Jacqueline Tsé : « Mon agresseur a eu tort de sous-estimer ma force de femme »

À 61 ans, Jacqueline Tsé vient de vivre une situation traumatisante, à savoir une tentative de vol à l’arraché, le 15 janvier. Loin d’être déboutée, elle a pris à contre-pied son assaillant en résistant, au mieux de ses forces, à sa violence. Cette femme, saluée pour son courage héroïque, est devenue le visage du Ward IV. Sa ténacité et son esprit combatif ont marqué bien des esprits. Pour elle, être femme ne signifie pas être faible, surtout lorsqu’on voit les images de vidéo d’elle et toute la violence engendrée par son agresseur en la projetant sur l’asphalte. Elle doit aussi son salut à John Dryden, ressortissant britannique qui n’a pas hésité à maîtriser au collet le malfrat. Ce vol a mobilisé le Neighbourhood Watch et a engendré le Mouvement Ward IV Safety. Jacqueline Tsé avait le choix entre fléchir ou résister à son agresseur et son geste de combativité est un élément déclencheur pour les femmes de montrer à leurs agresseurs qu’ils ont tort de sous-estimer la force d’une femme.

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Victime d’un vol à l’arraché avec violence, le 15 janvier, rue d’Artois, Port-Louis, racontez-nous ce moment qui vous a marqué à vie ?

D’habitude, je sors le matin pour aller travailler, c’était un jour normal, ce vendredi 15 janvier, il n’y avait personne, sauf un voisin qui passait à moto, je l’ai salué et il est parti. Quand j’ai traversé la rue De Courcy pour continuer à rue d’Artois, là, j’ai senti quelque chose à l’épaule droite. J’ai senti quelqu’un qui voulait arracher mon sac. C’était comme dans un film, tout s’est enchaîné. J’ai vu le voleur qui voulait prendre mon sac et je lui ai résisté, car je ne voulais pas céder aussi facilement. Il portait un casque, je n’ai pu distinguer son visage, mais je sais que c’était un homme de forte corpulence. Je me suis dit dans mon for intérieur qu’il croit avoir affaire à une femme petite de taille donc faible et que j’étais pour lui une proie facile. Moi, il n’était pas question de céder… Il y a beaucoup de jeunes délinquants qui ne vont pas travailler. Mon agresseur, lui, voulait m’arracher mon sac pour le porte-monnaie, pour l’argent, et il allait jeter mon sac après. Je me suis dit qu’il n’en était nullement question. Ma persévérance a permis d’ouvrir les yeux à d’autres habitants du Ward IV, sur l’insécurité qui prévaut.

Jacqueline, vous avez fait preuve d’un immense courage face à votre assaillant. Quel a été votre état d’esprit à ce moment précis ?

Au Ward IV, il y a beaucoup de voleurs, mais je ne m’attendais pas à me retrouver face à face avec un voleur à 8h30 du matin. Certes, je suis consciente qu’il y a des voleurs dans la région, mais qui récidivent dans l’après-midi, pas de bonne heure, mais j’avais tort. Mon état d’esprit au moment de mon agression a été coûte que coûte d’appliquer le mode résistance. À l’intérieur de moi, je me suis préparée à cet affrontement avec le voleur. Le duel se jouait entre moi et lui, lui voulait mon sac, et moi, “it was my property”, nullement question de céder. Une petite voix en moi me disait : « Crie Jacqueline, dis quelque chose. » Mais rien n’est sorti de ma bouche. Une petite voix intérieure me disait toujours que ce n’est plus possible pour les femmes de se laisser agresser par la lâcheté de certains hommes. Je vous avoue que je n’aurais pu résister jusqu’au bout s’il avait une arme. Il avait toujours son casque quand il m’a projeté sur l’asphalte. Moi, je n’avais aucune notion de ce qui se passait à ce moment précis. Par la suite, des amis m’ont demandé si j’ai vu la vidéo. On m’a dit qu’il y avait une vidéo qui circulait et je me suis dit : Ah bon ! Mon amie me l’a envoyée et, quand j’ai regardé, j’ai été choquée par la violence et j’ai dit : « C’est vrai, il m’a tourné en rond comme cela et je n’ai rien ressenti. » À cet instant, c’était mon sac qui était important. Il contenait mon portable, mes copies de chant d’église de ma paroisse et quelques sous. Mon état d’esprit était au moment du “tug of war” entre mon agresseur et moi. Pourquoi il ne va pas travailler et pour quelle raison il est venu dans ce quartier pour agresser les femmes et peut-être des personnes âgées ? Je me suis dit en tant que femme je vais lui montrer que je peux lui résister.

