Jacques Chasteau de Balyon (ex-ministre et ex-diplomate) : « Ce n’est pas parce qu’on est un Blanc qu’on est un riche capitaliste »

Jacques Chasteau de Balyon, ex-ministre du Tourisme et ex-ambassadeur de Maurice à Paris, a lancé son autobiographie intitulée Le cœur de Solange – Auto biographie et anecdotes d’un autodidacte. Il y raconte en toute simplicité ce qu’il qualifie lui-même « de vie atypique ». Ce fils de prêtre, qui a perdu sa mère alors qu’il n’avait que six ans, et qui n’a pas fait de grandes études, raconte au Mauricien son parcours, de « peseur de canne à sucre » avec un salaire de Rs 150 à sa nomination comme ambassadeur à Paris, en passant par les drames personnels qu’il a vécus. Farouchement mauricien, il souligne que ce n’est pas « parce qu’on est un Blanc qu’on est un riche capitaliste ». Sa vie est une histoire humaine. Beaucoup de Mauriciens s’y reconnaîtront.

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Ça a été le retour à la vie normale. Comment l’avez-vous vécu ?
Je suis rentré chez moi libéré des hautes responsabilités, du stress du pouvoir, de la pression médiatique et de l’exigence des mandants. Dans un premier temps, c’était le silence assourdissant. Du jour au lendemain, le portable ne sonne plus, il n’y a plus d’invitation. Indifférence totale des gens qui se ruaient aux portes de mon ministère pour un service, un permis. C’était l’anonymat du jour au lendemain, souvent doublé des railleries de ceux qui se précipitent dans les bras du nouveau pouvoir à vitesse grand V. Ces “carapates” qui changent de terroir à la vitesse de leurs intérêts personnels, pour ne pas dire financiers. Je suis très reconnaissant envers Michel de Spéville de m’avoir alors offert le poste de directeur administratif de Circus Advertising, dirigée par Thierry Montocchio et contrôlée financièrement par Food and Allied and Co. J’avais accepté parce que les Finances ne m’étaient pas inconnues d’une part, et d’autre part, je n’avais droit à aucune pension de l’Etat parce que je n’avais eu qu’un seul mandat comme parlementaire. Je ne devais vivre que sur ma pension de l’industrie sucrière. Aujourd’hui encore, c’est toujours le cas même après que j’ai été ambassadeur de Maurice à Paris pendant des années. J’ai donc travaillé pendant huit mois à Circus. L’adaptation n’avait pas été facile. J’ai préféré, par la suite, partir mais je ne regrette pas cette expérience.

Vous avez aussi connu un drame dans votre vie. Parlez-nous en ?
Il y a eu l’accident de voiture qui a coûté la vie à mon épouse. Je sortais de Rodrigues où nous avions passé cinq jours merveilleux, mon épouse, mes enfants, des amis et moi-même. Maurice était sous la menace du cyclone Dina. Après le passage du cyclone, comme il n’y avait pas d’électricité, j’avais demandé à mon fils d’acheter de l’essence pour le générateur. Mon épouse a décidé d’accompagner mon fils et ma fille. Mes enfants sont revenus sans Janick. Comme il y avait beaucoup d’eau sur la route, la voiture a fait un aquaplaning. Après plusieurs tonneaux, Janick a été éjectée et la voiture est retombée sur elle. Là, le monde s’écroule. Janick et moi étions en symbiose. Le destin avait frappé. Ma première réaction était de faire appel au cœur de Solange. Mes enfants (Chris et Caro) et moi, nous avons su affronter ce drame. Je suis infiniment reconnaissant envers mes enfants pour cette affection partagée et pour le courage dont ils ont fait preuve.

