(Journée de la femme) Alexandra Augustin, reggaewoman rodriguaise : «Je veux être cette femme qui n’a pas froid aux yeux»

A Rodrigues, comme à Maurice, les filles qui font du reggae ne courent pas les rues. Alexandra Augustin, 21 ans, pensait faire une entrée discrète sur la scène du reggae en 2019. Mais elle a tapé dans l’oeil des professionnels qui, en l’écoutant sur Come back home, avaient compris qu’ils assistaient à la naissance d’une lionne. La miss donne non seulement de la voix, mais aussi du sens à ses textes (Bad Laws, Douler Fam, Saviour, Kanser…), puissants, revendicateurs et intensément féminins. De Montagne-Malgache, Rodrigues,  à Maurice où elle vit et poursuit ses études depuis un peu plus d’un an, Alexandra Augustin chante et parle de la femme. Elle en a fait une cause. Admirative devant l’émancipation de la Mauricienne, elle voudrait qu’à son tour la Rodriguaise se désinhibe.

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Comment est-ce que la Journée internationale des femmes, qui sera célébrée demain, vous interpelle ?

— La femme est l’essence même de la vie. L’homme a autant d’importance dans la naissance d’un enfant. Me se fam-la ki tini zanfan-la pandan nef mwa dan so vant. Sans compter les déséquilibres hormonaux qu’elle doit supporter! La femme doit être valorisée pour tout ce qu’elle est capable de faire, son courage, sa patience… A Rodrigues, comme à Maurice, la population féminine est plus importante en nombre. Mais ce qui m’interpelle particulièrement, c’est qu’en 2021 la femme rodriguaise a encore un peu de mal et trop de pudeur pour mettre sa féminité en avant et de s’assumer pleinement. De se valoriser, d’abord par elle-même. Et le pays aussi a de quoi faire pour renforcer la capacité des femmes. Toutefois, il y a des femmes qui peu à peu se prennent en main pour se sentir mieux dans leur peau. Les séquelles de la société patriarcale, laquelle était davantage plus dominante auparavant, se fait encore sentir à Rodrigues. Nou ankor retrouv sa zistwar ki zom al travay, fam bizin res dan lakaz. Malheureusement, cette mentalité qui est propre aux précédentes générations est retransmise aux jeunes. Mais heureusement il y a des parents de la présente génération qui dans quelques années ne diront pas à leurs filles: “To ena vin-t-an, inn ler pou to marie”. Ils leur diront: “To bizin rod enn travay”. D’autre part, même si les hommes sont en minorité, ils s’accrochent fermement au système patriarcal et se permettent de définir la place de la femme, alors que les Rodriguaises sont de plus en plus nombreuses à travailler. Dans ma chanson “Bad Laws”, je dis que “Bad Laws shoot down feminity”. Je ne fais pas référence à la législation. Mais à l’énergie négative, dépensée pour faire du tort à la femme. Alor-la! Mo vreman bien pa kontan sa ditou, ditou, ditou… Sa mem mon ekrir enn morso apel Douler fam pou sansibiliz lor violans domestik. La femme est tellement fragile que les hommes pensent qu’ils peuvent en disposer comme ils l’entendent. Mais non! Les choses ne sont pas ainsi! Ils ne voient pas que peu à peu la Rodriguaise se met debout. Dan Rodrig nou ena fam gard prizon, mason… Et qui dirigent le pays au sein du gouvernement régional. Le bras droit du Chef commissaire (ndlr: Serge Clair) est une femme (ndlr: Franchette Gaspard-Pierre-Louis).

Quelle est pour vous la problématique majeure à laquelle sont confrontées la femme et la jeune fille dans la société rodriguaise?

— The main issue regarding women in Rodrigues is their lack of self esteem! Quant aux jeunes filles (soupir)… les grossesses précoces demeurent un éternel problème. Pourtant, il y a pas mal d’interventions pour sensibiliser les jeunes sur la santé reproductive. Mais la réalité est que les filles sont précoces physiquement et que des jeunes pensent ainsi: T’es un boss si t’as des rapports sexuels ! J’ai été engagée dans plusieurs associations sociales et j’ai été formée pour faire de l’écoute. Nous avons fait plusieurs interventions. Mais au bout du compte, il est attristant de constater que malgré tous les efforts déployés, la situation ne change pas. Komsi kan pe koz ar zot, sa pas dan enn zorey pou sorti dan lot. C’est grave! Les stratégies de prévention sont là, on aborde la santé reproductive dans les écoles primaires et même s’il n’y a que deux pharmacies à Rodrigues, ce qui est affligeant, il y a des méthodes préventives! Depi boner fini dir bann zanfan ki sexialite pa enn badinaz, ki ou kapav gagn sida… Mais rien n’est fait. Et moi, je suis dépassée par cela. Que faut-il faire face à ça?

Vous évoquez le sida. Parlez-nous de la situation à Rodrigues?