Que vous a dit votre agresseur au moment de vous projeter sur l’asphalte face à votre résistance ?

On ne s’est pas parlé… Ce n’est que suite à l’interview de mon sauveur, John Dryden, dans les journaux que j’ai su que mon assaillant avait donné comme réponse que sa maman était malade. Pour moi, c’est une réponse un peu banale.

Quelle heure était-il lorsque vous avez emprunté ce chemin de la rue d’Artois et pourquoi personne n’a entendu vos cris ?

Il était 8h30. Je n’ai pas eu de l’aide sur le moment, car je n’ai pas crié. Je l’ai fait après et c’est là que John Dryden est intervenu. Le chemin était libre, il y avait des voitures en stationnement et, d’habitude, je marche sans problème dans ses ruelles. Je connais les voisins, une rue que je maîtrise, donc je n’ai pas senti ce besoin d’appeler à l’aide. Et puis, j’ai voulu résister à mon agresseur, certes il était jeune et de forte corpulence, mais, en tant que femme, je voulais aussi lui montrer que j’avais du cran.

N’aviez-vous pas eu peur que votre agresseur fasse appel à son ami à moto pour venir à la rescousse ?

Je n’avais aucune peur à cet effet, car d’habitude, les vols à l’arraché se passent en un éclair, sans une minute d’attente. Là, il y a eu de la résistance. Et, l’autre qui était sur sa moto était, je suppose, lui aussi convaincu que son ami viendrait à bout de moi. D’autant plus, qu’il voyait bien que je suis de petite taille… mais il n’a pas mesuré ma force de caractère qui est la ténacité. J’ai eu ce bon réflexe de lui tenir tête.

Quelle a été votre réaction en vous voyant sur cette vidéo qui a choqué plus d’un, face à la violence de cet homme qui avait sous-estimé votre capacité de femme ?

Quand j’ai regardé la vidéo, j’ai été très choqué par ce qu’il m’avait fait subir, tout s’est joué en une fraction de seconde. Je me suis dit que les personnes qui vont regarder cette vidéo vont sûrement me dire : « Tu as été disloquée, c’est grave. » Mais c’est grâce à cette vidéo que plus d’un se sont rendu compte de la violence que font subir les agresseurs à leur victime. Cette bande a été remise à l’Information Room de la police.

Vous aviez consigné à votre tour une déposition à la police. Quelles ont été les retombées de l’enquête ?

Je dois remercier M. Osman Mahomed, qui une fois au courant de mon agression, même s’il ne me connaissait pas, m’a apporté son soutien. Mes remerciements vont aussi à Reza Uteem. Mon époux m’a même accompagnée au poste de police pour que je donne ma version des faits. Je suis allée aux casernes centrales pour ma déposition en écrit et, par la suite, j’ai été choqué d’apprendre que ce Statement, déposé à la police uniquement, avait été divulgué sur Facebook et WhatsApp. Ce Statement contenait mon Personal Data, mon âge, emploi, adresse, numéro de téléphone. La question que je me pose est la suivante : comment ces Statements peuvent être divulgués alors que tout a été fait uniquement en présence policière ? Ces informations ont même atteint d’autres rives étrangères. C’est une grave atteinte à la vie privée. C’est illégal et contraire à la loi sur la protection des données sous la Data Protection Act.

À 61 ans, vous symbolisez le courage de la femme, en ayant tenu tête à votre bourreau, en vous accrochant à votre sac. Jusqu’où étiez-vous prête à lutter sans lâcher prise ?

C’est difficile à dire… À l’instant où j’ai été agressée, j’avais cette force de vouloir m’en sortir. Avec du recul, je ne sais pas si mon geste a contribué à inspirer les femmes du Ward IV, mais dans mon malheur, j’ai été une référence pour les femmes qui ont peur de dénoncer leur bourreau, que ce soit pour maltraitance conjugale, vol et autres. C’est terrible pour une femme de ne pas pouvoir porter ses bijoux en chemin. Ce n’est pas agréable de vivre dans la peur d’une agression, mais en même temps, c’est notre devoir à nous les femmes aussi de montrer que nous ne sommes pas faibles. La femme aussi exerce un métier et je ne comprends pas pourquoi ces délinquants ne travaillent pas comme nous. D’où vient la faille pour qu’il y ait autant d’agressions et la plupart du temps sur des femmes sans défense et d’un certain âge.

Votre sac contenait quoi de précieux ?

Pas vraiment de précieux, mais c’est mon sac avec mon portable, mes copies de chants de l’église pour ma paroisse de l’Immaculée et quelques pièces de monnaie. Je me suis dit ce qui est à moi ne peut être volée, encore moins être mis au rebut. Le voleur, lui, a besoin d’argent et il ne se soucie pas du mal qu’il fait à sa victime.

