(Haltérophile de haut niveau) Roilya Ranaivosoa : « Le ministère de la Santé ne comprend pas l’importance des JO »

C’est une haltérophile qu’on ne présente plus ! Triple médaillée d’or aux Jeux des îles de l’Océan Indien (JIOI) de 2015 et 2019, médaillée d’or aux Jeux Africains en 2018 et médaillée d’argent à Gold Coast lors des Jeux du Commonwealth lors de cette même année, en sus des titres au niveau continental et national, la Mauricienne a un palmarès qui forge le respect. 20e mondiale de sa catégorie, en lice pour les Jeux Olympiques de Tokyo, la leveuse de fonte vit une préparation tronquée et en avait lourd sur le cœur. Son rêve de championne d’Afrique parti en fumée, ne pas savoir sur quel pied danser par rapport à sa qualification olympique, la baisse de son allocation de bourse de haut niveau et les doutes concernant sa carrière, le cas Philippe Hao Thyn Voon entre autres… Roilya nous dit tout, avec une sincérité qui lui est propre, sur son état d’esprit. Loin de se laisser démoraliser, elle espère conscientiser, ouvrir les yeux des instances dirigeantes notamment le ministère de la Santé, mais surtout, faire évoluer les mentalités. La leveuse de fonte estime ne pas être reconnue à sa juste valeur, et ce, malgré avoir maintes et maintes reprises fait honneur au quadricolore.

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Les championnats d’Afrique se tiennent actuellement au Kenya, mais  sans vous. Quels sont vos sentiments ?
— Cela me rend triste. Après tant de sueurs et de larmes versées aux entrainements, dans ma préparation, pour ensuite être privé de Championnats d’Afrique, c’est tout simplement injuste. D’autant que la Tunisienne sacrée dans la catégorie des 48 kg, a réalisé 72 kg à l’arraché alors que la Nigériane, médaillée d’or à l’épaulé-jeté a sorti une performance de 95 kg. Aux entrainements, j’ai fait beaucoup mieux. Mais bon, c’est de l’histoire ancienne, et cela ne m’a pas empêché de les féliciter toutes les deux. Je dois être fair-play car elles n’ont rien avoir avec ma non-participation.

Maurice est reconnu pour être performante sur le continent dont vous qui êtes médaillées d’or. Comment réagissez-vous à cette absence ?
— J’estime qu’avec ma non-participation, nous laissons le champ libre aux autres nations de prendre de l’avance sur nous, Mauriciens. Vous parlez de performance, je vous répondrais que les haltérophiles féminines font toujours honneur au quadricolore en ramenant des médailles au niveau continental. Lors des derniers Jeux Africains par exemple, nous étions quatre alignées, et trois d’entre nous ont été médaillées. C’est dire de notre force de frappe.

Dans le même temps, il faut reconnaître que vous n’êtes pas préparée comme il se doit. N’est-ce pas mieux ainsi ?
— Ces Championnats d’Afrique sont qualificatifs pour les Jeux Olympiques. Je devais être de la partie car je suis en lice pour une qualification pour Tokyo. Je n’ai pas eu de préparation adéquate. Je m’entrainais avec l’aide de mon époux (Cédric Coret) à la maison durant le confinement. Malgré cette situation difficile et délicate, j’ai toujours gardé le moral et j’ai travaillé dur, et ce, en dépit du manque de ressources nécessaires. J’ai fait face à l’adversité, je me suis adaptée…C’était pour moi une juste récompense de mon dur labeur. Mais les autorités concernées en ont décidé autrement, et c’est dommage, pas que pour moi, mais aussi pour le pays.

Venons-en maintenant à la décision du ministère de la Santé d’interdire à certains athlètes de voyager. Comment interprétez-vous la démarche ?
— Je ne vais pas y aller par quatre chemins. Le ministère de la Santé ne comprend pas l’importance des Jeux olympiques. Ils ne savent pas ce que les athlètes endurent. Déjà, je trouve que c’est une politique de deux poids et deux mesures. Comment se fait-il que certains ont pu prendre l’avion, alors que d’autres sont restés à quai ? J’estime que le département de la santé aurait dû rencontrer les officiers du ministère de l’Autonomisation de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs (MAJSL)  pour en discuter, et de là, après mûre réflexion, prendre la décision qui s’impose.

