Kalpana Koonjoo-Shah : « Je suis une guerrière du MSM, quand on vous a placé sur le terrain, il faut combattre ! »

Notre invitée de la dernière interview de l’année est Kalpana Koonjoo-Shah, ministre de l’Égalité du Genre et de la Famille. Dans l’interview réalisée mardi dernier, elle répond à nos questions sur l’actualité de son ministère et le Children’s Bill, sans oublier, en bonne guerrière du MSM, de décocher des flèches contre l’opposition parlementaire.

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Dans votre première interview à Week-End, vous aviez déclaré : « Mon enn soldat SAJ ki finn vinn enn soldat l’armée Pravind. » Un an plus tard, vous avez eu une promotion dans cette armée ?
— Permettez-moi de reformuler cette déclaration. En fait, je suis une guerrière du MSM. Quand on vous a placé sur le champ de bataille, il faut combattre.

Comme vous étiez une guerrière du MMM à l’époque où vous colliez les affiches mauves ?
— Quand je l’ai fait, alors que mon père était membre du MMM, c’était définitivement un autre MMM, pas celui qu’il est devenu aujourd’hui ! Je suis aujourd’hui une élue du MSM dont je défends les principes, les valeurs et le leader.

Vous avez porté un saree orange sur un choli mauve au Parlement pour les débats sur le Children’s Bill. Est-ce qu’avec ce choix de couleurs vous vouliez faire passer un message politique ?
— Ce pays est terrible : je présente au Parlement trois projets de loi historiques et tout ce que l’on retient ce sont les couleurs de mon saree et de mon choli ! J’aurais dû choisir un saree bleu, rouge, jaune et vert puisque le Children’s Bill n’appartient pas à un parti mais à l’ensemble de la République et ses enfants et leur avenir.

Pourquoi est-ce que le Children’s Bill a pris autant de temps pour être présenté, débattu et voté ?
— Le Children’s Bill a pris le temps qu’il a pris parce qu’il concerne des sujets ultrasensibles. Il a fallu faire de multiples consultations, discuter et écouter les partenaires, veiller que les lois existantes modifiées par le Children’s Bill ne deviennent pas caduques ou contradictoires. Tout cela prend énormément de temps. D’ailleurs, nous avons été obligés, en raison de sa complexité, de faire passer trois lois au lieu d’une seule, deux lois complémentaires pour la renforcer. Nous avons pris en considération avant, pendant et même après les débats, les amendements qui ont été proposés.

Pourquoi est-ce que les précédentes ministres de la femme — je crois qu’il y en a eu cinq qui ont travaillé sur ce projet — n’ont pas pu le mener au bout, comme vous ?
— Je ne suis pas là pour répondre sur ce que les autres ont fait avant. Tout ce que je peux dire, c’est que mon prédécesseur la ministre Jaunboccus, a fait un travail considérable sur le sujet et que j’ai continué dans cette voie. Je suis allée revoir les partenaires, les institutions et les personnes concernées pour les écouter.

Est-ce que le fait que Paul Bérenger a souligné que vous avez su écouter vous a touchée ?
— J’ai apprécié les contributions de tous les membres du Parlement qui se sont exprimés sur ce projet devenu loi. Il y a des parlementaires d’expérience qui ont plus d’idées que d’autres et j’ai retenu tout ce qui était constructif, tout ce qu’il fallait changer et ne prenant pas en considération les propositions démagogiques.

Vous êtes donc entièrement satisfaite de votre Children’s Bill ? Il n’aurait pas pu être meilleur ?
— Le fait qu’il existe, qu’il a été voté est déjà une énorme avancée dans l’histoire de la République et de ses enfants. Je suis très satisfaite, mais je sais aussi qu’aucune loi n’est parfaite et qu’elle est sujette à des améliorations. D’ailleurs, ces trois lois seront revues périodiquement, parce que la société évolue et qu’il faut l’accompagner et s’adapter aux changements. Mais la loi ne règle pas tout, c’est pour cette raison que j’ai mis beaucoup d’accent sur la responsabilité parentale.

Qu’est-ce que vous regrettez de ne pas avoir pu inclure dans ces lois ?
— Nous avions envisagé d’inclure la castration chimique dans la loi, mais nous n’avons pas pu le faire. C’est une mesure, qui est déjà appliquée dans beaucoup de pays, qui doit être envisagée. C’est une mesure qui demande beaucoup de consultations et de discussions que nous avions d’ailleurs commencées.

