La précarité menstruelle : Une réalité sanglante pour beaucoup de Mauriciennes

Les Anglais ont débarqué, une visite de la tante, indisposition, lamer rouz, bref, les métaphores ne manquent pas pour parler tout simplement des règles. Enveloppé dans du papier journal, bien caché dans son sac, un sachet de serviettes hygiéniques ne coûte que Rs 30.

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Une bagatelle pour beaucoup de femmes, mais un luxe pour des milliers de Mauriciennes vivant en dessous du seuil de pauvreté, dans des shelters ou dans la rue.

La précarité menstruelle est bel et bien une réalité. A quelques jours de la World Hygiene Day, qui sera observée le 28 mai, Week-End fait le point sur ce tabou à la fois social, économique et linguistique.

Selon un rapport d’Amnesty International datant de 2016, « plus de 500 millions de femmes n’ont pas accès à des produits hygiéniques pour gérer leurs menstruations », et à Maurice l’on estime ce chiffre à quelques milliers. Faute d’études concrètes, la précarité menstruelle reste l’affaire des femmes entre elles, un sujet confidentiel, « trop intime », dit-on Et pourtant, en 2019, des jeunes filles utilisent encore de vieux morceaux de chiffon, du papier toilette, des chaussettes ou encore des feuilles de papier journal, lorsqu’elles ont leurs règles. En 2019, des femmes vivant en dessous du seuil de pauvreté n’ont pas Rs 30 pour s’acheter, ne serait-ce, qu’un sachet de serviettes hygiéniques. Telle est la cruelle réalité de plusieurs femmes mauriciennes. Trop gênées pour en parler, ces femmes sont devenue des vraies pros du système D et font comme elles peuvent pour se cacher, comme pour oblitérer cette partie essentielle de la féminité et de l’humanité.

« Cette situation m’attriste, me choque, me met en colère, car nous ne sommes plus dans les années 1980/90. Nous sommes en 2019 et il est inacceptable qu’il y ait des femmes qui doivent encore serrer les jambes en marchant, parce qu’elles ne portent qu’un morceau de tissu. L’on doit pouvoir parler de ce problème ouvertement », lance Elena Rioux-Chavriya, travailleuse sociale. Côtoyant ces femmes depuis près de 30 ans, elle connaît leur quotidien. « On n’en parle pas assez. Nous représentons 52 % de la population mauricienne et il existe des milliers de femmes qui vivent dans des conditions précaires. Vous vous imaginez une maman qui a quatre filles et qui doit trouver de l’argent pour la nourriture, la maison ou le transport ? Que fait-on des produits d’hygiène ? Que font-elles lorsqu’elles ont leurs règles et qu’elles doivent aller à l’école ou au travail ? », s’interroge-t-elle.

Depuis trois ans, une jeune femme a décidé de prendre les choses en main avec l’aide de ses amis. The Ripple Project est une initiative sociale créée en 2016 par Djemillah Mourade-Peerbux. « J’ai commencé en faisant des dons à l’ONG Passerelle pour les femmes sans-abri et je me suis dit pourquoi ne pas faire don de produits d’hygiène, et en voulant acheter des serviettes hygiéniques, des savonnettes, du dentifrice, du shampoing pour 20 personnes, je me suis rendu compte que je n’avais pas suffisamment d’argent. Tout cela est extrêmement cher ! » dit-elle. En effet, une femme mauricienne dépense en moyenne Rs 60 par mois en serviettes hygiéniques et, par an, le calcul est simple, cela fait à peu près Rs 720.

« Un montant qui a l’air d’être abordable, sauf lorsqu’on y ajoute d’autres produits d’hygiène. Alors là, le chiffre augmente, car ces femmes, précisons-le, n’ont pas de savonnettes pour se laver ou de dentifrice pour se brosser les dents et elles n’ont pas d’eau courante. Nous ne nous rendons pas assez compte de l’importance de cette forme de précarité. Combien d’entre elles n’iront pas au travail parce qu’elles n’ont pas une bonne hygiène, parce qu’elles se sentent mal à l’aise avec leurs chiffons, parce qu’elles n’ont pas pris de douche pendant des jours ? L’enjeu est énorme », explique la jeune femme qui mène campagne sur les réseaux sociaux et qui distribue des produits d’hygiènes dans des shelters, entre autres.

« Les règles  annoncent le début de la sexualité »

« Cela relève de la santé publique. Nous ne connaissons pas assez notre corps, on ne nous apprend pas assez à l’école comment le connaître. Et cela concerne à la fois les garçons et les filles », insiste Djemillah Mourade-Peerbux. Un élément sacro-saint, car « les règles c’est le point central de tout. Elles annoncent le début de la sexualité et s’il n’y a pas une bonne éducation, et si les bonnes informations ne sont pas transmises à ces jeunes, cela finit en grossesses précoces. C’est un effet boule de neige et c’est pour cela qu’il nous faut en parler », dit-elle. En parler, et le crier haut et fort. « Avoir ses règles n’est pas une honte ! », dit Stewelderson Casimir, travailleur social. Avec l’aide des étudiants de l’université de Maurice et de The Ripple Project, il a lancé le Padman Challenge et une boîte a été placée à l’université de Maurice pour récolter des dons. Une initiative louable qui a permis de récolter près de 1 000 produits d’hygiène. « Nous avons eu de très bonnes réactions des étudiants qui, au départ, étaient perplexes, mais qui ont fini par comprendre que la précarité menstruelle est bel et bien réelle à Maurice ».