On avance que la décision permettant à certains de quitter le pays avait été prise avant. Vos commentaires…
— C’est très injuste. C’est une forme d’incompétence des autorités. Je ne me voile pas la face ; je suis consciente que nous faisons face à une crise sanitaire sans précédent, mais nous, athlètes, sommes disciplinés et conscients des risques. Je ne suis pas une irresponsable. C’est une espèce de cacophonie sans fondement et encore une fois, c’est nous, sportifs, qui en font les frais. C’est une décision qui nous porte préjudice.

La fédération parle de votre qualification déjà acquise pour les JO, alors que vous disiez ne pas être au courant. Est-ce que cette situation a pu être éclaircie lors de la semaine écoulée ?
— Non ! Toujours pas. Je n’ai rien reçu d’officiel à ce sujet, qui confirme que je suis déjà qualifié pour Tokyo. Ce n’est qu’à la mi-juin que j’en prendrais note. Valeur du jour, je suis sûre la bonne voie, en bonne posture, mais de là à dire que je suis qualifiée, c’est très fort. Que la Mauritius Weighlifting Federation (MWF) vienne dire que j’ai mon ticket pour les JO, sans qu’il n’y ait  rien d’officiel, équivaut à ne pas l’avoir, pour moi. Si j’étais déjà qualifiée, croyez-moi, je le saurais

Vous prévoyez de bouger du Kenya en Chine, avant de rallier Tokyo. Qu’en est-il désormais ?
— Je ne pense plus à cela. Ayant déjà effectué un stage en Chine, je peux vous dire qu’ils sont très méticuleux. Je ne pense pas que je m’y rendrais de sitôt. Toutefois, il a été convenu que j’effectue un camp d’entraînement dans le Sud de l’île, à Pointe Jérôme. Durant cette période, le MAJSL m’a fait comprendre que je bénéficierais du soutien d’un coach mental et d’un nutritionniste. Yannick Lincoln, cycliste de renom, sera mon conseiller dans ma préparation physique alors que Nicolas Desjardins sera mon physiothérapeute.

Après une participation au Brésil en 2016 pensez-vous avoir encore de jus pour faire mieux cette fois ?
— À Rio, c’était ma première expérience. Au fil des années, j’ai gagné en expérience et en maturité. Mon but a toujours été de figurer dans le Top 5 mondial. Actuellement, je suis 20e mondiale de ma catégorie. Je veux définitivement faire mieux que ma première fois. Effectivement, j’ai beaucoup évolué que ce soit au niveau physique et mental. Oui, j’ai beaucoup plus de gaz en stock, et ce, même si ma préparation a été tronquée.

Vous évoquez récemment une retraite sportive après ces Jeux. Est-ce toujours d’actualité ?
— (Moment de réflexion)… Pour être honnête, j’y réfléchis. On va dire que c’est dans un coin de ma tête. Mais j’ai réellement envie et déterminé à prendre part aux Jeux du Commonwealth à Birmingham, l’année prochaine. J’avais été médaillée d’argent à Gold Coast en 2018, mais je veux faire mieux. Je pense avoir l’abattage pour réussir.

Qu’est-ce qui vous motive à continuer ?
— Mon entraineur Gino Souprayyen. La pierre angulaire de mon succès. C’est aussi pour lui que je veux poursuivre l’aventure car il m’a beaucoup donné, beaucoup appris. Il sacrifie tellement de choses, sa famille entre autre, pour guider les leveurs de fonte. Ce n’est pas juste un passionné mais aussi un technicien de haut vol. Je le dis haut et fort, c’est le meilleur entraîneur d’haltérophilie que Maurice possède. Personne d’autre. La preuve, que ce soit moi, mon mari ou encore Ketty Lent, c’est sous la férule de Gino Souprayyen que nous avons franchi des paliers.

