Ivan et Rouslan Lartisien (cofondateurs de Grand Luxury Group) : « Maurice doit choisir entre une clientèle de luxe et le tourisme de masse »

Ivan et Rouslan Lartisien sont les cofondateurs depuis 2007 du Grand Luxury Hotels qui depuis 2017 est devenu le Grand Luxury Group. Ce dernier se présente aujourd’hui comme le deuxième plus important apporteur d’affaires, derrière American Express, pour les grands hôtels de luxe dans le monde. On les a rencontrés récemment et ils ont expliqué pourquoi ils ont installé une filiale à Maurice ainsi que des activités du groupe. Ils jettent un regard critique l’industrie touristique mauricienne qui, selon eux, est à un tournant : Maurice doit choisir entre devenir une destination touristique de haut de gamme celle du tourisme de masse. Il est impossible de faire les eux à la fois.

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Pourquoi avoir choisi Maurice comme une des bases d’opération ?
Ivan et moi sommes des fans d’hôtellerie et notre rêve était de créer une collection des meilleurs hôtels du monde. On a sélectionné 450 hôtels dans le monde et c’est une collection qui est vivante avec des hôtels qui entrent dans la collection et d’autres qui sortent. Nous avons une clientèle internationale qui réserve ces hôtels dans le monde entier. À l’origine, la société a été créée dans une chambre de service au dernier étage d’un immeuble. Nous étions trois au départ. On a gardé le même format jusqu’en 2011. La société se développait et on ne pouvait faire le travail seuls. Il fallait répondre au téléphone et assurer le service client.

Nous avons été à Maurice pendant dix ans, tous les étés à Flic-en-Flac à la grande époque du Sofitel. On s’est dit qu’il était évident que là où nous devions nous implanter pour s’occuper de notre service client c’est forcément à Maurice. C’est là qu’on trouvera la possibilité de mettre en place le meilleur niveau de service client. On a pris l’avion et on a ouvert la filiale à Maurice. Nous employons aujourd’hui 50 personnes dans des locaux situés juste à côté de Mauritius Telecom Tower pour nos clients d’Europe, du Moyen-Orient et d’Afrique. Ceux qui s’occupent des Américains sont aux Philippines à Manilles. 90% de nos employés sont des Mauriciens.

Comment choisissez-vous les hôtels de luxe ?

C’est un choix qui est objectif. Ce sont des hôtels 5-étoiles. Par contre, la différence avec les autres est que nous prenons en compte que le luxe est avant tout la subjectivité. C’est une expertise. Ivan et Moi voyons plusieurs centaines d’hôtels par an. On n’arrête pas de voyager. On a également des équipes qui voyagent. C’est notre expertise qui fait que lorsqu’on entre dans un hôtel, on le visite et on arrive à apprécier le niveau de qualité des prestations du service. Et c’est ainsi qu’on décide si l’hôtel doit rejoindre ou non la collection. Dans l’hôtellerie, on nous appelle les deux frères et on parle souvent de la collection des deux frères.

Combien d’établissements hôteliers mauriciens comptez-vous sur votre liste ?

Aujourd’hui on a quatre hôtels, quatre grands noms, à savoir Royal Palm, Saint-Géran, Saint-Maurice et Four Seasons. On étudie en permanence la satisfaction des clients et le niveau de ces hôtels pour voir si de nouveaux pourraient entrer ou un de ces quatre doit sortir. C’est une collection vivante.

Sur la base de quels critères choisissez-vous les hôtels qui doivent faire partie de la collection ?

Déjà lorsqu’on entre dans un hôtel, il faut qu’il y ait une coupure du monde extérieur. Il faut qu’on puisse entrer dans un univers totalement différent de celui auquel nous sommes habitués.

