Illetrisme scolaire : Concourir au PSAC sans maîtriser la lecture et l’écriture

Aux épreuves, des candidats en difficulté réécrivent les questions des papiers en guise de réponses

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Demain, c’est la rentrée des classes pour les écoliers. Pour environ 15 000 d’entre eux, le début du troisième trimestre rimera avec les examens du PSAC, dont le Modular Assessment, les 27 et 28 prochains. Mais de ce nombre, plusieurs candidats prendront part aux épreuves sans avoir acquis les compétences en écriture, lecture et calcul. Il n’y a pas de chiffres pour quantifier la triste problématique de l’illettrisme scolaire à Maurice. Selon des enseignants en Grade 6, le nombre de petits candidats au PSAC par classe qui sont dans cette situation varie de 2 à 15, selon le niveau académique de l’école. Et l’île compte 301 écoles primaires

Nitin, 11 ans, et son camarade d’école, Ritesh, le même âge, disent attendre la rentrée des classes avec impatience. Non parce qu’ils aiment l’école, mais parce qu’ils préfèrent y aller “ki res lakaz pou fer louvraz”. En Grade 6, les deux garçons savent que les choses sérieuses reprennent dès demain matin et que les examens d’Histoire/Geo et de Science du Modular Assessment des 27 et 28 prochains sont derrière la porte. Or, ce n’est pas pour autant que Nitin et Ritesh ont révisé pendant les vacances. D’ailleurs, pour ce faire, les deux enfants auraient eu besoin de l’aide de Miss Doris, une bénévole de leur quartier qui a créé un groupe de soutien scolaire il y a quatre ans. Après six années au primaire, les deux garçons ne savent quasiment pas lire et maîtrisent peu l’écriture. Lorsque nous leur demandons d’écrire quelques mots, ils s’exécutent volontiers.

Toutefois, c’est avec hésitation, et après de longues réflexions, qu’ils finissent par écrire les préfixes de quelques mots, puis, sceptique, Nitin demande: “Comment on écrit le nom de ma rue?”, avant de lancer, résigné : “Mo pa kone.” A 11 ans, il ne sait pas non plus écrire le nom de notre pays. Ritesh, qui confond la lettre “b” et “d”, tente aussi l’exercice, avec beaucoup de mal. C’est avec ce gros handicap qu’ils prendront part au prochain Modular Assessment et aux examens du Primary School Achievement Certificate (PSAC) en étant convaincus qu’ils y réussiront et seront admis dans le mainstream d’un collège régional. A un âge où les écoliers de leur génération n’ont jamais entendu parler de “Rémi et Marie” ni de “Robin and Rita”, les deux manuels de français et d’anglais au programme dans les écoles primaires il y a plusieurs décennies, Nitin et Ritesh, eux, connaissent bien ces livres. C’est grâce à ceux-ci que les deux garçons ont appris à reconnaître des mots, identifier les lettres de l’alphabet. Pour Miss Doris, la cinquantaine et mère de famille, ces vieux manuels ont fait leurs preuves et sont plus appropriés pour l’apprentissage.
Brian Pitchen, enseignant: “On s’attend à ce que nous comblions six ans de lacunes en un an!”

Nitin et Ritesh sont bien loin d’être les seuls candidats inscrits au PSAC 2019 qui éprouvent des difficultés à lire et à écrire. Les chiffres concernant les enfants qui chaque année quittent le secteur primaire sans savoir lire et écrire correctement ne sont pas disponibles. Les premiers à qui ces données seraient utiles sont des enseignants du cycle secondaire, principalement ceux dans l’Extended Stream. “Dans l’idéal, dit Brian Pitchen, enseignant dans le secteur prévocationnel catholique, l’enfant qui fait son entrée dans le secondaire devrait y arriver avec un rapport de l’école primaire sur son parcours académique qui sert d’indicateur sur son niveau.

