Culture : Ne touche pas à mes dreads !

Porter des dreadlocks est une autre façon de s’affirmer, que l’on soit rasta ou pas. Mais ce choix est souvent difficile à porter à cause des préjugés et de la discrimination que subissent ceux qui affichent ce look. Il n’est pas question que d’une affaire de cheveux. Les témoignages des hommes et des femmes qui portent des dreads en disent long sur une mentalité rétrograde qui persiste toujours.

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“Wi, mo’nn sibir diskriminasion dan lekol, kot bann-la inn refiz mwa dan lexame. Bann profeser ti akiz mwa vann gandia akoz mo seve koumsa. Wi, mo’nn sibir regar dimounn parski malerezman ena enn bann ki trouv sa ar enn move regar, tabou. Zot panse to enn dimounn ki pa kouma zot, alor ki mo ena bon ledikasion.” La chanteuse Emelyn n’aurait jamais imaginé l’ampleur que prendrait son post sur Facebook. Une publication qui intervient après qu’elle s’est coupé les dreadlocks deux semaines plus tôt.

Cette réalité dont fait état la jeune femme est pourtant le quotidien d’une bonne partie de ceux qui portent des dreads. Peu importe sa position sociale, chacun a connu de mauvaises expériences. Le créateur Emilien Jubeau raconte : “Une femme m’a demandé de changer de siège dans l’autobus car mes cheveux lui faisaient peur.” Trop souvent et à tort, cette coiffure est associée, selon Bruno Raya, “à une personne malang, inférieure et un drogué”.

Bruno Raya

Avoir des dreads, c’est aussi se faire systématiquement fouiller par les douaniers à l’aéroport, se faire “tutoyer” par des inconnus qui se considèrent supérieurs, se faire persécuter par les autorités, et surtout subir le poids des regards de ceux qui n’acceptent pas la différence. L’apparence joue malheureusement encore un grand rôle dans la société, estime Ras Natty Baby. “Moris inn devlope lor plan dekor me boukou mantalite ankor arkaik.”

Symbolismes différents.

En 2017, Giovanni Merle, alors employé à l’ambassade de Maurice à Washington, fait l’actualité. Il dévoile une bande sonore démontrant les pressions qu’il subit pour couper ses dreadlocks. “Il y a une certaine incompréhension envers ceux qui portent des dreadlocks”, constate Ras Natty Baby. “J’ai subi beaucoup de préjugés de part et d’autre depuis que je porte mes dreads. Même ma mère ne m’avait pas compris au début.”

Giovani Merle

Que ce soit en signe de rébellion, pour suivre la philosophie rastafari ou suivre une tendance, porter des dreads a des symbolismes différents pour chaque individu. Ras Natty Baby porte des dreads depuis 37 ans, depuis qu’il a adhéré à la culture rastafari. Un choix motivé par des raisons philosophiques et identitaires. José Rose, porte-parole de l’Association Socioculturelle Rastafari (ASCR) confie que “dans l’histoire, nos ancêtres avaient des dreads. Je m’identifie beaucoup à l’Afrique.” Après avoir compris certaines vérités, notamment que “sak zako protez so montagn”, il s’est laissé pousser ses “rasta” depuis les années 2000. Pour sa part, Emilien Jubeau adopte cette coiffure depuis treize ans. Bob Marley ainsi que plusieurs autres aspects de la culture rastafari ont beaucoup influencé son choix. “Mais je ne prétends pas être rasta. Je ne suis pas végétarien et je mange raisonnablement de la viande.”

Préjugés et idées reçues.

Emilien Jubeau et Bruno Raya observent que beaucoup de gens ont du mal à dissocier les dreadlocks d’un rastafari. “Pendant vingt ans, j’ai porté des dreads, avant de les couper l’an dernier. Contrairement à ce que certains pensent, je me suis toujours considéré comme un dreadlocks et non un rastafari.” Il ajoute qu’il a beaucoup milité auprès de la communauté rasta, pour laquelle il a un grand respect. “J’ai toujours défendu certaines causes, comme les droits humains et les valeurs sociales. Avec ou sans dreads, le combat continue.” Emelyn précise que ce ne sont pas les dreads qui déterminent qui nous sommes. “La philosophie est en nous. On peut être rasta même sans dreads.” Avant d’adhérer à une certaine philosophie de vie, la jeune femme s’est laissé pousser les dreads, “en signe de rébellion, pour se différencier des autres”.

Emilien Jubeau

La consommation de marijuana est souvent liée aux dreadlocks, disent nos intervenants. “Les dreads dérangent car ils sont associés à la drogue. Beaucoup de gens voient un toxicomane lorsqu’ils voient quelqu’un qui porte des dreads”, confie Emilien Jubeau. Un point de vue que partage Giovanni Merle. “Les gens se font des films dans la tête en associant systématiquement les dreads à la consommation de drogue.” Selon Ras Natty Baby, le manque d’informations et les fausses idées reçues ont conduit “à une certaine méfiance et un mépris de la part du public et des autorités. Il n’y a pas que les rastas qui fument du gandia.” “Les rastas ne sont pas que ça”, ajoute Emilien Jubeau. “Beaucoup ont contribué à la culture mauricienne au niveau artistique et, malheureusement, pas dans un bureau.”

Changement de mentalité.

