffrages le 7 novembre prochain, contre 662 candidats. Si l’on note une légère amélioration en comparaison avec les élections générales de 2014 qui affichaient un taux de représentation féminine de 17,32 %, l’on est encore loin des 33%, comme recommandé par la SADC. Loga Virahsawmy, membre du comité régional de Gender Links, se dit très “déçue, choquée, en colère. C’est inadmissible en 2019.” “J’étais persuadée que les principaux partis politiques – MMM, MSM et PTr –allaient faire un effort après avoir longuement parlé de la représentativité féminine au sein de leur parti respectif. Je pensais sincèrement qu’ils allaient suivre la nouvelle Government Act qui recommande un pourcentage de 33% de femmes ou d’hommes au moins”, dit-elle.

Loga Virahsawmy ne mâche pas ses mots. “Finalement, tous ces leaders politiques ont envoyé promener tous les accords et protocoles dont Maurice est signataire!” Pourtant, elle explique que ces mêmes partis, à l’exception du MMM, ont tous répondu présents aux ateliers de formation organisés par Gender Links pour les encourager à inclure plus de femmes dans leurs équipes. “Si pena madam, sa bann zom-là pa eli”, renchérit-elle. Loga Virahsawmy explique que la femme joue un rôle important dans la campagne électorale. “Qui font du porte-à-porte? Qui préparent du thé ou à manger lors des réunions nocturnes?” La réponse est claire et nette. “La femme n’est pas bonne qu’à faire des bajas. Elle est aussi une excellente politicienne qui connaît le terrain.”

Problèmes internes au niveau des partis

Selon elle, les femmes font d’aussi bonnes politiciennes que leurs homologues masculins, si ce n’est de bien meilleures.”Regardez toutes ces femmes conseillères municipales, ou qui travaillent dans des conseils de villages… Elles sont solides! Elles sont souvent les premières à aller aider les femmes battues de leur localité, à aller les aider. Elles connaissent le Bread and Butter Business de leur localité”, explique-t-elle. Ainsi, dire qu’il n’y a pas de candidates femmes parce que les femmes elles-mêmes ne s’intéressent pas à la politique, ne tient plus la route. “C’était peut-être le cas avant, mais désormais ce n’est plus le cas. Il n’y a qu’à voir le nombre de femmes dans les cellules féminines des partis comme le MMM ou le PTr. Elles sont très nombreuses”, ajoute Loga Virahsawmy.

Par ailleurs, elle reproche aussi aux femmes de ne pas s’imposer suffisamment. “Je blâme ces femmes qui travaillent d’arrache-pied sur le terrain de ne pas faire suffisamment pression sur leurs leaders. Elles auraient dû avoir le courage de leur dire : si vous ne nous donnez pas de ticket, on en travaillera pas pour vous !” Loga Virahsawmy dénonce aussi le patriarcat, très présent au sein de certains partis traditionnels. “Dans un parti politique, il y avait un comité de 8 hommes pour décider de l’attribution de tickets. Comment voulez-vous que cet exercice se fasse de manière démocratique? Il y a, donc, des problèmes internes au niveau des partis politiques”, dit-elle. “C’est une honte pour Maurice”, conclut-elle.

Triste et déçu

Une honte, c’est aussi ce que pense Jonathan Ravat, chef d’études sociales à l’Institut Cardinal Margéot et détenteur d’un doctorat en anthropologie des religions. Face à ce faible taux de participation de femmes candidates, il s’interroge sur le regard que porte le citoyen sur celles-ci. “Est-ce qu’il y a des mécanismes, des structures qui sont mis en place pour donner un espace à ces femmes de faire de la politique?”, se demande-t-il. Comme Loga Virahsawmy, il jette la pierre sur le patriarcat et le phallocentrisme des sociétés modernes. “Je l’ai toujours dit, je suis un féministe. Et je suis triste et déçu de voir si peu de femmes s’engager dans la politique, pas parce qu’elles ne veulent pas mais parce qu’elles ne peuvent pas. Et pourtant, les femmes sont extraordinaires dans leur engagement. Mais malheureusement, plusieurs choses font que leur engagement s’arrête au seuil de la politique, et c’est dommage”, dit-il.

En effet, selon Jonathan Ravat, il est navrant de voir que les femmes, encore aujourd’hui, ne puissent aller au-delà et pénétrer les sphères de la politique. “La domination masculine est un fait qui a traversé l’espace et le temps. Ce qui fait qu’elle a marqué la psyché humaine. Nous transportons, donc, avec nous ce prisme selon lequel l’homme doit tout le temps être dominant, et cela marque notre système”, explique-t-il. Un système social et politique où la femme peine à se trouver une place, tant l’homme en prend, et tant elle se fait petite. “Les femmes sont bloquées car, des fois, elles se bloquent elles-mêmes de peur de ne pas être à la hauteur et restent assises sur le banc de touche et regardent le match jouer. Ou sinon, elles restent enfermées dans leur rôle de mère ou d’épouse, ce qui peut être très positif car elles décident de s’occuper de leur famille, mais il y a aussi un bien supérieur où elles peuvent justement s’occuper de l’intérêt de la nation”, dit-il.

Jonathan Ravat remet en question les structures au niveau de la sécurité des femmes en politique. “Loin des clichés, cela est un fait que c’est plus difficile pour une femme d’aller à des réunions à des heures indues, etc. Par exemple, une femme enceinte qui fait de la politique, comment allons-nous réagir? Allons-nous nous moquer d’elle ou alors la saluer? Donc, à un moment donné, l’on devrait, nous aussi, nous poser la question: sommes-nous complices de ce système? Que faisons-nous pour le changer?”

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