Sexting, sextorsion et revenge porn chez les ados : L’extimité à risque

Des contenus en vente, accessibles aux adultes, y compris à des prédateurs potentiels
Les autorités, lentes à réagir

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Parce qu’elle était profondément affectée par la diffusion de ses photos intimes sur Telegram, une collégienne de 17 ans s’est suicidée le 25 octobre dernier. Survenu en pleine période d’examens, ce drame inquiète et interpelle. Non seulement le sexting est, depuis plusieurs années déjà, une pratique courante chez les couples d’adolescents, mais la diffusion de nudes sur Telegram, et parfois sur WhatsApp, qu’il s’agisse de sextorsion ou de revenge porn, demeure une méthode qui persiste. Et les conséquences, irréparables, touchent les victimes les plus vulnérables. Par ailleurs, deux phénomènes – dont l’un est intrinsèquement lié à la diffusion de photos d’adolescentes –  que nous abordons plus loin, devraient  « réveiller » la Cybercrime Unit de la police. Il s’agit, d’une part, de la vente de vidéos et de photos d’adolescentes récupérées après leur diffusion, et auxquelles un public d’adultes, dont des pédophiles, peut avoir accès ; et, d’autre part, les appels vidéos de jeunes assaillants pervers. Dans ce genre d’affaire, où des garçons sont eux aussi victimes de sextorsion, les adolescents ne portent pas plainte, par peur et par honte. S’ils n’en parlent pas aux adultes de leur entourage, il ne faut pas s’attendre à ce qu’ils se présentent au poste de police pour raconter que leurs nudes circulent sur les portables de leur classe. Remonter jusqu’aux numéros de téléphone liés à des contenus à caractère pornographique impliquant des mineures n’est pas compliqué. Pendant que des adolescents explorent la sexualité et les dérives offertes par la technologie digitale, les autorités restent enfermées dans des discours sur une stratégie préventive qui peine à se concrétiser et appellent les parents à être vigilants. Ces derniers doivent aussi assumer leurs responsabilités. Si l’école reste sourde à l’introduction de l’éducation à la vie affective, et si le trafic de contenus pornographiques impliquant des mineurs se poursuit sans sanction, les adolescents resteront toujours à risque.

V. est une collégienne âgée de 13 ans. Le suicide, elle y a pensé après une récente affaire de revenge porn. Victime collatérale d’une brève histoire d’amour, de sexe et de rupture entre adolescents, elle a découvert une photo à caractère sexuel qui la montrait en compagnie de sa meilleure amie, nue, après que l’image ait été partagée sur les réseaux sociaux. « C’était un photomontage », assure l’adolescente. « Sur la photo, j’étais habillée. Mon amie, elle, était réellement nue. La photo d’elle avait été prise lorsqu’elle était avec son ex, puisqu’ils avaient des rapports sexuels », dit V. Sa meilleure amie a également 13 ans. Et l’ex-petit-ami, lui, a 15 ans. Ce sont les camarades de classe des deux jeunes filles qui leur ont montré la photo qu’elles avaient reçue sur leur téléphone. « Mo’nn gagn enn sok. Lor foto-la, ti ena mo nom. Sa ti bien fatig mwa », confie V. Elle savait, dit-elle, de quoi était capable ce jeune garçon: « Li pa al lekol. Li ena move labitid. Mo ti dir mo kamarad pa sorti ar li, me li pa finn ekout mwa. »
Elle riposte de la même manière
Alors que la photo devenait virale, les deux amies se sont senties impuissantes et avaient surtout peur que celle-ci tombe entre les mains de leurs proches. C’est alors que V. a trouvé une stratégie pour mettre fin à cette affaire de revenge porn. Sa stratégie, explique la jeune fille, consistait à contre-attaquer l’auteur du photomontage par la même méthode qu’il avait employée. « J’ai créé un faux compte. Puis, j’ai été sur un réseau pour trouver un nude d’homme et j’ai fait un montage. J’ai remplacé sa tête par celle de l’ex-petit copain de mon amie. Je lui ai envoyé la photomontage et je lui ai demandé d’arrêter son jeu, sinon je partageais cette photo », raconte V. Selon elle, cette stratégie aurait fonctionné. L’adolescent n’aurait plus partagé la photo nuisible. N’empêche, celle-ci était déjà entre les mains de personnes qu’ignore V. Que le nude de la coppine de V. avec cette dernière à ses côtés ait atterri dans un des nombreux albums pédopornographiques proposés à des amateurs sur les réseaux: WhatsApp et Telegram, notamment, n’est malheureusement pas impossible…
Les garçons en sont aussi victimes
Le partage et le chantage à la vidéo intime ne concernent pas que les filles. Si, dans la majorité des cas, y compris ceux rapportés par les médias, les victimes sont des adolescentes, les garçons sont aussi touchés. G. n’a pas encore atteint la majorité. En parler lui est difficile. D’ailleurs, comme la majorité des victimes, il ne se tourne pas vers les adultes de son entourage pour se confier. « Je sortais avec une fille qui avait des nudes de moi. Elle ne voulait pas que je la quitte. Elle avait commencé à partager  mes photos pour me mettre en garde. Elle me disait que si je la quitte, elle enverrait ces photos à mes parents », confie ce dernier. Dans son cercle d’amis, Kevin (nom modifié), à peine majeur, nous explique que « des garçons qui entretiennent généralement une relation avec une partenaire plus âgée rencontrent ce type de chantage. »
Invitation au voyeurisme
Si jusque-là, vous pensiez que la problématique des vidéos intimes d’adolescents à Maurice se limitait au sexting et à la sextorsion, vous vous trompez. C., une jeune fille de 17 ans, a eu la désagréable surprise de reçevoir des appels vidéos de jeunes garçons qu’elle ne connaît pas, qui ne voulaient pas lui parler, mais qui souhaitaient qu’elle les regarde s’adonner à des pratiques sexuelles. Ces invitations au voyeurisme féminin sont violentes, puisque le consentement n’en est pas une condition. Et dès que C. décrochait les appels vidéos sur WhatsApp, ces jeunes hommes au visage flouté se lançaient direct dans un jeu pervers. Un jour, un de ces jeunes s’est même fait passer pour un ami de C.
L’expérience de C. est loin d’être isolée. Et puis, il y a « le business » des photos et vidéos explicites d’adolescentes et de jeunes femmes montées par des adolescents. Là, il ne s’agit plus de photos partagées avec numéro de teléphones et légendes vulgaires pour nuire. Mais des albums constitués de vidéos de jeunes filles mauriciennes dénudées filmées dans un cadre intime et qui sont malheureusement sorties en dehors de cette frontière. Les tarifs proposés aux intéressés varient selon le nombre de contenus : vidéos et photos. Et comme nous avons pu le constater nous-mêmes, l’un des protagonistes de ce type de business propose même un deal aux quelque 300 membres de son réseau. Ceux qui ne peuvent pas payer pour accéder à des vidéos de quelques secondes peuvent alimenter « l’album du jour » avec de nouveaux contenus. Quant à la pratique du sex cam, elle est bien réelle. Là aussi, les tarifs varient selon la durée et les prestations proposées.
Sabrina Quirin

