Fazila Daureeawoo : « Malgré les crises sanitaires et économiques, nous consolidons le Welfare State »

— « Si un bénéficiaire n’est pas satisfait du service ou de la manière dont on lui a parlé, il doit le faire savoir afin que nous prenions les mesures appropriées pour faire les corrections nécessaires »

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— « Pour leur propre sécurité, je demande aux pensionnés d’ouvrir un compte en banque pour que leur pension soit versée directement »

Notre invitée de ce dimanche est Fazila Daureeawoo, la ministre de l’Intégration sociale, de la Sécurité sociale et de la Solidarité nationale. Dans l’interview suivante, réalisée vendredi après-midi à son bureau, elle explique le travail que font les trois ministères dont elle a la charge. Elle répond également à des questions sur la situation sociale des plus vulnérables et donne un aperçu des programmes créés pour leur venir en aide.

Est-il vrai que votre ministère est en train de couper les allocations destinées à venir en aide aux personnes vulnérables ?

— Pas du tout. Permettez-moi tout d’abord de dire que je gère le ministère de l’Intégration sociale, de la Sécurité sociale et de la Solidarité nationale. En ce qui concerne l’Intégration, nous avons en 2016 établi le développement d’un Master Plan axé sur plusieurs piliers pour éliminer la pauvreté du pays : l’aspect financier, l’éducation, la formation, les valeurs familiales et les logements. À travers le National Social Inclusion Foundation, des allocations sont attribuées à ceux qui sont enregistrés sur le registre social (SRM). Pour le moment, nous avons 5142 familles en dessous du seuil de pauvreté ainsi réparties : 3382 à Maurice et 1760 à Rodrigues, dont les salaires mensuels ne dépassent pas celui du seuil de pauvreté. Le barème du seuil de pauvreté, qui était de Rs 9520, est passé à Rs 10500 par adulte et par mois. L’exercice de revoir la liste des bénéficiaires et d’en faire sortir ceux qui ne répondent plus aux critères n’a pas été fait depuis plusieurs années. Les allocations qui étaient sur la base d’une année ont été prolongées plusieurs fois. Nous sommes en train de vérifier si tous les bénéficiaires répondent aux critères, c’est pourquoi des noms de personnes ou des familles dont la situation s’est entre-temps améliorée ont été retirés de la liste. D’où ces rumeurs que nous sommes en train de couper les allocations sociales.

Vous pensez qu’une famille de plusieurs membres peut vivre avec Rs 10 500 par mois ?

— Ce sont des critères établis. Maintenant, si les personnes qui ont été retirées de la liste sociale pensent avoir encore besoin de notre aide, de notre support financier, elles peuvent soumettre une demande pour être réintégrées sur le registre social national. Leurs cas seront examinés.

Est-ce que vous pensez qu’il n’y a à Maurice et à Rodrigues que 5142 personnes/familles dont le revenu mensuel ne dépasse pas Rs 10 500 par mois ?

— C’est le nombre de bénéficiaires de programmes d’aide qui ont fait des demandes et sont sur le registre social national. Il y a, d’autre part, des familles dans le besoin qui sont aidées et soutenues par les ONG à travers d’autres programmes financés par mon ministère. C’est le cas de la National Social Inclusion Foundation, qui remplace le CSR, qui dispose d’un budget de Rs 845 millions destinées à des projets présentés et réalisés par les ONG pour aider dans la lutte contre la pauvreté dans plusieurs domaines. Par ailleurs, au niveau du ministère, nous avons également différents programmes pour offrir du matériel scolaire à plus de 8000 écoliers et collégiens à Maurice et à Rodrigues.

Est-ce que toutes les familles pauvres sont au courant de ces programmes d’aide proposés par votre ministère ?

— Nous faisons des causeries à la radio, des campagnes d’information et de sensibilisation sur le terrain et mes officiers parlent de nos programmes en effectuant des visites aux familles inscrites sur notre registre. Nous ne pouvons aider que les personnes qui viennent vers nous pour se faire inscrire. Nous avons une série d’aides, par exemple à l’éducation et au logement, qui ne sont pas, je m’en rends compte, suffisamment connues. Nous faisons de notre mieux pour informer les Mauriciens dans le besoin. La pauvreté peut être relative, mais en tout cas, elle ne doit pas être considérée comme une fatalité contre laquelle on ne peut rien faire. La pauvreté est souvent le résultat d’une série de circonstances de la vie qui touchent certains individus plus faibles que les autres pour y faire face et qui, de ce fait, se retrouvent dans l’incapacité de travailler. Notre travail c’est d’aider et d’accompagner les personnes qui n’arrivent pas à s’en sortir.