Par rapport au regard jeté sur les dreadlocks et les rastas, il y a eu une amélioration lorsqu’on compare cela aux années 80, observe Ras Natty Baby. Ce dernier cite le travail fourni par les artistes comme Kaya et lui-même. “Cela a aidé à changer la mentalité de ceux qui n’acceptent pas les dreadlocks.” Bruno Raya a été le premier présentateur avec des dreads à animer une émission télévisée au début des années 2000, apportant ainsi un changement positif. “Pour certains aujourd’hui, c’est tendance.” Au-delà de cet aspect esthétique, “il y a eu une évolution portée par les anciens dans l’acceptation des dreadlocks”.

Ras Natty Baby

Malgré les préjugés qu’Emelyn a connus, les gens aimaient l’image de cette “jeune chanteuse avec des natty”. En se coupant les cheveux, elle a voulu montrer que ce n’est pas uniquement cette image qui fait d’elle la personne qu’elle est. Pour sa part, Emilien Jubeau avance que les préjugés dont il fait l’objet sont atténués et moins agressifs car il appartient au monde artistique. Ras Natty Baby estime qu’on ne peut pas changer la mentalité de ceux qui ne comprennent pas ce mode de vie. “Il y aura toujours des personnes qui n’aimeront pas ceux qui portent des dreads. On ne peut pas plaire à tout le monde.”

Famille Laprovidence : “Vivre tranquillement grâce aux valeurs”

“Ma petite sœur et moi n’avons pas de soucis à l’école. Tout vient de la façon dont nous avons été élevés et comment nous avons grandi. C’est grâce aux valeurs que nos parents nous ont inculquées que nous arrivons à vivre tranquillement”, confie Sarafina, 17 ans, issue d’une famille suivant la culture ancestrale. Elle porte des locks depuis l’âge de dix ans. “Je ne suis pas du genre à chercher des ennuis. Je ne vois pas pourquoi on devrait trouver des choses à dire sur moi parce que je porte des dreadlocks.”
Son père, Steve Laprovidence, estime qu’à Maurice, la mentalité ne change pas. “L’être humain critique toujours. C’est dans sa nature. Un rasta subit toujours des préjugés. Beaucoup de personnes ont tendance à porter un regard suspicieux sur les rastas. Dans le cas de ma famille, je m’intègre à l’environnement de ceux que je fréquente. Kan to rasta, to lanvironman li restrin.”

Conscient des préjugés attachés à la culture rasta, il poursuit : “Pour le moment, tout va bien, mes enfants sont encore jeunes. Lorsqu’elles auront l’âge de travailler, je ne sais pas comment cela va se passer pour elles. Maurice n’a que 51 ans d’indépendance. Ce n’est pas grand-chose. Le peuple n’a pas la sagesse de tout comprendre.”

Les Sâdhus

Dans la culture hindoue, les dreadlocks sont associés aux hommes sages, connus sous le nom de sâdhus. Les rastas (issus du mouvement rastafari), suivant les préceptes d’Hailé Sélassié 1er, rejettent la civilisation basée sur l’argent et le matérialisme. Les Sâdhus d’Inde renoncent et se détachent aussi de toute vie matérielle pour se consacrer au but de toute vie : la religion et la spiritualité. On les rencontre sur les routes de l’Inde, vêtus le plus souvent en orange, avec des colliers Malla, des symboles religieux dessinés sur le corps, des cheveux longs. Ils sont devenus le symbole de la spiritualité indienne.

Comment obtenir des dreadlocks

Pour avoir des mèches de cheveux entremêlées en forme de natte noueuse, il suffit de laisser pousser naturellement ses cheveux, ne pas appliquer de produits et ne pas passer un coup de peigne. “Si la personne se voue à Jah Rastafari et a de la foi pour devenir végétarien, elle pourra devenir rasta. Pour ma part, quand je me suis voué à l’éternel, je me suis rasé complètement la tête et la barbe. Dans un premier temps, mes locks n’étaient pas très longs. Aujourd’hui, mes cheveux font environ 150 cm”, confie José Rose. Le porte-parole de l’Association Socioculturelle Rastafari (ASCR) précise que ceux qui appliquent du miel dans leurs cheveux ne sont pas de vrais rastas.

Il est indispensable de laver les locks. “Nous lavons nos cheveux avec du shampooing ou du savon, et rien d’autre.”

Emelyn : “On a essayé de me forcer à tailler mes dreads”

“Ce n’est pas uniquement par rapport aux dreadlocks qu’on subit des discriminations. Avant d’avoir des dreads, j’avais les cheveux bouclés et j’ai été interdite de chanter au collège lors d’une activité dans le cadre du Earth Day parce que mes cheveux dérangeaient : “Get twa enn kou”, m’a lancé la responsable. Cela m’a fait mal, au point où j’ai commencé à me lisser les cheveux. Cette personne m’avait mis dans la tête que mes cheveux n’étaient pas beaux et qu’il ne fallait pas les lâcher.En HSC, j’ai intégré une autre institution secondaire. J’ai encore une fois subi cette discrimination car mon image ne leur plaisait pas. C’était du racisme. Je pense être une personne correcte, avec une bonne éducation, comme tout le monde. Toutefois, on a essayé de me forcer à tailler mes dreads. Face à mon refus, je n’ai pas été admise en salle d’examen. Je suis passée devant le comité disciplinaire avec ma mère, et on m’a accusée devant elle de vendre du gandia.

Nous sommes dans un pays démocratique. Ce n’est pas la religion ou l’apparence qui est supposée prévaloir. Chacun devrait avoir le droit de s’exprimer comme il veut”

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