Vous avez également connu une carrière diplomatique…
Après le retour du PTr au pouvoir à la suite des élections générales de 2005 à laquelle j’avais participé modestement, Navin Ramgoolam qui avait retrouvé son poste de Premier ministre m’a appelé pour me demander si j’étais disposé à quitter le pays. Il m’a rappelé le lendemain pour me proposer le poste d’ambassadeur à Paris. Je ne lui avais rien demandé mais l’occasion de servir à nouveau le pays m’était offerte. Après consultations avec mes enfants, j’ai accepté. Le petit peseur de canne à sucre à Solitude allait devenir ambassadeur de Maurice à Paris après avoir été député et ministre. Je dois reconnaître que mon parcours a été très atypique.
J’ai passé neuf ans à Paris. C’était une expérience merveilleuse. À partir de Paris, je suis accrédité auprès des gouvernements italien, portugais, espagnole et l’Organisation internationale de la francophonie. J’ai aussi été nommé ambassadeur à l’Unesco. En France, j’ai connu trois présidents, soit Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande. J’ai eu l’occasion de visiter plusieurs pays francophones pour la supervision des élections en Afrique. À travers l’Unesco, j’ai eu l’occasion de me rendre en Amérique du Sud, en Turquie. Ce qui m’a permis de faire des découvertes. J’ai eu la chance de visiter le Mémorial du génocide en Rwanda. Celui qui ne pleure pas là-bas est vraiment insensible. Mes années à la diplomatie ont été très riches. J’ai essayé de me battre pour Diego Garcia, et surtout pour Tromelin, bien qu’il s’agisse de sujets qui relèvent du Premier ministre. Concernant Tromelin, j’ai eu l’occasion de défendre un accord de cogestion au Sénat français. Ce dernier avait approuvé l’accord. Il fallait qu’il soit approuvé par l’Assemblée nationale. Ils ont beaucoup tardé jusqu’à ce qu’un député fasse une déclaration dans la presse pour dire qu’il y aurait des problèmes au niveau de Tromelin. Marine Le Pen a sauté dessus pour observer qu’on veut démanteler le territoire français. À partir de là, c’était foutu. J’ai eu beau intervenir auprès du gouvernement français. Le texte n’est jamais revenu devant l’Assemblée. Sur le plan bilatéral, les dossiers de coopération sont toujours bien ficelés par les deux parties bien avant la rencontre au sommet.

Quel regard jetez-vous sur le pays aujourd’hui ?
Aujourd’hui comme dit l’adage, je suis tenté de dire : « Pleure, ô mon pays bien-aimé. » C’est vrai qu’il y a la COVID-19 et que la situation n’est pas facilement contrôlable. Il y a également la crise économique internationale qui affecte l’économie locale forcément. Après avoir connu des personnalités comme sir Anerood Jugnauth et Navin Ramgoolam, je me demande toutefois si le Premier ministre actuel est bien entouré. À mon avis, le fait de se retrouver sur la liste noire de l’Union européenne est le résultat de fautes graves au niveau du pays. On n’est pas sur cette liste par hasard. Je n’absous pas les fautes des uns et des autres lors des précédents gouvernements, mais en termes de capacité, ce dernier semble être le pire qu’on ait connu. Avec la crise économique, nous nous acheminons vers une situation sociale difficile. Ensuite, il y a trop de magouilles, trop de corruption. On ne peut pas courir derrière l’argent à ce point. L’argent ne peut pas être roi en toutes circonstances.

En parcourant votre livre, on a l’impression que vous avez eu plusieurs vies…
J’ai eu une vie atypique. J’ai connu des hauts et des bas. J’ai frôlé la mort avec deux opérations très lourdes. C’est ce qui m’a poussé à écrire ce livre. Comme le disait Jean d’Ormesson : « C’est quand il y a quelque chose au-dessus de la vie que la vie devient belle ». Je crois qu’il faut être bon, généreux, sincère, croire en ses idées, et surtout ne pas vivre dans nos préjugés. Aux jeunes en général, je leur dis qu’il faut faire confiance. Le monde dans lequel vous vivez est plus difficile que celui dans lequel j’ai vécu, certes. Mais la vie mérite d’être vécue et il faut l’affronter peu importe les difficultés

Souhaiteriez-vous refaire de la politique ?
La politique est un virus. Mais je me dis que la place est aux jeunes. Malheureusement, soit ils ne veulent pas s’engager, soit ils ne peuvent pas s’engager. Toutefois, j’aurais bien aimé aider ceux qui veulent s’engager.

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