De ce fait, Djemillah Mourade-Peerbux est catégorique: il faut parler d’éducation reproductive dans les écoles pour mieux préparer ces jeunes. Elle espère aussi que les autorités prendront conscience de ce fléau silencieux. « Cela se fait déjà ailleurs, pourquoi pas à Maurice ? D’ailleurs, l’on a déjà des distributeurs de préservatifs, alors pourquoi pas des destructeurs de serviettes hygiéniques dans les centres de santé, les institutions pénitentiaires, les écoles, les ‘shelters’ ? » Néanmoins, Djemillah Mourade-Peerbux, Elena Rioux-Chavriya, Stewelderson Casimir et ces autres personnes qui luttent pour cette cause gardent espoir. « Il y a, depuis quelque temps, un éveil de conscience et la naissance d’un mouvement qui commence à se pencher sur le problème. Les clubs de services comme le Rotary font des dons de Hygiene Packs. Oui, nous espérons que toutes ces campagnes auront un impact sur les Mauriciens », conclut Djemillah Mourade-Peerbux.

Un changement de regard qui permettra peut-être de briser ce plafond de verre, pour permettre à ces femmes de vivre leur féminité en toute hygiène et sécurité et d’apprendre à nos petites-filles qu’avoir ses règles, ce n’est pas sale, tabou, mais bien au contraire…

Les règles, un tabou linguistique

Dans le cadre de Journée mondiale des femmes en mars de cette année, le Département français de la fac des sciences sociales et humaines a organisé une exposition de posters autour de la femme et de la précarité menstruelle. Le Dr Yannick Bosquet-Ballah, chargé de cours et initiatrice du projet, nous explique que cette exposition est le fruit du travail des étudiants en deuxième année de BA (Hons) French. « On ne parle jamais des règles que l’on associe à l’impureté, à une maladie. Les étudiants et étudiantes ont été ainsi invités à mener des enquêtes de terrain sur les stratégies linguistiques utilisées pour ne pas parler directement des règles. L’on utilise des euphémismes, par exemple, “j’ai mal au ventre” et des métaphores, etc., sans jamais parler directement des règles. Nous avons aussi eu des enquêtes très pertinentes sur le cycle menstruel chez les prostituées et les SDF avec des témoignages poignants. »

Ainsi, avec l’aide de la Students’ Union, une semaine d’activités autour de ces thèmes a été organisée pour tenter « de sensibiliser, de briser le tabou des règles et, surtout, d’en parler, car la précarité menstruelle existe, mais elle n’est pas qu’économique, elle est aussi sociale et linguistique », dit-elle.

Questions à…Vidya Charan : « Dommage que l’éducation sexuelle ne soit pas bien définie dans le cursus scolaire »

Il est important d’éduquer nos jeunes filles, mais aussi les garçons sur ce sujet. Vidya Charan, directrice de la Mauritius Family Planning and Welfare Association (MFPWA), nous en parle.

l Dans le cadre de la Menstrual Hygiene Day qui sera observée le 28 mai prochain, pensez-vous que l’on ne parle pas assez des règles et d’hygiène menstruelle à Maurice ?

– Souvent, on entend parler, entre amies, des problèmes et des douleurs auxquels les dames et les filles font face, mais l’on parle très peu de l’hygiène corporelle et menstruelle. Pour pallier ce problème, lors des sessions d’éducation à la sexualité que nous avons mises en place dans les écoles, nous avons un module sur « Human Growth and Development » destiné aux adolescentes en pleine croissance. Nous nous adressons également aux garçons. Ce programme d’éducation sexuelle dans les écoles est financé par l’Union européenne et L’IPPF au niveau de la MFPWA.

l êtes-vous d’accord qu’une bonne hygiène menstruelle va de pair avec une bonne éducation sexuelle et reproductive ? Quelle est la situation actuelle dans nos écoles et chez nos jeunes filles ?

Bien sûr, l’hygiène menstruelle, l’éducation sexuelle et reproductive marchent de paire. On enseigne la biologie au collège, mais tous les élèves ne sont pas concernés, parce que beaucoup choisissent d’autres matières. Il est dommage qu’une éducation sexuelle ne soit pas bien définie dans le cursus scolaire. Il y a un manque à ce point de vue. Nous sommes présents dans 25 écoles primaires et une vingtaine d’écoles secondaires, l’on ne peut pas tout faire malheureusement.

l Pensez-vous que l’on devrait alerter davantage les autorités sur cette forme de précarité qui existe, mais qui est encore tabou ?

– Il faut comprendre que ce problème est très personnel. Je pense que les parents doivent éduquer leurs enfants, les aînés doivent aider les plus petits. Se laver et adopter une hygiène personnelle est avant tout une décision personnelle et non des autres. Par contre, il est impératif d’éduquer ces personnes, car si on n’observe pas d’hygiène, la santé de cette personne peut détériorer. Je ne pense pas qu’avoir ses règles est un tabou. C’est un processus normal et biologique pour les filles et les femmes. C’est uniquement une question d’éducation qui doit commencer à la maison.

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