Vous devez votre salut à John Dryden, ce ressortissant anglais qui n’a pas hésité à vous venir en aide. L’aviez-vous rencontré par la suite ?

Non… à mon grand regret, je n’ai pas eu cette chance de rencontrer John Dryden. Je souhaite vivement le voir pour le remercier de sa prompte intervention. Quand il a maîtrisé le voleur, je me suis mise debout et j’ai vu combien il a eu à lutter pour venir à bout du malfrat. Moi, je ne voulais pas laisser mes affaires sur l’asphalte, mes lunettes, mon portable, mes copies de chant. Sur la vidéo, alors que John Dryden luttait contre mon assaillant, je ne suis pas partie, mais je saignais de la tête, c’était plus des éraflures et le sang coulait dans mon cou. Une voisine m’a accueillie chez elle en m’offrant de l’eau sucrée et des serviettes pour essuyer le sang. Je ne suis pas allée travailler ce jour-là, ni ne me suis rendue tout de suite à l’hôpital, l’émotion était trop forte.

Si votre agresseur vous avait demandé à cet instant la clémence, assureriez-vous ce geste de pardon ?

Il ne m’a pas adressé la parole, et ce à aucun moment, mais il va devoir comparaître en cour pour répondre de son acte. Le pardon est chrétien, il est jeune, mais cela ne l’excuse en rien. Nous faisons de notre mieux pour aider les autres, mais l’État et la police doivent aussi faire leur travail et revoir une formule adaptée pour jeunes délinquants. L’oisiveté engendre bien des malheurs, si ces jeunes sans emploi pouvaient se trouver une activité, le taux de criminalité n’aurait pas grimpé en flèche. Selon mes sources, mon agresseur se droguait, il voulait de l’argent et il a pris comme prétexte que sa mère était malade, mais où est le respect envers la femme ?

Il y a eu d’autres personnes qui ont prêté main-forte à John Dryden pour maîtriser votre agresseur. Pendant ce temps, quelles sont les blessures que vous avez eues ?

Une blessure à la tête, mais pas profonde, quelques éraflures. On est bien soudé entre voisins, une bonne dizaine d’entre eux sont venus me prêter main-forte, mais on ne voit pas cela sur la vidéo. Comme je le dis, si j’avais crié dès le début, ils seraient venus, dans ces moments, on ne peut penser à tout. J’avais un voleur virulent devant moi une femme vulnérable et sans défense, j’avais le choix de fléchir ou de combattre. Pour moi, c’était important de montrer que les femmes aussi sont combatives, et, je suis heureuse que mon courage soit un élément déclencheur pour faire entendre la voix des femmes.

Il y a eu les blessures physiques au vu de la violence dont votre agresseur a fait preuve à votre égard, mais vos blessures ont aussi fait de vous une femme forte. Quel regard portez-vous sur la vie avec ces délinquants qui s’attaquent aux femmes qui sont plus vulnérables ?

Il faut venir en aide à ces délinquants et voir ce qui les pousse à voler au lieu de travailler. Il leur manque une activité. Il fallait les encadrer depuis leur scolarité, moi-même, je fais du social, je vais voir les enfants, les personnes âgées dans un “home” et à l’église aussi, je suis très engagée. L’année dernière, j’ai suivi un cours de Regard de Jésus sur la Mauricienne, et ce que j’ai appris en tant que femme, c’est cette technique de surmonter mes difficultés avec Gina Poonoosamy. On valorise la femme, même dans la Bible, il y a cette forme de reconnaissance. C’est faux de dire qu’une femme qui ne travaille pas, c’est un capital qui dort, même quand une femme ne travaille pas, elle fait les travaux ménagers, elle prépare le dîner, s’occupe des enfants. La femme a toujours été l’élément catalyseur pour la bonne marche d’un foyer et un agresseur ne peut pas d’un coup faire voler cette image en éclats.

Comment vos enfants et votre mari ont vécu cette situation ?

J’ai trois enfants (deux garçons et une fille). Ma fille se rendait ce vendredi à son travail et, quand elle m’a vue, elle a été choquée. J’ai dû lui faire sortir de son mutisme et l’encourager à aller travailler. Mon mari est sportif et comme “joke” il a dit qu’il avait un garde du corps dans sa maison. (rires)

Quand vous lisez les journaux, le nombre de femmes qui se font agresser et vous-même, ayant fait cette expérience de vol avec violence, quel est le message que vous voulez faire passer ?