Dans votre discours, vous avez parlé de rendre les peines plus sévères, de faire voter des lois plus répressives. La seule solution aux problèmes couverts par le Children’s Bill pour vous c’est la punition, la répression ?
— Pas du tout. Dans la loi, l’accent est mis sur la réhabilitation, l’éducation, l’accompagnement. Le fait d’avoir mis l’âge de la responsabilité criminelle à 14 ne veut pas dire qu’un enfant coupable de délits sera immédiatement mis en prison. Au contraire, il existe tout un programme de réhabilitation, de sensibilisation et d’accompagnement pour l’enfant, mais aussi pour ses parents. Nous allons tout faire pour aider et réhabiliter le jeune délinquant. Le mettre en détention est le dernier recours dans la loi. En ce qui concerne les sanctions, on ne peut pas laisser passer certaines choses, on doit payer, être puni pour certains actes. L’augmentation des peines a été une demande de la société qui a évolué sur ces questions depuis le premier Children’s Bill, qui date de 1994. Toutes les sanctions ont été augmentées, que ce soit en termes d’amendes ou de périodes d’emprisonnement. Les lois doivent être plus sévères parce que les offenses sont devenues inacceptables, et là, je parle surtout de ceux commis par des adultes.

Vous parlez de mesures d’accompagnement et de réhabilitation de jeunes délinquants. Est-ce que votre ministère dispose de suffisamment de ressources humaines, de personnel formé pour le faire ?
— Nous avons créé des instances, avec des experts, pour nous occuper de cas spécifiques et faire les recommandations adéquates.

Les nombre de cas de maltraitance d’enfants et de femmes semblent être en augmentation. Est-ce vraiment le cas ou alors est-ce qu’on en parle plus aujourd’hui ?
— C’est un mélange des deux éléments que vous venez de citer. Nous avons, surtout pendant la pandémie, accentué nos campagnes — pour demander aux personnes témoins des cas d’abus de les dénoncer — qui ont porté leurs fruits. Les témoins agissent parce qu’ils savent qu’ils sont soutenus par la police, le ministère, les ONG qui font un travail extraordinaire dans ce sens. Mais on peut et on doit renforcer les institutions existantes. Il faudra recruter plus pour faire face à la situation, c’est pour cette raison que nous avons fait des provisions pour demander la création de nouveaux postes au PRB.

Est-ce que les parents sont plus concernés aujourd’hui par ces problèmes qu’ils ne l’étaient autrefois ?
— Ils ont intérêt à être concernés et à réagir parce que s’ils n’assument pas leur responsabilité parentale, ils auront à en répondre devant la loi. Il y a malheureusement beaucoup de cas où les parents n’assument pas leurs responsabilités, pour diverses raisons. Certes, il y a la loi, le ministère, les institutions, la société civile, mais si ceux qui ont fait l’enfant, ceux qui ont sa responsabilité parentale ne l’assument pas…

Il y a beaucoup de parents mauriciens qui n’assument pas leurs responsabilités ?
— Hélas, oui. Il ne faut pas oublier que les tout premiers protecteurs d’un enfant ce sont ses parents. En tant que maman, je ne peux penser que ce sont les autres personnes, dont les enseignants, qui doivent assumer la responsabilité de mes enfants. C’est vrai qu’il y a le travail, plus dur qu’avant, que les parents n’ont pas beaucoup de temps pour suivre les leçons et les devoirs, pour discuter en famille avec leurs enfants et, très important, écouter ce qu’ils ont à dire. Le confinement a donné une occasion aux parents de retrouver leurs enfants, leur a donné le temps de mieux s’intéresser à eux.

Est-ce qu’en même temps le confinement et la promiscuité qui en faisait partie n’ont pas donné plus d’occasions aux prédateurs ?
— Cela est vrai et nous avons tenu compte de cette situation et avons fait de la dénonciation d’abus une responsabilité légale. Si vous savez que le fils de votre voisin est battu, maltraité, vous avez désormais le devoir d’en avertir les autorités. Si vous ne le faites pas, vous pouvez être poursuivi.

Toutes les institutions de votre ministère fonctionnent-elles à votre entière satisfaction ?
— Je viens d’apporter une restructuration majeure au fonctionnement du ministère, surtout au niveau des Child Services. Nous avons redéployé le personnel dans les différents services et aurons à faire des recrutements pour optimiser nos services. Oui, les services fonctionnent. Est-ce qu’ils peuvent être améliorés ? Évidemment, il y a toujours des possibilités d’amélioration, des secteurs à revoir pour une meilleure utilisation des ressources et nous allons le faire. Si mon collègue le ministre des Finances me donne plus de moyens, je pourrai augmenter le personnel et rendre les services du ministère plus efficaces encore. Il faut souligner que le ministère s’occupe des droits de l’être humain, des tragédies humaines et notre objectif c’est d’en faire diminuer le nombre et, il faut l’espérer, les éliminer. Nous avons des institutions et des ONG qui nous aident énormément.

