Un excavateur, un éboueur et un opérateur se trouvent actuellement à l’hôpital pour soigner leurs brûlures
2 véhicules détruits dans l’incendie
La station fermée jusqu’à nouvel ordre
C’est une véritable bombe écologique à retardement qui menaçait d’exploser. Week-End a tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises. Ce qui devait arriver arriva. Un violent incendie, accompagné d’épaisses fumées noires, a éclaté hier après-midi dans la station de déchets de Roche-Bois, mettant en péril la vie de trois personnes : un excavateur, un éboueur et un opérateur du site. Ils se trouvent actuellement à l’hôpital pour soigner des brûlures sur plusieurs parties du corps. Un camion et un engin de chantier qui se trouvaient dans l’enceinte du dépotoir ont aussi pris feu. Pour l’heure, l’origine de l’incendie n’est pas connue, même si d’aucuns pointent du doigt ces individus sans scrupules qui sont de plus en plus nombreux à faire fi des lois en brûlant des gaines entourant des kilos de câbles électriques afin d’en extraire le cuivre. Les sapeurs-pompiers, qui sont intervenus à temps, soulignent qu’à hier soir, la situation était « under control », et que le feu serait totalement circonscrit aujourd’hui ou au plus tard demain matin.
Les témoins de ce triste spectacle n’en croyaient pas leurs yeux et leurs oreilles. « On ne compte plus le nombre de fois où le feu a pris autour du site, mais là, c’est du jamais vu. On a entendu une dizaine d’explosions avant que l’incendie ne se déclenche. Il était 16h », à en croire des habitants. L’immense panache de fumée noire couplée à une odeur de soufre a ébranlé la localité durant plus de trois heures, avant que les sapeurs-pompiers ne mettent les bouchées doubles pour empêcher le feu de se répandre vers d’autres compartiments. D’une superficie de 700 arpents, ladite station de transfert se situe d’autant plus à proximité d’un site de wetlands, en l’occurrence l’estuaire du Ruisseau de Terre-Rouge, qui accueille annuellement une moyenne de 1 200 oiseaux migrateurs et qui est protégé dans le cadre de la convention Ramsar. Dans un communiqué émis, hier soir, le ministère de l’Environement souligne que « as at 18.30 hrs the fire was under control. However, the fire fighters are still mobilized at the station to prevent any rekindling of the fire. One personnel of the operator was injured and suffered from burns on his leg and was brought to the hospital. One excavator and one scavenger lorry was burnt in this fire outbreak. The National Environmental Laboratory has mobilized its resources to monitor ambient air quality near the station. The station will remain closed and will not receive any waste until clearance is given by the Fire and Rescue Services. Scavenger lorries which usually bring their waste to the Roche Bois Transfer station should bring their waste to the Poudre d’Or and La Chaumiere transfer stations until further notice. »
Des centaines de riverains vivent autour de la zone abritant la station de transfert de déchets de Roche-Bois. Les étroites et sombres allées entourant la zone sont désertes depuis hier soir, les gens préférant se terrer dans leurs maisons plutôt que de s’exposer aux colonnes de fumée toxiques couplées d’une odeur de soufre. Les choses se sont détériorées depuis plus d’une décennie avec l’apparition, autour et dans l’enceinte de la station, de récupérateurs de déchets provenant d’appareils électriques mis au rebut. Ces derniers opèrent de manière très peu conventionnelle en barrant la route aux camions-bennes qu’ils prennent d’assaut dans l’allée même menant au site pour s’emparer des déchets. Les responsables du site et les camionneurs n’ont d’autre choix que de lever les yeux au ciel face ces comportements délictueux sous peine de se faire agresser !
C’est la même rengaine tous les jours. Ayant flairé le bon filon, les fieffés filous sont prêts à tout pour mener à bien leur besogne, quitte à mettre en péril leur propre santé et celle de leurs compatriotes. Pour saisir l’ampleur de cette terrible anarchie, il n’y a qu’à jeter un coup d’œil sur la montagne de déchets jonchant le sol. Outre les câbles électriques et autres appareils ménagers, des sprays déodorants, des canettes de bière et de boissons gazeuses sont également éparpillées au-devant de l’entrée principale. Le ballet des trieurs, munis de sacs de raphia, débute très tôt. Ils démembrent des réfrigérateurs d’un autre âge à grands coups de marteau avant de les brûler, au même titre que d’autres déchets électriques, à l’instar des câbles pour en extraire le cuivre, le cobalt, les platines et autres métaux précieux qu’ils vont vendre au marché noir à prix bradés. En recourant à de telles techniques, ils produisent des vapeurs hautement toxiques et libèrent des métaux lourds dangereux ou de la dioxine (qui est cancérigène). Des fumées noires et âcres rendent l’air irrespirable, sauf que les ferrailleurs persistent dans leur sale besogne à proximité d’habitations où l’odeur de brûlé prend à la gorge du matin au soir.
La bombe à retardement qu’on a ignorée
Les déchets en provenance des régions de Port-Louis et de sa périphérie, Sainte-Croix, Baie-du-Tombeau et Roche-Bois, sont censés transiter par cette station de transfert pour y être compactés, avant d’être acheminés vers la station de déchets de Mare-Chicose. Or, à en croire nos sources, « ce procédé n’est nullement appliqué, d’où la léthargie qui règne sur le site et qui a inévitablement conduit à cet incendie de grande envergure. »
Un expert dans le giron, se confiant sous couvert d’anonymat, ne passe également pas par quatre chemins : « Cette partie de la capitale est assise sur un volcan ! La station de Roche-Bois doit être transférée sur un autre site. Si cette option n’est pas envisageable dans l’immédiat, il faudra dans un premier temps envisager que les déchets solides émanant des régions sud de la capitale soient dorénavant déversés vers la station de transfert de La Chaumière. »
Pour étayer ses arguments, notre interlocuteur souligne qu’« il n’y a pas que cette pollution atmosphérique dangereuse et mortelle qui pose problème, mais également le plomb, le mercure, l’arsenic et le cadmium qui se répandent dans le sol. La sécurité de la population de toute la région doit être le critère principal de l’assainissement. En effet, pendant des années, les divers déchets chimiques entreposés ont pu se mélanger et se recomposer dans le périmètre entourant la zone d’habitation. Les autorités doivent agir et vite. » Rétrospectivement, l’histoire de la décharge de Roche-Bois montre clairement combien les gouvernements qui se sont succédé et les industriels ont traité avec légèreté la problématique des déchets, la gestion et la reconversion du site. Dans le cadre de l’ouverture du centre d’enfouissement technique (CET) de Mare-Chicose, en 1995, les cinq dépotoirs à ciel ouvert que comptait alors le pays ont été fermés et transformés en stations de transfert, dont le site de Roche-Bois, pour le plus grand soulagement des riverains. Le projet d’un parc récréatif, comprenant également un complexe sportif, devait naître dans les années 2000, mais sera finalement rangé dans le tiroir des projets fantômes.
Les habitants pensaient alors être définitivement débarrassés des aléas engendrés par les émanations de fumée dégagée par le dépotoir. Sauf qu’ils vont vite déchanter en 2007, avec la décision prise par les autorités, dans le sillage du cyclone Gamede, de permettre que les déchets verts soient brûlés sur le site. Outre la fumée empestant le voisinage, il y a aussi l’odeur pestilentielle qui émane des autres déchets biodégradables.