Jean Michel Pitot : «La survie et la restructuration réussie de MK constituent la carte maîtresse »

Dans l’interview qu’il a accordée à Le-Mauricien cette semaine, Jean Michel Pitot, président de l’Association des Hôtels et Restaurants de l’Île Maurice (AHRIM), fait un acte de foi dans l’avenir de l’industrie touristique à Maurice. « Nous avons toutes les raisons de croire que nous pourrons sauver la haute saison de fin d’année », lance-t-il. Pour le président de l’AHRIM, la reprise de juillet part d’une base quasi nulle. Si nous réalisons une haute saison « normale », nous pouvons arriver à l’objectif de 325 000 touristes fin 2021 et espérer atteindre le chiffre de 650 000 en juin 2022. Il souligne toutefois que la relance du tourisme repose sur le prestige retrouvé d’Air Mauritius. « La survie et la restructuration réussie de notre compagnie aérienne nationale constituent la carte maîtresse », insiste-t-il.

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Vous avez été dès l’année dernière en première ligne pour réclamer la réouverture des frontières. Comment en tant que président de l’AHRIM et opérateur touristique, avez-vous accueilli l’annonce de la première phase de réouverture ?
Nous accueillons cette ouverture avec un grand soulagement ! Nous attendions depuis longtemps l’annonce d’une date et les autorités ont su trouver le bon calendrier. Elles ont eu raison de ne pas rouvrir les frontières plus tôt, car les conditions n’étaient pas réunies. Aujourd’hui, avec le vaccin, la situation est totalement différente. Nous avons toutes les raisons de croire que nous pourrons sauver la haute saison de fin d’année et c’est extrêmement encourageant. Nous disposons des trois mois de préparation, temps requis – dans l’industrie des vacances en général – pour nous assurer que les campagnes de promotion et de communication portent leurs fruits.

Prenons, à titre d’exemple, le marché anglais, notre deuxième plus gros marché après la France. Avec le taux de vaccination que ce pays est parvenu à atteindre et la bonne intégration des gestes barrières par ses citoyens, il doit définitivement être notre principal marché-cible européen. Or, les Anglais, c’est connu, réservent toujours au moins trois mois à l’avance. Ils ont besoin de temps pour préparer leurs vacances.

Le timing est donc parfait pour le marketing, d’autant plus que cette campagne est plus que jamais Challenging. Car il nous faut déployer les bons messages, communiquer les mesures prises pour protéger les voyageurs et dissiper tout doute. En développant, sur le plan de la communication et du marketing, une réelle synergie de travail entre public et privé, le pays se donne toutes les chances de réussir. Je suis personnellement très heureux d’avoir contribué à mettre en place cette synergie. Je pense, avec beaucoup d’humilité, que c’est ce qui nous permettra de relever ce challenge et de remettre le pays bien en vue sur la carte mondiale du tourisme.

Comment se présentent les préparatifs en vue de ce redémarrage des activités touristiques tant sur le plan sanitaire que sur le plan opérationnel ?
Il est important de rappeler qu’il y a aujourd’hui trois types d’hébergement hôtelier, dont deux soumis à des protocoles spécifiques. Il y a les établissements désignés pour l’“in-resort stay” réservés aux voyageurs vaccinés, lesquels sont pour le moment au nombre de 14 ; il y a aussi les hôtels de quarantaine pour les non-vaccinés, Mauriciens comme étrangers ; et enfin les hôtels qui sont sur le marché libre et qui pourront rejoindre l’une des deux catégories « sous surveillance » au fil de l’évolution de la situation. Cette configuration, rappelons-le, est en place jusqu’au 1er octobre, sauf changement radical de la situation.

Chaque hôtel, selon la catégorie dans laquelle il se trouve, a reçu le protocole du ministère de la Santé et l’a déployé dans son établissement. Les différents prestataires de services, qui interviennent entre l’aéroport et les établissements hôteliers à l’arrivée, ont également reçu leur propre protocole. Tout est en place pour qu’il n’y ait pas de « surprise sanitaire ». C’est à chacun de jouer son rôle. Nous sommes préparés pour le faire.