En parlant d’institutions, on s’est laissé dire que vous avez des rapports un peu conflictuels avec l’Ombudsperson for Children. Avez-vous le sentiment qu’elle empiète sur votre terrain ?
— On a fait tout un séga sur un problème qui n’a jamais existé ! L’Office de l’Ombudsperson et mon ministère travaillent très bien ensemble. Elle et moi avons des mandats spécifiques. Moi, je fais des politiques et je les mets en pratique, ce qui n’est pas son cas, mais nous communiquons et nous échangeons des idées. Elle est comme un chien de garde qui a le droit de vérifier le fonctionnement de mon ministère par rapport à son domaine de compétences : la protection des droits des enfants. Nous avons d’excellents rapports, pas des rapports conflictuels.

Est-ce que l’âge du mariage légal, qui a longtemps été un frein au Children’s Bill, a été plus difficile à faire passer que l’âge de la responsabilité légale des enfants ?
— Nous ne pouvons pas avoir une loi pour chaque communauté mauricienne, mais une loi, la même, pour tous les Mauriciens. Quand j’ai commencé à travailler sur ce projet de loi, j’ai été guidée par les principes de base adoptés et appliqués par les institutions internationales pour l’intérêt des enfants, adaptés au contexte géopolitique local. Même si le sujet est délicat aujourd’hui, l’âge du mariage légal est fixé à 18 ans, ce n’est pas moi qui le dis, mais une loi votée par le Parlement. Pour l’âge de responsabilité criminelle des enfants, nous nous sommes également alignés sur les recommandations internationales des traités que Maurice a signés.

De votre point de vue, quel est le principal problème de la Mauricienne ?
— La Mauricienne vit dans une société où, pour le moment et en dépit de toutes les mesures prises et des plateformes existantes, elle n’occupe pas la place qui devrait lui revenir de droit.

On pourrait commencer par le gouvernement où sur la vingtaine de ministres, il n’y a que trois femmes et au Parlement où sur les 70 députés il n’y a que 14 femmes…
— Il faut un début à tout et il faut du temps pour appliquer les réformes. Certains ont passé des années à se gargariser du mot réforme et ne les ont pas appliquées. Pire, quand le gouvernement MSM a apporté ces réformes au Parlement, ils ne les ont pas votées. Nous, en tout cas, nous avons fait un pas dans la bonne direction.

Est-il facile pour une femme ministre de faire approuver ses projets dans un gouvernement très majoritairement masculin ?
— Oui, quand c’est un gouvernement dirigé par Pravind Kumar Jugnauth…

Tous les ministres sont-ils obligés de rendre publiquement hommage au PM, comme vous venez de le faire ?
— Je réponds à votre question. Je dis que quand on a un Premier ministre qui écoute, discute, approuve et soutient, c’est facile.

Une femme, même ministre, doit-elle parler plus fort et travailler deux fois plus pour se faire entendre des membres masculins du gouvernement ?
— Ce n’est certainement pas le cas pour ce gouvernement.

Est-ce que les femmes parlementaires se soutiennent, sont solidaires ou est-ce qu’elles se comportent comme des adversaires politiques ?
— J’aimerais vous répondre que les parlementaires femmes sont solidaires en tant que femmes, mais j’ai été parfois un peu déçue de certaines « madames » de l’opposition.

Vous-même, il vous est arrivé de ne pas être tendre pour les « madames » de l’opposition…
— Quand on m’attaque, je réponds. Surtout quand on m’attaque sur des choses que je n’ai pas faites ou dites. Je riposte de la manière la plus correcte possible, en restant dans les limites.

Mais il n’y a pas qu’au gouvernement et au Parlement que les femmes sont sous-représentées…
— C’est une réalité, mais je vous le répète, il faut du temps pour faire des réformes. Il faut du temps pour les faire accepter parce qu’il ne sert à rien de faire quelque chose de bâclé. Tout cela n’arrivera pas du jour au lendemain, mais sera le résultat d’un travail qui a déjà commencé. Il faut empower les femmes, leur apprendre à être indépendantes à tous points de vue, y compris économiquement, les protéger, les éduquer, les sensibiliser. Cela fait partie de mon travail.