C’est triste de voir cette situation, il faut faire de petits groupes de rencontre entre le voisinage pour aider les femmes. Et pas que les femmes, le vol à domicile, vol à l’arraché concernent tous les résidents d’un quartier. Je constate que les agresseurs et les voleurs s’améliorent dans leur métier, alors que la femme, elle, stagne par peur. La femme doit sortir de son mutisme pour faire reculer les agresseurs.

Suite à ce vol, vous êtes devenue une héroïne du Ward IV et, aujourd’hui, tous les habitants de votre quartier ont décidé de joindre leurs forces pour mettre un frein à l’insécurité qui prévaut. Quelle est votre réaction face à ce mouvement ?

Mon agression a fait bouger les habitants du Ward IV, et ce grâce aux relations de bon voisinage. Prochainement, on aura une causerie de la Crime Prevention Unit au Centre Social Marie Reine de la Paix et un cours de karaté Self Defence de M. Monneron. Ce sera pour tous les habitants du Ward IV qui ont à cœur leur sécurité. Les choses bougent dans le bon sens. Au Ward IV, cela prouve qu’on n’est pas restés passifs, on va apprendre graduellement à s’améliorer tout en gardant cette relation d’entraide entre les uns et les autres. Le groupe Ward 4 Safety a aussi vu le jour.

Les députés Osman Mahomed et Reza Uteem ont aussi été à vos côtés, vos impressions ?

Pour moi, Osman Mahomed et Reza Uteem je les vois en tant que personnes qui ont apporté leur aide. Ils sont députés certes mais aussi des hommes de cœur. Osman Mahomed m’a aidé dans mes démarches face à mon agression et son geste m’a beaucoup touchée et je le remercie vivement pour son élan de solidarité. Osman Mahomed et Reza Uteem ont aussi assisté à une réunion pour les doléances des habitants du Ward IV. Les choses bougent dans le bon sens.

Un groupe WhatsApp a été créé, des cours d’auto-défense avec M. Monneron du karaté « self defence » sont en place… Vous êtes devenue Jacqueline, malgré vous, la femme qui a su apporter ce changement d’attitude. Quel rôle devrait jouer les autorités ?

Les autorités sont passives. Quand on les appelle, elles arrivent sur le tard. Il faut avoir des Patrol Unit. Il y a l’école primaire de Raoul Rivet et l’hôpital n’est pas très loin. Il y a aussi des toxicomanes dans les parages qui sont sous méthadone, il faut protéger nos enfants, les encadrer. Autrefois, on avait des patrouilles de policiers à bicyclette, qu’on ne voit plus maintenant. Il y a aussi des femmes qui sortent du boulot le soir et, même vers 16h30, ce n’est plus prudent. Tout le monde n’a pas de véhicule, il faut un renforcement des patrouilles et des réverbères permettant un meilleur éclairage des rues.

Le Neighbourhood Watch montre bien cette solidarité. Que prévoit-on au Ward IV pour renforcer cette amitié entre les voisins et quid du renforcement de la sécurité ?

À rue d’Artois, on est très proches au niveau du voisinage. Si d’autres régions de l’île veulent mener le même combat contre les voleurs par leur service d’entraide ce serait bien. On doit avoir la Crime Prevention Unit pour les cours de “self protection” pour motiver la femme. La femme doit aussi maîtriser des techniques de “self defence”. On doit aussi valoriser les voisins et avoir une date de calendrier pour une Fête des Voisins, une manière de mieux se connaître, se découvrir et s’entraider. La CPU a sensibilisé 35 familles du Ward IV par une campagne de porte-à-porte, surtout en ce qui concerne les habitants de la rue d’Artois. C’est déjà une belle avancée. Nous, nous ne demandons qu’à être protégés de cette insécurité qui prévaut.

Gardez-vous toujours des séquelles de votre agression ?

Je n’ai gardé aucune séquelle heureusement et j’ai eu beaucoup de marques de solidarité. Aujourd’hui, si je parle ouvertement, c’est pour conscientiser les femmes mauriciennes victimes des maux de la société. Pour moi, il faut dénoncer les violences, à bas les masques, la femme est restée tranquille, voire passive trop longtemps. Une femme ne doit pas avoir honte de dénoncer son agresseur, car elle souffre de l’intérieur alors que, quand elle s’exprime, elle dit avec clarté : j’ai pu “voice out” tout ce que je ressens.

Votre résistance a marqué les esprits, votre message à la femme mauricienne ?

Je suis fière d’être Mauricienne et aujourd’hui mon état d’esprit est serein. Ma résistance a fait de moi une héroïne à ma manière, un combat avec les femmes et pour les femmes.

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