Après deux confinements et leurs conséquences économiques ajoutées à la crie économique, le nombre de pauvres n’a-t-il pas automatiquement augmenté dans le pays ?

— Notre instrument de mesure est le registre social national et les statistiques officielles. Il est probable que les conséquences économiques aient touché beaucoup de personnes et de familles, mais tant que ces familles et ces personnes ne se font pas enregistrer sur notre registre, nous ne pouvons pas intervenir.

Revenons sur la polémique à partir du fait qu’arrivé à l’âge de 60 ans un pensionné invalide perd cette pension et n’a droit qu’à la pension de vieillesse. Mais cette personne reste toujours un invalide…

— C’est une décision politique qui s’insère dans une logique économique. En 2014, la pension de vieillesse était de seulement Rs 3623. Nous l’avons augmentée et elle est aujourd’hui de Rs 9000. En 2014, la pension pour une invalidité causée par une maladie ou un accident de travail était moins que la pension de vieillesse. Cette augmentation a été décidée en fonction de plusieurs facteurs, dont l’augmentation du coût de la vie, pour permettre aux pensionnés de mieux vivre. Dans la même logique, nous avons aligné toutes les autres pensions qui sont arrivées à Rs 9000. C’est la même somme qu’ils toucheront avec la pension de vieillesse.

Est-ce que Rs 9000 c’est suffisant pour vivre à Maurice en 2021 ?

— Le gouvernement fait selon les moyens financiers dont il dispose. Et il n’y a aucune comparaison avec la pension de vieillesse de 2014.

Combien de pensionnés sont sur la liste de votre ministère ?

— À l’heure où je vous parle, nous avons sur cette liste 243 243 retraités. Les invalides sont au nombre de 30 194. Les orphelins sont au nombre de 219 et il y a, sur notre liste, 17 896 veuves. J’aimerais bien expliquer comment fonctionne la pension d’invalidité, parce qu’il y a souvent des confusions à ce sujet. Elle est payée en général pour une année pour une personne dont un board médical a constaté une incapacité à travailler est de 60%, pour une durée d’une année qui peut être renouvelée après un examen médical. Au cours de cet examen médical effectué par un board de professionnels, la personne qui fait la demande peut être accompagnée pour défendre son case. J’aimerais aussi souligner que cette pension d’invalidité n’empêche pas la personne de travailler. Au contraire, nous encourageons les personnes invalides à faire des formations pour trouver des emplois qui conviennent à leur état de santé.

Est-ce que, comme le redoutent certains, le Welfare State mauricien est menacé ?

— Non. Jusqu’à présent, et en dépit des circonstances, le gouvernement l’a surtout consolidé. Depuis 2014, le budget de la Sécurité sociale est passé de Rs 13,9 à Rs 30,6 milliards pour les besoins de la politique sociale et de solidarité que nous avons mise sur pied pour aider les Mauriciens en difficulté. Ces mesures et ces programmes permettent sinon de les faire disparaître tout ou d’atténuer fortement leurs difficultés.

Vous êtes en train de m’expliquer que le Welfare State fonctionne bien et vient en aide à des milliers de Mauriciens. Mais alors, pourquoi est-ce qu’on a le sentiment, surtout en écoutant les doléances des auditeurs des radios privées, que le système ne fonctionne pas, que les demandeurs sont maltraités, qu’on leur donne le sentiment de mendier une aide ?

— Il est normal que les personnes dont les pensions arrivent à terme ou qui n’arrivent pas à le faire renouveler ne soient pas satisfaites. C’est comme un jugement de la cour : il laisse toujours une partie pas totalement satisfaite voire mécontente. Je comprends les doléances des demandeurs, mais je souligne que quand une pension est coupée, il y a moyen de faire appel. Des instances sont prévues pour cela.

J’entends souvent dire que certains officiers parlent mal, pour ne pas dire autre chose, aux demandeurs…

— Je dis toujours aux chefs de départements et aux employés du ministère que nous devons pratiquer le customer care, que les demandeurs et bénéficiaires de nos services doivent être traités convenablement. Nous devons tout faire, dans la mesure du possible, pour faciliter leurs démarches dans le respect des procédures, qui sont, je le reconnais, parfois lourdes et qu’il faut simplifier. C’est pour cette raison que nous sommes en train de travailler sur l’installation d’un e-social system rapide pour remplacer celui que nous utilisons actuellement qui est vieux, lourd et lent. Si un bénéficiaire n’est pas satisfait du service ou de la manière dont on lui a parlé, il doit le faire savoir afin pour que nous prenions les mesures appropriées pour faire les corrections nécessaires.