N’est-il pas temps, un an après les élections, que l‘atmosphère change au Parlement, qu’on s’occupe plus des affaires du pays que d’attaquer ses adversaires politiques ?
— Je suis entièrement d’accord avec vous, mais le comportement de certains membres de l’opposition ne le permet pas. L’opposition passe son temps à renforcer sa culture de « tout ce que fait le gouvernement n’est pas bon. »

Vis-à-vis, vous avez des membres de la majorité qui ne font rien pour apaiser le climat des débats parlementaires. Et on ne parle pas du Speaker qui crie souvent et semble entendre un seul côté de la chambre…
— Ça, c’est votre opinion. Vous entendez quand le Speaker lève la voix, mais vous n’entendez pas et ne voyez pas quand les membres de l’opposition ne se lèvent pas quand il entre au Parlement ! J’ai l’impression que le Speaker peut difficilement entendre ce qui se passe au Parlement à cause du tapage que fait l’opposition.

Après avoir entendu ça, on doit admettre que, effectivement, vous êtes une bonne guerrière du MSM ! Pourquoi avez-vous fait de la politique active après être restée très longtemps éloignée de ce domaine ?
— Vous savez, dans la vie on passe par beaucoup de chemins pour finalement trouver le bon. Au départ ,mon père, qui a été politicien, n’était pas d’accord puisque je devais, comme lui, démissionner de l’administration pour faire de la politique. Après quelques jours de réflexion, il a fini par me comprendre et accepter. Je suis entrée en politique pour pouvoir participer au changement de mon pays et à l’amélioration de la manière de vivre des Mauriciens.

On nous a demandé de vous poser la question suivante : est-ce que vous protégez aussi des hommes battus par leurs femmes ?
— Mais bien sûr, puisque mon ministère s’occupe de faire respecter les droits des êtres humains, femmes et hommes. Je dois dire qu’il y a des cas, mais qu’ils sont très peu comparé au nombre de femmes subissant des violences conjugales. Nous sommes en train de travailler sur un projet pour inciter les hommes battus qui, pour des raisons évidentes, sont réticents à dénoncer leurs conjointes, à venir de l’avant. Aujourd’hui, on rapporte plus des cas de violences et d’abus qu’autrefois. Avant, c’était à cause du tabou familial autour de la question, parce que la femme ne voulait pas venir de l’avant par crainte de perdre la garde de ses enfants, elle ne savait où aller si elle devait quitter le toit conjugal. Aujourd’hui, nous accompagnons les femmes dans leurs démarches pour se sortir de ces situations et devenir indépendantes. Mais il faut pour bénéficier de ces services gratuits rapporter les cas, car nous ne pouvons rien faire, nous ne pouvons pas mettre nos services à contribution si la victime ne rapporte pas le cas. La chose la plus difficile c’est, définitivement, de changer les mentalités. C’est notre combat quotidien.

Vous paraissez bien enthousiaste par le travail que vous faites. C’est le ministère que vous aviez choisi dès le départ ?
— Pas du tout ! Obtenir un ticket, descendre sur le terrain pour faire campagne, être élue, avoir un ministère tout s’est enchaîné et j’ai eu peu de temps pour réaliser ce qui m’arrivait. J’ai relevé le défi, d’autant que l’émancipation de la femme, la défense de la famille et des enfants sont des sujets qui me tiennent à cœur.

Ce n’est pas difficile pour votre époux d’être le mari de la ministre de la Femme ?
— Quand je rentre chez moi après le travail, je suis l’épouse de mon mari et la mère de mes enfants, pas la ministre.

Question brûlante d’actualité : qu’avez-vous à dire sur l’affaire Kisten qui défraye la chronique ?
— Ce que moi je comprends, c’est qu’il y a une enquête judiciaire qui a été nommée pour faire la lumière sur cette affaire. J’ai aussi compris que jusqu’ici il n’y a pas d’accusé. Donc, je pense qu’il faut laisser l’institution concernée faire son travail.

Revenons sur l’ambiance au Parlement pour terminer. Est-ce que cette atmosphère d’affrontements et d’expulsions va continuer au Parlement pour les quatre années à venir ?
— Posez-vous la question de savoir qui a créé et entretient cette atmosphère malsaine. L’opposition se sert de tout pour faire de la politique quand elle n’est pas au pouvoir. Quand elle n’est pas au gouvernement, son agenda quotidien est « ki l’ail nou pou al tiré zordi ? » L’opposition oublie que nous avons été élus et que nous sommes soutenus par la population. Si ce n’était pas le cas, est-ce que nous aurions pu prendre les mesures qui ont été prises pendant le confinement ? Nous n’avons pas besoin de l’opposition avec ses arrangements bidons. Nous avons besoin de la population et elle nous soutient dans nos décisions qui ont conduit à faire de Maurice une Covid-safe island.

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