Ce protocole, préparé en consultation avec les autres autorités concernées ainsi que l’industrie, extrêmement rigoureux et parfaitement bien détaillé, est une continuité d’un mode d’opération que les hôtels ont heureusement eu le temps de s’approprier pleinement, car ils ont revu leurs Standard Operating Procedures depuis plus d’an, certains avec l’aide de cabinets spécialisés. Les hôteliers sont restés en interaction continue et active avec les autorités sanitaires afin que le protocole national soit applicable, puisse être intégré par le personnel et déployé comme préconisé.

Tout le personnel qui sera affecté aux hôtels In-Resort Stay a reçu les deux doses de vaccin depuis plus de 14 jours. Les staffs désignés seront testés à J-2 de la reprise du travail. Qu’il s’agisse du système de pistage ou de distanciation, gym, spa, golf, boutiques, Kids Club et fournisseurs sont soumis à de nouvelles procédures d’opération. Nous avons adapté les lieux communs et les chambres pour le respect de la distanciation et dûment formé le personnel aux gestes barrières spécifiques au cadre de l’hôtel.

En plus du règlement sanitaire, le personnel a été formé, en interne et par le ministère de la Santé. Grâce à une formation développée conjointement avec la Santé sur l’AHRIM Online Learning Platform, avec le soutien de la MFDC et de la HRDC, plus de 15000 membres du personnel hôtelier ont été formés, avec des tutoriels et des vidéos, à la spécificité de l’accueil en contexte de pandémie. Chaque hôtel aura son référent santé, qui s’assurera du respect des protocoles et fera le lien avec le responsable du ministère de la Santé.

Le protocole prévoit même les procédures en cas de clients ou membres du staff positifs. Nous avons pu déployer ce protocole tout en trouvant des moyens de rendre confortable le séjour du client.

D’où viendront les premiers clients ? Est-ce que le fait qu’ils ne pourront pas quitter l’enceinte des établissements hôteliers durant les 14 premiers jours de leur séjour constitue un obstacle ?
Bien entendu, l’“in-resort stay” n’est pas la situation de vacances idéale, si on se compare aux destinations concurrentes. Mais il faut bien commencer quelque part et nous sommes confiants de pouvoir oser ce pari en nous appuyant sur les qualités de notre destination. Il est encore trop tôt pour dire comment réagira le marché, mais les premiers signaux sont encourageants.

Dans une quinzaine de jours, le bureau de l’AHRIM pourra mieux se faire une idée de ce que nous réservent les mois de juillet et août. Les compagnies aériennes ont aussi besoin d’un temps de préparation pour rendre disponible le nombre de sièges d’avion nécessaires. Maintenant qu’une date a été annoncée, la machine est mise en route. Ce sont trois mois de travail intense qui nous attendent à tous les niveaux.

Comment ont été choisis ces 14 hôtels pour des “in-resort stays” ?
Les autorités ont invité les hôtels qui ont déjà opéré comme des centres de quarantaine et qui sont pieds-dans-l’eau à manifester leur intérêt. Elles ont choisi de limiter le nombre d’hôtels : c’est un arrangement de transition qui nous convient, dans la mesure où cette liste sera revue toutes les trois-quatre semaines, si la demande augmente et que les compagnies aériennes confirment leur intérêt.

Limiter le nombre d’établissements In-Resort est un choix que nous respectons. La capacité de contrôle sanitaire du pays impose une certaine limite dans un premier temps. Dans le contexte d’incertitude qui prévaut toujours avec des cas locaux, il permettra un meilleur contrôle. Et commencer petit pour mieux grandir est une bonne stratégie. Nous sommes convaincus que d’autres hôtels viendront rapidement s’ajouter à cette liste.

Peut-on dire que la période en juillet et septembre constituera une mise en jambe en attendant la réouverture complète en octobre ?
Tout à fait. C’est en quelque sorte une période de rodage. Le plus important pour nous, c’est que cette transition graduelle soit réussie afin qu’elle rende possible l’ouverture du 1er octobre et que nous réussissions une belle saison haute. Personne ne s’attend à avoir des chiffres d’arrivées extrêmement élevés dans les mois qui viennent. Nous démarrons de zéro, il faudra être patient et humble. Mais nous sommes très optimistes.