Pendant le Covid, votre ministère a organisé le paiement des pensions de vieillesse au domicile des pensionnés. Est-ce que ce ne serait pas une mesure temporaire qu’il faudrait rendre permanente afin d’éviter à nos aînés de faire de longues queues devant les bureaux de poste pour toucher leurs pensions ?

— Il faut savoir qu’il y a plus de 58 000 personnes qui touchent leurs pensions à travers la poste. Pour les payer à domicile pendant le confinement, il a fallu créer une grosse structure avec le concours de la police pour le transport de grosses sommes d’argent. J’ai fait des réunions avec les banques et les représentants du Senior Citizens Council, qui regroupe 900 associations de vieilles personnes, pour trouver un moyen pour que les banques donnent des incentives à nos aînés pour ouvrir des comptes en banque pour que nous puissions verser les pensions. En même temps, nous avons demandé aux banques d’organiser des queues spéciales pour les pensionnés et les personnes handicapées à la fin du mois. Il faut savoir que pour beaucoup de personnes âgées, aller toucher sa pension est une occasion de sortie, mais qui peut se révéler dangereux avec des attaques de voyous. Pour leur propre sécurité, je demande aux pensionnés d’ouvrir un compte en banque pour que leur pension soit versée directement.

Que faites-vous pour protéger nos aînés qui habitent dans les homes où ils sont parfois abusés et maltraités ?

— La principale difficulté dans les cas d’abus sur les vieilles personnes, que ce soient à leur domicile ou dans un home, réside dans le fait que, bien souvent, la maltraitance est causée par un membre de la famille. Quand elle est dénoncée, nous faisons ouvrir tout de suite une enquête. Maurice compte 27 institutions charitables dépendant du ministère et 44 maisons de retraite privées. Dans nos institutions, nous avons fait installer des caméras et procédons régulièrement à des spot checks.

En parlant d’abus, quels sont ces overpayments qui se montent à des dizaines de millions de roupies effectuées par votre ministère selon les rapports du bureau de l’Audit ?

— La plupart de ces cas remontent à des années, mais c’est seulement maintenant qu’on les découvre. Le problème est le suivant : lorsqu’un pensionné décède, certains parents gardent sa carte de pension et continuent à la toucher. Dans certains cas, cela a duré des années et nous n’avons pas pu nous faire rembourser. Dans d’autres, nous avons pu établir la fraude et fait des arrangements pour que le ministère soit remboursé. Pour éviter au maximum ce genre de fraude, il faut que l’État civil nous informe dès qu’un pensionné est décédé pour que nous puissions enlever son nom de la liste et arrêter le paiement pour que personne ne profite de la situation. Nous pourrions ainsi économiser de l’argent qui pourrait être utile pour d’autres programmes en faveur des personnes en difficulté.

Avec la situation financière qui se dégrade, le gouvernement va-t-il être obligé de faire des coupes dans les budgets, dont celui de votre ministère ?

— Je ne peux pas répondre pour l’avenir. Mais jusqu’à maintenant, pour faire face à la situation, nous avons pris des mesures additionnelles pour aider les personnes dans le besoin. C’est le rôle de ce ministère important…

… et qui a aidé le PM à remporter les dernières élections ! Est-ce que face à la situation économique, la CSG, la promesse de faire passer la pension de vieillesse à Rs 13 000 en 2024 pourra être tenue ?

— Un mot sur la CSG tout d’abord. D’après les rapports des experts, le National Pension Fund n’aurait plus été sustainable sur le long terme. Nous ne pouvions pas attendre que cette situation arrive pour faire une réforme et le gouvernement a pris les devant pour mettre en place un système plus juste et plus équitable. Malgré le Covid et les problèmes économiques, nous avons maintenu la pension à Rs 9 000, malgré une épidémie mondiale qui a mis le monde à genoux. Nous aurions pu, pour faire face à la situation économique, diminuer le montant de la pension, mais le gouvernement ne l’a pas fait. Au contraire, et dans la mesure du possible, les aidées accordées aux personnes dans le besoin ont augmenté. Qui peut dire de quoi demain demain sera fait et ce qui va se passer en 2024 ? Est-ce que l’ouverture va améliorer la situation ou pas, personne ne peut le prévoir ? Attendons voir.