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Légende :
La diffusion de nudes d’ados sur les réseaux sociaux demeure une méthode aux conséquences qui peuvent être irréparables (Photo : Source Internet)

HT
Gaëlle Schluchter, fondatrice de Lesprisexy
« Les ados sont hyperconnectés, mais extrêmement vulnérables »

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Quelle serait, selon vous, l’ampleur qu’ont pris le sexting, la sextorsion et le revenge porn chez les ados à Maurice?
Il est difficile de mesurer l’ampleur exacte de ces phénomènes. Mais d’une certaine manière, tout le monde est concerné, et souvent de façon assez grave, car les adolescents sont hyperconnectés et vivent des expériences plus ou moins importantes liées à ces sujets. La sextorsion et le revenge porn existent, certes à un degré moindre, mais le sexting fait désormais partie de leur quotidien. Ils reçoivent aussi des vidéos de personnes qu’ils ne connaissent pas, et qui leur envoient des images de leurs parties intimes. Je crois que tous les adolescents connectés sont confrontés, à un moment ou un autre, à ce type de situation.
Comment expliquer que des adolescents continuent à se filmer dans l’intimité, alors même que les cas de chantage et de suicide liés à ces pratiques sont de plus en plus médiatisés ?
Par faute d’éducation sur ce sujet. Ils réalisent bien que ces contenus peuvent circuler. Mais ils pensent que lorsqu’on les efface, il n’y a plus de traces, alors qu’on sait bien qu’ils sont toujours stockés sur les réseaux.
En tant qu’éducatrice, est-ce qu’il vous arrive d’avoir l’impression que les choses vont vite, que les comportements des jeunes changent plus vite que les outils pour les accompagner ?
En effet, les choses vont trop vite. J’ai des adolescentes de 11 ans qui confient qu’elles regardaient de la pornographie quand elles étaient plus petites. Je le redis : ils sont hyperconnectés, mais aussi extrêmement vulnérables face aux dangers présents sur les réseaux. En termes d’outils, la sensibilisation demeure l’accompagnement le plus approprié et constant.
Quels conseils donneriez-vous aux parents ?
Les recommandations des spécialistes sont claires : pas d’écran avant 12 ans, pas d’accès aux réseaux sociaux avant 15 ans. C’est d’ailleurs pour cette raison que certains pays sont en train d’interdire l’accès aux réseaux sociaux aux jeunes. En tant que parent moi-même, je conseille également aux parents de s’intéresser à ce que font leurs enfants sur leur téléphone. Beaucoup ignorent totalement que leurs enfants utilisent des réseaux sociaux avec la géolocalisation activée. Par exemple, de nombreux enfants sont sur Snapchat avec la localisation activée, ce qui représente un risque supplémentaire. Il serait également nécessaire que les parents établissent des règles claires sur ce que leurs enfants peuvent ou ne peuvent pas faire sur leur téléphone.

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