Mort de Pravin Kanakiah : l’enquête judiciaire est bouclée, mais le mystère reste entier

  • Au terme de 24 audiences, la thèse du meurtre a largement gagné en crédibilité, malgré l’insistance de l’enquêteur principal à privilégier le suicide
  • Trois années d’ombres, de contradictions, et une justice à l’épreuve

L’enquête judiciaire sur la mort de Pravin Kanakiah, ancien Procurement Officer du ministère des Finances, s’est officiellement achevée le 21 mai 2025. Trois ans après la découverte de son corps à Bain-des-Négresses, le 11 décembre 2020, le scénario initial d’un suicide est désormais gravement mis en doute. La magistrate Ameerah Dunnoo, qui a présidé cette enquête fleuve de 24 audiences et entendu plus d’une vingtaine de témoins, a réservé ses conclusions. Au terme de cette procédure, une certitude s’impose : cette affaire est loin d’être limpide.

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Entre défaillances policières, témoignages contradictoires, rapports médico-légaux accablants et possibles pressions politiques, l’image d’une enquête incomplète et orientée se dessine en toile de fond.

Une découverte troublante, des débuts confus

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Le corps de Pravin Kanakiah est retrouvé le 11 décembre 2020, en mer, à la Roche-qui-Pleure. Il ne porte qu’un pantalon et une chaussure. Son véhicule est retrouvé à Réduit, près de son bureau. Aucun de ses effets personnels n’est localisé. L’autopsie conclut à une hémorragie cérébrale aiguë. Fait crucial : aucune trace de noyade n’est relevée. Le Dr Sudesh Kumar Gungadin précise que la mort est survenue avant l’entrée du corps dans l’eau.

Dès la première audience, le 19 septembre 2023, les premiers doutes émergent. Le constable Kisoon avoue ne pas avoir consigné l’appel anonyme reçu dans le registre de la NCG, bien qu’il s’agissait du déclencheur de l’intervention policière. Le pêcheur Dhananjay Ruttoo parle de « marques de griffure » sur le corps du défunt. Déjà, la thèse du suicide semble vaciller.

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Le témoignage clé du sergent Tapsee

C’est la déclaration du sergent Tapsee qui cristallise les suspicions. Il affirme avoir vu Pravin Kanakiah la veille de sa mort, seul et debout à Roche-qui-Pleure, sans signe de panique, et sans sac. Ce témoignage est en contradiction directe avec celui de sa collègue Oushna Sookeea, qui assure l’avoir vu le même jour à Réduit, vêtu d’une chemise blanche et portant un sac à dos.

Tapsee affirme également avoir reçu une photo du cadavre via WhatsApp, dont il ne se rappelle pas l’expéditeur. Il perdra ensuite son téléphone, dit-il, lors d’une randonnée. Aucune plainte ne sera enregistrée. Il mentionne aussi avoir reçu des menaces, sans en référer à sa hiérarchie.

Une analyse CCTV bâclée : le fiasco Safe City

Les enregistrements des caméras Safe City auraient pu être cruciaux. Or, le constable Seedanie admet avoir visionné 130 heures de vidéos en 7 heures, en mode accéléré, sans zoom, avec une reconnaissance des visages jugée impossible. Il ne sélectionne que 5 caméras sur la trentaine de

disponibles dans la région de Gris-Gris, sur instruction de l’inspecteur Rughoonundhun.

Lors des dernières audiences, Me Damodarsingh Bissessur, représentant du DPP, et la magistrate Dhunnoo soulignent l’absence de méthodologie, la non-vérification d’autres caméras et l’inutilité de la procédure adoptée, car fondée sur une photo Facebook et non sur un signalement fiable. L’ASP Ghoora, superviseur de l’enquête, confirmera ces choix douteux sans pouvoir les justifier de manière satisfaisante.

Une vie sous tension : contexte personnel et professionnel

Pravin Kanakiah gérait des dossiers sensibles liés aux achats pharmaceutiques en pleine pandémie. Il subissait un transfert controversé peu avant sa mort. Plusieurs témoins – supérieurs hiérarchiques et collègues – nient toute pression. Sa veuve, Reshmee Kanakiah, assure pourtant qu’il était stressé et qu’il avait reçu un appel d’une « gran madam », la veille du drame.

Un autre élément trouble est le remboursement express d’un prêt de Rs 3,2 millions contracté auprès de la SBM, réglé par l’assurance quatre jours après le décès. L’épouse affirme n’avoir pas été informée des clauses relatives au suicide, une donnée cruciale dans la compréhension du mobile éventuel.

Deux experts, une même conclusion : meurtre probable

Le Dr Gungadin exclut formellement la noyade : le décès est antérieur à l’entrée du corps dans l’eau. Il évoque un traumatisme crânien externe, un choc violent, sans fracture visible. Le Dr Satish Boolell, expert médico-légal indépendant, partage ce diagnostic et va plus loin : un simple coup précis peut provoquer une hémorragie mortelle. Il regrette de ne pas avoir été autorisé à effectuer une contre-autopsie, faute de mandat officiel.

Son témoignage, ferme, a souvent provoqué des échanges vifs avec la magistrate, qui a néanmoins reconnu la pertinence scientifique de ses observations.

Des réponses policières en décalage, des appels inexploités

Dans les dernières séances, les échanges entre Me Bissessur et le SP Ghoora ont mis en évidence d’autres carences :

  • Le dernier appel reçu par Pravin Kanakiah, le 9 décembre à 19h (514 secondes), n’a pas été analysé en profondeur.
  • La police n’a contacté aucun interlocuteur extérieur au cercle familial, malgré l’importance de cette piste.
  • Le SP Ghoora justifie cette décision par l’absence de tension apparente autour de la victime ; une explication jugée inadéquate par la Cour.

Malgré le rapport médico-légal et les contradictions flagrantes, le SP Ghoora maintient jusqu’au bout que la police considère toujours cette affaire comme un suicide.

Magistrature vigilante, familles combatives

La magistrate Ameerah Dhunnoo a été une figure centrale : exigeante, méthodique, souvent agacée par les imprécisions des témoins ou l’impréparation des policiers. Elle a régulièrement recadré la NCG, les enquêteurs de la MCIT, et n’a pas exclu de sanctionner les absents ou les réticents.

Du côté des proches de la victime, la détermination est intacte. Menés par Me Rama Valayden et les Avengers (Me Teeluckdharry, Me Goodary), les avocats de la famille dénoncent une possible manipulation, un étouffement politique, et la faillite du système Safe City. Me Valayden, en particulier, ne cesse de répéter que Pravin Kanakiah a été enlevé, assassiné et jeté à la mer.

Une enquête bouclée, mais loin d’être terminée

Après près de deux ans de procédure judiciaire, l’enquête est désormais formellement bouclée. La magistrate remettra prochainement son rapport au Directeur des Poursuites Publiques. Si les responsabilités directes ne sont pas encore établies, la version policière du suicide apparaît aujourd’hui fragilisée.

Entre conclusions médico-légales claires, vidéosurveillance partiellement exploitée, et témoignages humains discordants, la thèse du meurtre s’impose désormais comme l’explication la plus plausible.

Pour la famille Kanakiah comme pour une partie de l’opinion publique, une exigence demeure : la vérité, toute la vérité, et que les coupables, aussi hauts placés soient-ils, rendent des comptes.

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