Très vite, en regardant pendant cinq ou dix minutes la réception, le “front office”, en regardant quelques espaces communs, notre expérience fait qu’on peut voir ce qui marche et ce qui ne marche pas. Parfois en visitant complètement l’hôtel, on peut changer de vue. On peut avoir des doutes. À ce moment, on revient et on passe plus de temps. Notre société c’est l’exception. C’est la crème de la crème de l’hôtellerie mondiale. On ne cherche que les hôtels les plus exceptionnels qui sortent complètement du lot et qui s’adressent à une clientèle de luxe.

Est-ce que vous signez un contrat avec l’hôtel ?

On invite l’hôtel à nous rejoindre. C’est pour l’hôtel une fierté. Il rejoint ses pairs. Notre production est relativement connue. Les hôtels internationaux de grand luxe connaissent Grand Luxury. Bien sûr, il y a ensuite un contrat qui a pour but principal que nos clients seront traités dans les meilleures conditions et on les envoie le plus grand nombre de clients possible.

Est-ce que vous prenez votre client totalement en charge ?

Pour nous, c’est plus qu’intégré. C’est le service client. On a créé un conseiller dédié. Ce qui fait que nos clients internationaux ont toujours le même contact au téléphone comme si c’était un assistant personnel qui connaît vos goûts, ce que vous aimez et ce que vous n’aimez pas. Dans le luxe, il y a des clients internationaux qui courent après le temps. Ils peuvent aujourd’hui être à Maurice et demain à New York, après-demain à Hong Kong. Ils n’ont pas besoin de répéter deux fois ce qu’ils aiment. Tout est enregistré et même la couleur de la chambre. On pourrait même essayer de les surprendre avec des choses qu’ils apprécient particulièrement.

L’aérien n’est pas vraiment votre cœur de métier…

C’est la seule chose pour laquelle on n’est pas à même d’accompagner le client. Si on pouvait l’assister sur le choix du vol, on le ferait avec plaisir. Par contre, tout le reste on le fait. On crée nous mêmes en interne nos propres produits d’expérience client. C’est-à-dire lorsqu’un de nos clients séjourne dans un de nos hôtels, il découvre la ville comme un local le ferait sur les expériences ultraluxe, créées pour lui avec la marque Grand Luxury.

L’avion restera le transport essentiel. Le service continuera de s’accroître. Il faut que chacun joue le jeu d’un développement écoresponsable. Les compagnies aériennes financent des programmes de reforestation dans un certain nombre de destinations et font de gros efforts en ce qui concerne le traitement des eaux usées. Par contre, les clients choisissent de plus en plus dans le cadre de leur voyage les destinations qui sont vraiment investies dans la défense de l’environnement et les destinations qui ne le font pas petit à petit perdent du terrain.

Comment se situe Maurice dans tout cela. Est-ce le pays est toujours une destination haut de gamme ?

À ce propos, on vous parlera de Maurice en tant que professionnels plus qu’en amoureux de l’île. On a connu Maurice dans les années 1990 et on la connaît aujourd’hui. Pendant une période, on n’est pas venus Maurice. C’est qui fait qu’on peut faire une comparaison entre une période antérieure avec ce qui se passe maintenant. Maurice est à un point capital de son développement touristique. Il y a une décision à prendre. Est-ce qu’on veut aller vers du grand luxe ? Dans ce cas, il faut qu’il y ait une vision et la porter. Où est-ce qu’on veut aller vers le “mass market” ? Dans lequel cas, il faut l’assumer et le faire. On sent qu’il y a une inaction et pendant ce temps l’investissement se détériore. Le produit se détériore. On ne se compare pas assez par rapport à d’autres destinations comme Langkawi ou Bali ou d’autres villes à travers le monde. Il faut qu’il y ait une réaction. Sinon ce sera trop tard.