Changeons de sujet pour évoquer les bourses de haut niveau. Vous même avez été pénalisée par une baisse de votre allocation. Qu’en pensez-vous ?
— C’est une situation qui m’agace au plus haut point. Je ne mérite pas cela. Je suis une athlète d’élite qui travaille dur et qui ramène des médailles. Une baisse de mon allocation n’est pas justifiable. J’ai eu d’ailleurs un rendez-vous avec le ministre Stephan Toussaint en début de semaine (lundi) dans ses locaux, à Port-Louis en compagnie du président de la MWF, Magarajen Moonien, et il m’a clairement fait comprendre qu’il allait faire le nécessaire. J’attends toujours la modification…

On vous reproche un taux d’absentéisme élevé eu centre national. Qu’avez-vous à répondre ?
— C’est du grand n’importe quoi. Déjà, les entrainements ont repris le 13 janvier cette année. Et par la suite, nous sommes entrés en confinement au début du mois de mars ; Je suis en phase de préparation. Le matin, je suis à la gym et l’après-midi, je m’entraîne à la maison. D’ailleurs, j’envoie toutes les vidéos de mes entraînements à mon entraineur. Personne ne peut remettre en question mon niveau de professionnalisme. Je me donne à 200% au point de mettre ma santé en péril, d’où les quatre jours que j’ai passé à la clinique récemment.

Certains avancent que des athlètes ont conservé leurs bourses, alors que d’autres se sont même vus accorder une hausse. Nombreux sont-ils qui parlent d’une politique de deux poids et de mesures, notamment en l’absence de compétitions de haut niveau. Comment analysez-vous cette situation?
— Je vais parler en mon nom. Je suis une athlète performante et je ramène des médailles dans la plupart des compétitions auxquelles je participe. Déjà, ma bourse n’aurait jamais du être coupée. C’est la fédération qui soumet sa liste au MAJSL. La question que je me pose est de savoir si le nécessaire a été fait tout en respectant l’ordre des choses. Ce dont je ne suis pas totalement convaincue.

Le gouvernement a parlé d’un plan d’excellence, alors qu’une baisse est sérieusement envisagée pour le sport de haut niveau et dans le budget des fédérations. Est-ce logique selon vous ?
— Vous connaissez l’expression, on ne peut faire une omelette sans casser des œufs…C’est tout à fait cela. Le gouvernement veut des performances, des résultats, des médailles, mais ne veut pas mettre la main à la pâte. Sans ressources, sans moyens adéquats, sans un budget en bonne et due forme, il n’y aura pas d’excellence. Pas besoin d’être une lumière pour comprendre cette théorie. Un plan d’excellence s’insère dans la durée et est mûrement réfléchi…C’est comme jeter les bases d’une solide fondation.
l On vous reproche très souvent de réagir de manière excessive. Que répondrez vous à cela ?
— On ne peut pas plaire à tout le monde. Mais je vous répondrez que non. Je n’agis pas de manière excessive. Quand j’ai une chose à dire, je le dis. Si ça déplait, tant pis, et si j’ai mes torts, je suis la première à le reconnaitre et aussi à m’en excuser. Nul n’est parfait. Je suis fière de qui je suis et comme je vous l’ai dit plus haut, personne ne peut remettre en question mon degré d’implication. Je suis très dur envers moi-même.
l Pour terminer, ne pensez-vous pas avoir fait le mauvais choix, en tant qu’athlète de haut niveau, en prenant partie pour le président du Comité Olympique Mauricien (COM), Philippe Hao Thyn Voon, alors que le CIO avait pourtant rappelé à l’ordre son comité sur certaines décisions ?
— Franchement non ! Philippe Hao Thyn Voon a tout mon soutien. J’ai été touché par ces soucis avec son fils. Vous savez, nous avons eu des divergences dans le passé, mais après, nous avons accordé nos violons. Déjà, quand quelqu’un ne fait pas bien son job, je ne me ferais pas prier pour le lui dire. Mais si j’estime que cette personne fait du bien autour de lui, je me dois aussi de le reconnaitre. Je continuerais à soutenir PHTV.
l Est-ce Philippe Hao Thyn Voon qui vous a demandé de tenir cette conférence de presse ?
— Non ! Je l’ai fait de mon propre chef.

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