Ce n’est qu’en cours de route que nous nous rendons compte qu’un enfant ne sait pas lire et écrire. Et on s’attend à ce que nous comblions six ans de lacunes en un an!” Un peu moins de 15 000 enfants inscrits dans les 301 écoles primaires de Maurice (uniquement) prendront part aux PSAC cette année. Selon les enseignants de Grade 6 que nous avons interrogés, en classe le nombre d’enfants qui ne peuvent ni écrire ni lire au-delà de la base acquise en Grade 1 et 2, varie et ce dépendant du niveau, voire de la réputation académique de l’école. “Dans ma classe, sur 36 élèves, 15 ont des problèmes de lecture et d’écriture”, explique un enseignant d’une école de niveau moyen. Le ratio d’élèves et enseignant étant généralement moindre dans les écoles de la Zone d’éducation prioritaire, le nombre est donc moins élevé, allant de 3 à plus. Il ne faut pas penser que tous les élèves en Grade 6 des écoles dites Star lisent et écrivent couramment. Il y en a toujours un ou deux qui sont incapables de lire et d’écrire facilement.
Mots incompréhensibles

L’illettrisme en Grade 6 est une triste réalité avec des niveaux qui diffèrent. Il y a des enfants qui maîtrisent l’alphabet, mais pas les syllabes. Il y en a qui reproduisent ce qu’ils voient sans pour autant comprendre ce qu’ils ont écrit. Beaucoup comprennent les explications des enseignants lorsque celui-ci s’expriment en kreol morisien. Le jour des examens, ces différents “handicaps” sont reflétés dans les réponses des candidats. Des enseignants qui officient comme correcteurs aux examens de fin de cycle du primaire racontent qu’il leur arrive de tomber sur des copies où des candidats ont reproduit les questions en guise de réponse. “Ils laissent les espaces pour réponse vide”, explique l’un d’eux. Et un autre de confier : “Quand je vois des mots incompréhensibles, je sais alors que l’enfant n’a pas acquis les compétences élémentaires en lecture et écriture.” Un autre enseignant raconte qu’aux épreuves des mathématiques, les candidats avec des difficultés “se limitent aux calculs d’addition et de soustraction. Ils encerclent toutes les réponses aux questions à choix multiple”.

Pas la même attention dans les écoles “stars”

Avec l’introduction, dans le cadre du Nine Year Schooling, des classes de rattrapage (remedial classes) dès la première année du primaire, la détection des enfants ayant des problèmes d’apprentissage devrait aider à diminuer la problématique de l’illettrisme scolaire. Cependant, cet encadrement est réclamé dans les autres classes. “Nous avons besoin de ‘support teachers’”, explique un enseignant de Grade 6. Faute de soutien, il doit trouver du temps, pendant les heures de classe, pour aider les élèves en difficulté. Il en est de même pour ses collègues, ailleurs, qui font face à la même situation. “Nous devons concevoir nous-mêmes des méthodes de rattrapage”, dit-il. “Je leur apprends les ‘high frequency words’ (ndlr : les mots les plus courants) pour qu’ils se familiarisent avec ces mots”, dit une enseignante de la ZEP. Un de ses pairs, exerçant dans une autre école, explique qu’il a commencé à encadrer ses élèves ayant des lacunes dès le Grade 5, l’an dernier. “De mon côté, nous confie un enseignant qui compte une dizaine d’années de carrière, je les regroupe pendant que les ‘high flyers’ font leur devoirs. Je suis obligé d’appliquer une pédagogie différente pour eux, dans l’espoir qu’ils puissent se débrouiller aux examens et affronter leur première année en secondaire sans se sentir complexés.”

Pour sa part, un enseignant d’une école gouvernementale très convoitée des Plaines-Wilhems reconnaît qu’il lui est difficile de consacrer du temps à deux de ses élèves, “very slow learners.” “Je leur accorde une dizaine de minutes pas plus ! Dans la classe, il y a une trentaine d’enfants qui lisent et écrivent rapidement. Si je prends plus de temps pour les deux autres, j’aurai une classe en ébullition !” dit-il. Et puis, il y a la pression de la réussite à laquelle cet enseignant est soumis. Il ne peut, laisse-t-il comprendre, se permettre de négliger 30 enfants qui vont contribuer à maintenir le succès et la réputation de l’école.

A deux mois des examens du PSAC, certains enseignants savent qu’il est trop tard pour rattraper les failles d’un système éducatif qui pendant des années a été incapable de prévenir l’illettrisme scolaire. Mais pour certains de ces pédagogues, le plus important est d’avoir réussi à inculquer les bases en lecture, compréhension et écriture à des enfants qui échoueront le PSAC. “Je suis triste et inquiet pour ces enfants lorsqu’ils iront en secondaire. C’est à partir de là, quand ils auront à affronter leur complexe dans un nouvel environnement que tout pourrait aller mal pour eux”, se désole un enseignant.

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