C’est le moment d’avoir une vision à long terme et de la mettre en œuvre. Que cette île se remette dans une décision forte. Il y a 30 ans, lorsque vous demandiez à un Français ou un Anglais, quelle était la destination de luxe dans le monde, la réponse était Maurice. Aujourd’hui, plus personne ne cite Maurice. C’est un choix. Il n’y a pas de bon ou de mauvais choix mais par contre, si on louvoie sans trop savoir vers quoi on va, cela ne fait pas beau. Il faut qu’à un moment l’île Maurice prenne un chemin. On ne peut pas faire deux choses en même temps. Il est difficile d’être à la fois luxe et “mass market”. Il faut définir une image à l’île. Généralement, le luxe attire tout le monde. Mais si vous vous projetez comme“mass market”, le luxe ne viendra pas. Où veut aller l’île Maurice ? C’est à ses dirigeants de le décider. On a l’impression que parfois le produit ou la vision touristique reste très centré autour de Maurice et de sa vision qu’elle a d’elle-même. On n’essaie pas de se comparer à la concurrence qui reste Langkawi, Bali, Saint-Barthélemy pour les Français. On se demande à un moment s’il y a une volonté politique et économique pour prendre le bâton de pèlerin et voir comment cela se passe dans ces destinations, comment sont les produits, comment ils communiquent sur la destination, s’ils organisent des événements particuliers pour faire parler de la destination. On n’a pas l’impression qu’il y a eu une telle démarche.

Quelle est la force de l’industrie hôtelière mauricienne ?

La culture de service à Maurice est unique au monde. Elle est exceptionnelle. Elle est à la fois dans un service de qualité mais aussi profondément vrai. Cette chaleur et cette spontanéité n’existent pas ailleurs. Il faut que cela soit accompagné par un marketing de l’île qui est totalement inexistant. Ce qui est grave pour l’île qui dépend quand même beaucoup du tourisme. Il faut qu’il y ait une vision et un marketing digne de ce nom.

Vous venez également de lancer une application. Pouvez-vous nous en parler ?

On a une application. Le Grand Luxury, c’est une sélection d’exception, un service ultra-personnalisé et des outils digitaux très puissants. Nous avons un centre de recherche et de développement en Roumanie où on a dix personnes qui travaillent en permanence au développement informatique pour améliorer l’expérience client en permanence. Aujourd’hui, un client ne veut pas perdre de temps. Il veut pouvoir réserver à tout moment une carte de spectacle, un transfert par téléphone, réserver une place au Spa, une place au restaurant et on intègre ensuite toute une dimension découverte et visites de la destination découverte et visite de la destination où vous allez. Nous travaillons en permanence pour améliorer cette dimension et créer des outils technologiques qui permettent aux clients d’avoir dans la poche un service ultrarapide. L’application est vraiment un assistant de poche

Vous organisez également des événements…

Depuis maintenant trois ans, on a créé une filiale qui s’appelle Luxury Experience qui organise des événements pour des clients qui sont principalement dans le secteur du luxe. Cela peut être de la joaillerie, la mode, les technologies, la mode à destination des sociétés qui ont besoin pour le compte de leurs clients, leurs collaborateurs, et de leur conseil de direction d’organiser des événements à l’international. On a recruté des collaborateurs qui sont répartis à Paris et à Maurice dans cette filiale qui sont chargés de tout organiser et d’aider la société à choisir la destination ou choisir le ou les hôtels et d’organiser toute la logistique pendant tout l’événement.

Quel est le profil d’un client haut de gamme ?

Le profil du client est extrêmement diversifié. Cela peut être un voyageur qui séjournera une fois dans un hôtel de luxe pour ses 30 ou 40 ans de mariage. Les repeaters sont surtout des grands dirigeants d’entreprise, des grands avocats, des hommes politiques, des gens du show-business ou des grands professeurs. On a des clients dans le monde entier, en particulier ceux de la zone Europe Middle East and Africa qui ont leurs conseillers dédiés à Port-Louis.

Pouvez-vous nous donner le nom d’un client ?

Non, cela on ne fait pas.

Peut-on avoir une idée de votre chiffre d’affaires ?

On a atteint le niveau de 100 millions euros en 2019

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