Votre ministère promet depuis des années de faire voter un Disability Bill pour mettre à jour toutes les lois concernant les personnes autrement capables. En dépit des promesses répétées, cette loi n’est toujours pas prête. Pourquoi cela prend-il autant de temps ?

— En dépit du fait que la loi n’a pas encore été présentée, il faut dire que, depuis 2014, le gouvernement a pris beaucoup de mesures pour améliorer les conditions de vie des personnes handicapées. Quand en 2016 j’ai été nommée à ce ministère, j’ai commencé une réflexion sur le sujet. Déjà, je n’étais pas d’accord avec l’intitulé du projet de loi qui est pour moi négatif pour les personnes handicapées. Après, j’ai quitté le ministère et la réflexion s’est poursuivie. À mon retour au ministère, j’ai repris le projet de loi mais, entre-temps, beaucoup de choses avaient changé et il fallait tout revoir dans le texte. En février de cette année, j’ai organisé une grande réunion avec tous les intéressés, dont 65 ONG, pour réfléchir ensemble et j’ai demandé aux participants ce qu’ils voulaient inclure dans la loi. Nous avons reçu leurs propositions et nous avons fait une ébauche du projet de loi qui est à l’étude au State Law Office.

À cette allure, le Disabiility Bill va prendre autant de temps que le Children’s Bill pour être présenté, voté, mais qui, plus de huit mois après, n’a toujours pas été promulgué !

— Je ne suis pas d’accord avec vous. J’espère que ce Bill pourra être présenté au Parlement, je ne peux pas dire quand exactement, mais le plus rapidement possible. Je ne peux pas vous donner une date, mais je peux vous assurer que je fais tout mon possible pour que ce soit fait. Pour moi, ce projet de loi est très important, mais il faut que je veille à ce que ses recommandations puissent être mises en application.

Je ne suis pas bien votre logique…

— C’est un projet de loi complet, mais en même temps complexe. Il y a beaucoup de recommandations qui ne pourront pas être mises immédiatement en pratique. Par exemple, les chemins de nos villes et tous nos bâtiments publics et privés ne sont pas disabilty friendly. Pas plus tard que cette semaine, j’ai eu une réunion avec des représentants du secteur privé pour discuter de la question. Donc, on avance sur le sujet.

Armoogum Parsuramen, le président de la Rainbow Foundation, qui trouve que ce projet prend trop de temps, a présenté, le mois dernier, un texte de loi complet. Est-ce que ses propositions seront retenues ?

— Nous allons prendre en considération et étudier toutes les propositions et recommandations qui seront faites sur le sujet. Nous serons à l’écoute, car nous voulons que ce texte de loi reflète les opinions de tous ceux qui travaillent pour l’amélioration des conditions de vie des personnes autrement capables.

Quelques questions politiques pour terminer. Vous siégez au Parlement depuis plus de dix ans. Comment la ministre qui est en train de préparer le Disability Bill réagit-elle quand le Speaker stigmatise un membre du Parlement par rapport à la maladie dont il est atteint ?

— Ma réponse à votre question est simple : le Parlement est un lieu où doit régner en permanence le respect mutuel. Tous les membres du Parlement, ceux du gouvernement comme ceux de l’opposition, doivent se comporter de façon correcte, point, à la ligne !

Que pensez-vous de cet incident au cours duquel on a entendu une voix féminine mystérieuse proférer de gros jurons au Parlement ?

— Il me semble qu’une enquête a été faite et qu’elle n’a rien donné. Donc, l’incident est clos.

Quelle est votre analyse de la gestion de la crise par le gouvernement ?

— Le Covid a amené une crise sans précédent à l’échelle de la planète. La situation est grave à Maurice et le gouvernement travaille pour trouver des solutions et adopter des mesures pour permettre aux Mauriciens de faire face aux crises sanitaires et économiques que nous subissons, comme le monde entier. Je crois que dans cette situation, le gouvernement a surtout besoin d’être soutenu. Sur un niveau plus personnel, je me comporte comme une personne responsable qui fait son travail dans une situation particulièrement difficile.

Serez-vous candidate dans la circonscription N°19 aux prochaines élections, celles qui devraient avoir lieu en 2024 ?

— On verra bien. La vie politique — et la vie tout court — est de plus en plus incertaine et personne ne peut se risquer à un quelconque pronostic sur quelque sujet que ce soit. Nous sommes en ce moment dans un perpétuel bouleversement où personne ne peut dire ce qui peut se passer demain ou après-demain. Alors 2024… Quand le moment sera venu, on verra.

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