— Le nombre de personnes vivant avec le VIH a forcément augmenté. C’est un sujet qui est encore extrêmement tabou! Malgré le fait que la HIV and Aids Act garantit la confidentialité sur la question de l’identité, la peur de se faire dépister est tellement forte que le Rodriguais hésitera à faire un test, voire franchir le seuil d’un centre pour se renseigner. Dès que vous vous renseignez sur le sida, ça y est, vous êtes porteur du virus! L’île est tellement petite que, même si vous demandez une simple information, le monde sera vite au courant et les déductions vont suivre! Pour ne pas être l’objet de stigmatisation, l’on préfère l’ignorance. Alors, c’est à nous, les formateurs, de faire des causeries sur le sujet. Mem si ou fer kozri, personn napa pou pou kestion. Evidemment pour ne pas susciter des suspicions. Quant aux jeunes, ils hésiteront à se faire dépister par peur que leurs parents apprennent leur démarche, étant donné que ces derniers leur interdissent d’avoir des rapports sexuels précoces.

Au bout d’un an et demi ici, vous sentez-vous bien intégrée?  Avez-vous votre place dans la société mauricienne ?

Mo ena mo plas isi. Quand je suis arrivée on m’a demandé s’il y a des boutiques, si c’est vrai qu’il n’y a qu’une route à Rodrigues. Ce sont des questions qu’on pose aux Rodriguais par exprès ou par ignorance. Tout comme on continue à nous interpeller par: “Hey, ti Rodriguais !” C’est quelque chose que je déteste et qui me met mal à l’aise. Je suis Rodriguaise, et alors? J’en suis fière. Il arrive aussi, quand je parle le kreol rodrige, que certains cherchent à me corriger: “Pa dir piman, dir pima”, me disent-ils. Ah, là non! Ma langue c’est mon identité. Respectez-moi. Une fois, en cours quelqu’un a dit: “Dan Rodrig pena mem pa popilasion.” Je crois que comparée à Agalega, où il y a quelque 200 habitants, 40 000 Rodriguais, ça fait pas mal non? D’ailleurs, j’ai remarqué que toutes ces questions clichées qu’on demande aux Rodriguais, on ne les pose pas aux Agaléens! Tous les Mauriciens n’ont pas cette approche envers nous. Mais il suffit d’une remarque pour vous déstabiliser et vous forcer à être méfiant. Pourtant, nous sommes de la même patrie, d’une même nation, n’est-ce pas? De l’autre côté, je suis agréablement surprise de l’accueil positif et des encouragements que me donnent les artistes mauriciens. Et là où je suis arrivée dans mon parcours de vie, personne n’a le droit de me dire des propos remplis de préjugé. La si ou dir moi enn kiksoz, mo sagrin ou (rires). J’invite toutes les femmes à défendre leur identité et leur place là où elle le souhaite. Quand je suis arrivée ici… ayooooo pa koze! J’ai vécu le choc culturel à un point que je ne comprenais pas pourquoi on ne me répondait pas quand je disais tout simplement bonjour aux personnes dans la rue (rires). En revanche, je suis en admiration devant l’esprit de compétition dans le domaine de l’éducation, chez les Mauriciens. Le Mauricien cherche toujours à aller plus loin, s’il décroche un certificat, il visera un diplôme, puis une licence, un master…

Qui du Rodriguais ou de la Rodriguaise subit le plus les préjugés dont vous parlez?

— Les deux. Je me souviens d’un camarade de classe qui est sorti de ses gonds, excédé parce que quelqu’un lui a lancé: “Hey Rodrige, reponn.” D’ailleurs, l’étudiant rodriguais ne reçoit pas la même attention du chargé de cours que son camarade mauricien! J’ai eu beaucoup de témoignages à ce propos. Vous savez, les étudiants rodriguais sont traumatisés par tout cela. Parallèlement, on est tellement habitué à ce genre de réaction qu’on s’attend à traiter ainsi là où on va! On se sent marginalisés.

Quel est votre message aux Rodriguaises ?

— Qu’elles prennent conscience de leur valeur et de leur statut de femme, car la femme est une perle et incarne la beauté de la vie. Elles doivent rester fortes. Les hommes qui me liront diront certainement que je suis une féministe, etc (rires).

Vous l’êtes…

— Je suis une féministe et je défendrai toujours la cause des femmes. Jusqu’à présent, pour beaucoup, la femme est soit un objet ou une génitrice, porteuse d’enfants. Je vais d’ailleurs continuer à faire de la musique pour montrer qu’en tant que femme, je vais persévérer dans ce milieu, d’autant que dans le reggae à Maurice ou à Rodrigues, les femmes ne courent pas les rues. Moi, je veux faire de la musique consciente et être cette femme qui n’a pas froid aux yeux pour dire ce qu’elle pense.

Et de la Mauricienne, quel regard avez-vous sur elle?

— Chapeau aux Mauriciennes (grand sourire)! Elles s’affirment. Elles ne veulent plus rester sous l’emprise d’une société patriarcale. Elles travaillent, sont indépendantes, elles s’expriment. Elles savent ce qu’elles valent et le démontrent. Konpare a Rodrig, boukou fam isi pe roul zot transpor. Je n’ai rien à dire dessus!

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