Le FMI affirme que la reprise touristique sera lente. Est-ce vous partagez cet avis ? Pensez-vous que l’annonce de 650 000 arrivées jusqu’à l’année prochaine est réaliste ?
Selon les dernières estimations officielles du pays, nous pouvons espérer 325 000 arrivées pour 2021, soit de juillet à décembre. Cela nous semble un chiffre réaliste. En 2020 où l’on comptait un peu moins de trois mois d’activité normale, nous avions enregistré 309 000 arrivées. La reprise de juillet part d’une base quasi nulle. Si nous réalisons une haute saison normale , nous pouvons arriver à cet objectif de 325 000 fin 2021 et espérer atteindre le chiffre de 650 000 en juin 2022.

Cela peut, certes, paraître ambitieux par rapport au contexte d’incertitude actuel. Dans nos premières réunions de travail avec le gouvernement, plusieurs chiffres avaient été évoqués, tous justifiables à leur manière, mais nous devons continuer à réfléchir, et à évaluer notre capacité à déployer les moyens nécessaires pour rehausser progressivement nos ambitions. Si le pays a choisi de mettre la barre plus haut, c’est qu’il fait le pari que la bonne connexion aérienne. L’excellente réputation de la destination et notre bonne gestion du COVID lui permettront de relever ce défi.

En vérité, ce n’est pas le chiffre en lui-même qui est important. Poser un chiffre nous permet de poser aussi les obstacles qu’il faudra effacer et l’investissement qu’il faudra consentir pour l’atteindre. Parmi ces obstacles, il y en a qui sont hors de notre contrôle, comme être sur la liste verte des pays émetteurs, faire accepter les vaccins faits à Maurice par l’UE, mais il y a d’autres leviers sur lesquels nous devons jouer : la promotion commerciale agressive, la compétitivité du prix de l’hébergement et du billet d’avion, la négociation des sièges d’avion. Il y a de nombreuses étapes à franchir, mais tout peut aller très vite.

Si l’application du protocole sanitaire est une réussite – et il n’y a pas de raison que ce ne soit pas le cas – on peut voir une accélération de la demande. Si l’empressement de voyager se confirme dans les pays émetteurs, peut-être qu’il faudra revoir le budget de Rs 420 millions pour le marketing de la destination afin de mieux prendre avantage de ce boom. Nos cadres de discussion public-privé serviront alors à réajuster nos efforts et nos objectifs.

Est-ce que le fait que la compagnie aérienne nationale soit toujours sous administration volontaire ne complique pas la relance de l’industrie touristique ?
La relance du tourisme repose sur le prestige retrouvé d’Air Mauritius. La survie et la restructuration réussie de notre compagnie aérienne nationale constituent la carte maîtresse. Nous avons besoin de sièges dans les avions pour répondre à la demande de chambres d’hôtel, cela va de soi.

Air Mauritius assure normalement environ 42% des sièges sur Maurice. Avec une flotte réduite, elle ne sera pas en mesure d’acheminer le même nombre de touristes qu’auparavant. Nous n’aurons pas le choix que d’autoriser un plus grand nombre de vols en provenance d’autres opérateurs aériens, tels qu’Emirates et/ou s’ouvrir à d’autres compagnies aériennes. Elles s’attendront, bien entendu, à des incitations fortes. Mais en retour, elles nous permettront de maintenir le coût du billet plus bas : il est fondamental de rester compétitif face à une concurrence très agressive, car le billet d’avion et le budget vacances des voyageurs dans un cadre post-COVID, vont peser plus lourd.

Combien de temps faudra-t-il pour que nous retrouvions le même niveau d’arrivées touristiques qu’en 2019 ?
Chaque sortie de crise a ses propres caractéristiques. Après la crise de 2009, la reprise avait été très lente. Il est vrai qu’en 2010, nous avions déjà retrouvé les mêmes arrivées qu’en 2008, mais nous avons quand même pris quatre ans pour accueillir 100 000 touristes de plus, entre 2010 et 2014. Puis, tout s’est accéléré et nous nous sommes retrouvés avec 400 000 touristes de plus entre 2014 et 2018 (de 1 million à 1,4 million). Donc, quatre fois plus de touristes en deux périodes successives de quatre ans.

