À Maurice récemment pour le 2e Festival du Livre de Trou-d’Eau-Douce, Corinne Fleury, éditrice de la maison d’édition Atelier des Nomades, présente Michèle Rakotoson, la grande dame des lettres malgaches, et son livre Ambatomanga, le silence et la douleur. Corinne Fleury aborde son travail d’éditrice et sa maison d’édition franco-mauricienne comme une passerelle de découvertes où se mêlent différents genres d’écritures. Il y a, dans chaque roman publié, cette sensation tactile d’une écriture qui touche les sens et de ces émotions qui transcendent l’âme.
Mère et éditrice, Corinne Fleury a cette capacité de s’abreuver des mots. La lecture est son passe-temps favori, ce qui lui a permis au final de créer sa maison d’édition, l’Atelier des Nomades. Diplômée en lettres modernes et d’éditions, elle s’intéresse à l’univers du conte et du métissage littéraire. Mauricienne de naissance, établie en France, elle sait transposer sa culture, mettre en relief ce métissage insulaire de notre île plurielle et, surtout, dénicher des auteurs connus ou méconnus capables d’inciter les gens à se tourner de nouveau vers la lecture.
Il n’y a rien de plus plaisant que de tenir entre ses mains un livre, de parcourir les pages et de se laisser porter par une histoire, une trame, ou tout simplement parcourir des yeux ces images colorées d’un beau livre illustré. Corinne Fleury a à son actif deux best-sellers de sa maison, et dont elle est l’auteure, soit Dodo aux plumes d’or et Grand-Mama, sélection Prix Chronos 2023. L’Atelier des Nomades est sa maison d’édition à compte d’éditeur.
« Souvent, des auteurs nous demandent le coût pour être publié. Ma réponse a l’air de les surprendre, car on ne paye rien. À l’Atelier des Nomades, on choisit le texte, on le publie ou pas, et l’auteur, lui, est rémunéré pour son travail. Pour se faire éditer à l’Atelier des Nomades, il faut d’abord avoir une histoire, un univers, mais l’aspect le plus important repose sur l’écriture. » Corinne évoque aussi cet aspect crucial : « Essayer de sortir le meilleur de l’auteur, et faire participer des auteurs à des concours. » D’où un travail en amont !
« Citoyenne du monde »
Travaillant en solo, Corinne Fleury gère tout au millimètre près, avouant que le travail de l’éditeur est de comprendre la sensibilité qui se dégage des écrits d’un auteur. Corinne Fleury a cette subtile approche envers les autres, la diversité culturelle, le respect de l’environnement et, surtout, sa propension à mettre l’humain au cœur de ses actions.
À Maurice récemment pour le Festival du livre de Trou-d’Eau-Douce, elle a fait connaître Michèle Rakotoson et son livre, Ambatomanga, le silence et la douleur, qui parle de la naissance de la colonisation à Madagascar, avec ce point de vue historique documenté entre deux personnages, Félicien Le Guen, qui quitte sa Bretagne pour rejoindre son contingent sur la Grande île, et Tavao, esclave, porteur à Ambatomanga, qui vit dans la peur tenace d’une guerre imminente.
« J’ai rencontré Michèle à Mayotte et, l’an dernier, elle m’a proposé son texte, que j’ai trouvé intéressant. Il aborde une question que je ne connaissais pas autour d’une partie de l’histoire enfouie, la naissance de la colonisation anglaise à Madagascar. Entre ces deux personnages, Félicien et Tavao, elle raconte deux points de vue sans jamais prendre partie pour l’un ou l’autre. »
« Partir à la recherche du lecteur »
Nomade à sa manière, Corinne Fleury se décrit comme une citoyenne du monde, qui pourrait poser ses valises dans n’importe quel pays et s’y sentir chez elle. Sa maison d’édition, lancée en 2010, est, selon ses dires, « une microgoutte d’eau ». Aujourd’hui bien positionnée, l’Atelier des Nomades a su se faire connaître dans l’océan Indien.
« Les librairies nous considèrent comme une maison de l’océan Indien qui publie pour l’océan Indien. C’était notre quatrième objectif, jusqu’à ce que l’on me demande : “Pourquoi tu ne publies pas en France ?” À ce jour, on est présent dans 700 librairies. On fait l’objet d’articles à RFI, dans Le monde… Les gens ont l’impression qu’il y a dix personnes qui travaillent avec moi, alors que je suis seule à jongler entre le manuscrit, le texte, la fabrication du livre, la diffusion et la distribution. »
Corinne Fleury se dit cependant incapable d’écrire un roman, même si elle a deux albums pour la jeunesse à son actif. Sa philosophie de vie étant plutôt de créer des événements pour faire vivre le livre. « J’adorerai faire une résidence d’auteur, faire venir des auteurs de l’océan Indien, mais tout réside aussi en une question de moyens financiers. »
Un des problèmes auxquels elle se heurte : « Je me rends compte qu’être éditeur ne suffit pas. Il faut aussi partir à la recherche du lecteur. C’est là où d’autres corps de métiers doivent prendre le relais. Moi, je suis pour la liberté d’expression. Ma maison d’édition, c’est un espace de paroles. Parfois on me dit que tel auteur ne sera pas lu, mais je ne suis pas dans cette démarche de travailler sur un livre qui se vend. C’est une maison d’édition à compte d’éditeur. Il n’y a pas un auteur que je défends moins qu’un autre. Il n’y a pas d’auteurs “stars”. Si je décide de publier un livre, j’emploie la même énergie. »
Corinne Fleury se dit heureuse de constater que Maurice regorge de talents. « La Réunion ne comprend pas pourquoi Maurice arrive à dénicher de grands auteurs, et c’est une réalité. On a pourtant un vivier d’auteurs à Maurice. » Depuis 2010, depuis que l’Atelier des Nomades existe, le catalogue de notre maison d’édition s’est développé à la fois autour des livres illustrés, avec une écriture visuelle forte. Et l’exigence pour le texte les a poussés vers la littérature générale, tout en offrant une nouvelle tribune aux auteurs mauriciens. Et Corinne Fleury d’indiquer que l’Atelier des Nomades a aussi trouvé sa place pour proposer des livres aux enfants favorisant le voyage imaginaire.
L’Atelier des Nomades met en place des projets d’engagement l’an prochain, dont l’œuvre de Marcel Cabon, qui sera publiée. « Robert Furlong m’aide beaucoup dessus. » Également prévu un recueil de textes d’auteurs francophones sur l’importance de la lecture, soit un livre adressé aux parents, aux professionnels du livre, comme un engagement pour défendre le livre et la lecture.
Il y aura aussi le lancement d’un autre album jeunesse de Shenaz Patel autour de l’arbre forêt, vu à travers le regard d’une petite fille qui décide de s’enfuir dans cette forêt à la rencontre d’un herboriste, et autres personnages liés à ce lieu. L’Atelier des Nomades prévoit aussi la sortie d’un roman satirique, Les guérisseurs, ainsi que l’organisation du festival du livre jeunesse à Maurice, en avril 2023.
Corinne Fleury a su rester proche de son intuition et de ses émotions. Il y a aussi son engagement à défendre le livre, la lecture. Son manifeste est clair : elle veut participer par les mots à la création du monde de demain.