Cette fois, c’est bien plus qu’une crise économique on le sait, c’est du jamais-vu. On repart de zéro… en ayant en tête les 1,4 million de 2018 et 2019 ! Est-ce que retrouver ce même niveau prendra une, deux, trois ou quatre ou plus d’années ? C’est difficile de prévoir… Certains parlent de 2023 d’autres de 2025 et plus loin encore. Le cycle de quatre ans cité plus tôt nous semble être la seule indication historique possible de ce qu’est le passage d’un cap, une sortie de crise confirmée. Mais selon les moyens mis en œuvre pour la reprise, tout est possible.

Combien de temps prendra l’industrie touristique pour se remettre à flot financièrement ?
Nous l’avons maintes fois dit : cette crise est sans précédent. Jamais l’industrie n’avait vécu une absence de revenus sur une période de 18 mois. Retrouver un bilan positif va demander du temps. Grâce à la quarantaine et l’apport non négligeable du marché local, certains hôtels ont pu diminuer leurs pertes.

Mais l’industrie, dans son ensemble, est très fragilisée. Tous les bilans financiers font grise mine même si chaque hôtel, selon son actionnariat, présente un visage différent. Chacun a ses réalités. La MIC, dont l’apport en capitaux a représenté une bouffée d’air pour les hôteliers, a posé une échéance de neuf ans pour le remboursement. C’est sans doute une indication du temps que cela prendra pour se relever…

Comment accueillez-vous le fait que le GWAS sera suspendu à partir de la fin de septembre ?
Idéalement, nous souhaiterions que le GWAS soit maintenu jusqu’à une reprise confirmée. Que veut dire « confirmée » ? Nous l’avons estimé à 50% des arrivées antérieures. Cela dit, la prolongation du GWAS à fin septembre est cohérente avec le calendrier d’ouverture, partielle et totale, posé par les autorités.

Le pays fait le pari que ce calendrier permettra la reprise en octobre et fait tout ce qu’il faut pour que cela arrive. Et nous voulons y croire. Il est clair que tous les opérateurs touristiques ne bénéficieront pas dans l’immédiat de cette réouverture. Pour beaucoup, la situation restera précaire encore longtemps. Nous faisons confiance à l’esprit de dialogue qui a prévalu pendant cette crise. Les décideurs ont toujours été à l’écoute et nous aviserons ensemble le moment venu.

De part et d’autre, nous entendons dire que l’offre touristique de Maurice doit être revue et améliorée. Est-ce le point de vue de l’AHRIM ?
On entend souvent dire que la destination doit se réinventer. En réalité, il n’y a pas grand-chose à réinventer : notre destination a tout ce qu’il faut pour offrir une expérience touristique exceptionnelle. Mais tout ce contenu doit être soigné, ordonnancé, mis en valeur, Packaged.

Nous avons une matière bien plus riche que celle de nos concurrents directs, les Maldives et les Seychelles. Bien plus que la plage et la mer, il y a nos traditions, notre histoire, nos lieux culturels, nos forêts…

Rester compétitif, c’est rendre cette offre plus riche en la valorisant, en se dotant d’équipements qui permettront au touriste d’aller seul demain à la découverte de ce qui fait l’authenticité du pays. Certains pensent à tort que l’hôtel empêche le touriste de s’aventurer hors des murs. Mais il est déjà dehors. 40% des nuitées sont hors hôtel. Le touriste se balade et ne se réjouit pas toujours de ce qu’il voit…

On parle de “sustainable tourism”. Qu’est-ce que cela veut dire pour vous ?
La Sustainable Hospitality existe depuis plus d’une quinzaine d’années. Les hôtels, par leur propre démarche volontaire, sont arrivés loin dans la mise en œuvre d’une politique de développement durable, avec des programmes qui rivalisent d’originalité et des résultats fort valorisants. En toute humilité, certains hôteliers peuvent affirmer qu’ils sont en avance. Il faut que tout le pays suive.

On le sait : le voyageur privilégiera de plus en plus les destinations sensibles à l’environnement. Cette tendance marquée appelle des initiatives musclées et créatives pour valoriser les atouts verts et authentiques de l’île, et surtout sa propreté. Nous devons accentuer nos efforts de programmes de protection de la biodiversité, en créant des zones vertes, en embellissant nos villages côtiers, en responsabilisant les administrations locales. C’est tout ça qui permettra d’affirmer notre positionnement comme destination de luxe et d’excellence, au-delà des murs de nos hôtels.

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