Faune marine : les cachalots, un trésor à préserver au large des côtes mauriciennes

Vendredi dernier, la Marine Megafauna Conservation Organisation (MMCO) a annoncé, sur les réseaux sociaux, la présence de deux nouveaux arrivants aux larges des côtes mauriciennes, deux bébés cachalots nés de mères différentes qu’Hugues Vitry, le président de l’ONG, que l’équipe de chercheurs et spécialistes de grands mammifères marins connaît bien. Depuis une quinzaine d’années, ils observent et mènent des recherches sur la population locale des « sperm whales », malheureusement en déclin.

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Deux petits cachalots ont récemment vu le jour. Les deux mamans se prénomment Zoé (qui a donné naissance pour la première fois cette année) et Delphine. Un événement exceptionnel pour l’équipe de la MMCO qui fait le monitoring de la population présente principalement sur la côte Ouest (du Nord au Sud) et qui évolue à une profondeur variant entre 500 à 4,000m. « L’île Maurice est l’un des rares endroits au monde où les cachalots vivent en permanence si près des côtes. Chaque naissance est un événement important, car notre population est très petite et vulnérable. L’ONG MMСO mène des recherches à long terme sur la population de cachalots à Maurice, et nous cataloguons et nommons chaque cachalot que nous rencontrons. Le premier bébé a été baptisé Vaco, en l’honneur du célèbre artiste mauricien Vaco Baissac, dont l’art reflétait l’esprit même de l’île Maurice. Le deuxième bébé a été baptisé Preety, en l’honneur de Preety Saachi, une femme dévouée au grand cœur, reconnue comme la personnalité féminine de l’année 2023 à Maurice pour ses actions caritatives, bénévoles et humanitaires », dit Hugues Vitry.

Un événement maritime qui rappelle que cette espèce vulnérable, pas autant connue que les baleines ou dauphins, est pourtant bien présente dans nos eaux territoriales. « Le cachalot est l’une des espèces de cétacés qui a le plus souffert de la chasse à la baleine. Aujourd’hui encore, plusieurs décennies après l’interdiction mondiale, la population mondiale n’a même pas atteint la moitié de sa taille d’avant la chasse à la baleine. On compte aujourd’hui environ 700,000 cachalots sur l’ensemble de la planète. Vous imaginez bien que ce n’est pas beaucoup ! Dans notre petite île Maurice, la population humaine est presque deux fois plus importante. Quant aux cachalots de Maurice, on ne compte que quelques dizaines d’individus. Chaque individu est, donc, d’une importance capitale », déclare l’explorateur de l’océan.

Population en déclin à Maurice
Si la population de ces cétacés semble être en augmentation dans le monde, à Maurice, en revanche, elle serait en déclin depuis ces dernières années. Parmi les raisons, ces espèces sont parfois touchées par les échouages et autres activités humaines. Hugues Vitry nous explique : « Les scientifiques pensent que la population mondiale de cachalots est en croissance, bien que très lente (environ 1% par an). Il est à craindre que cette dynamique positive soit le fait de zones éloignées et difficiles d’accès pour l’homme. Dans le même temps, les populations résidentes de cachalots vivant au large d’îles océaniques proches de l’homme affichent une tendance au déclin. Il semble que ce soit ce à quoi nous sommes confrontés ici à Maurice. La MMCO assure le suivi des cachalots à Maurice depuis près d’une décennie et demie, et nous avons commencé à enregistrer un declin dans l’histoire de nos observations depuis ces 3-4 dernières années. Il peut y avoir plusieurs raisons à cela, mais elles sont toutes liées à l’activité humaine. Il n’est pas rare que les cachalots meurent à la suite de collisions avec des navires, après avoir ingéré du plastique. La fatigue peut également être une cause indirecte de mortalité accrue : si les animaux ne se reposent pas suffisamment, ils ne peuvent pas nourrir correctement leurs bébés, chasser et se défendre efficacement contre les prédateurs. À tout cela, s’ajoute la pression humaine sur les prédateurs eux-mêmes. Les orques, les globicéphales et les requins sont connus pour attaquer les cachalots, en particulier leurs jeunes. Mais il s’agit plutôt d’une proie opportuniste. Cependant, le déclin des stocks de poissons, nourriture principale des prédateurs, que nous observons partout, oblige ces derniers à utiliser toutes les proies disponibles. Cela peut également affecter la dynamique des populations de cachalots. Nous suivons tous les individus de notre population locale et avons vu plusieurs jeunes disparaître au cours des deux dernières années. »

« Les règles ouvertement ignorées »
Pour rappel, les cachalots figurent sur la liste rouge des espèces menacées de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) dans la catégorie « vulnérable ». Ce qui signifie qu’ils doivent être protégés. Pourtant, certains pays ne respectent pas les règles. « L’océan Indien a été déclaré sanctuaire pour les baleines en 1979 par la Commission Balenière Internationale. Outre les accords internationaux, chaque pays met en place ses propres mesures réglementaires de protection : aires marines protégées, règles d’observation des baleines pour les touristes et les opérateurs. Cependant, la pratique montre que la protection est plus efficace lorsque les autorités et la population locale comprennent la valeur de l’actif et souhaitent le préserver. À Maurice, il existe depuis 2012 une réglementation pour l’observation des baleines et des dauphins. Mais non seulement ces règles ne sont pas respectées par les opérateurs et les touristes, mais elles sont ouvertement ignorées. Nager avec les baleines est interdit à Maurice, mais beaucoup de gens le font et l’activité est ouvertement annoncée sur le web. En outre, cette activité présente un risque pour la vie. Malheureusement, jusqu’à présent, les gens recherchent des profits immédiats, sans penser au lendemain », déplore Hugues Vitry.

Si l’ONG MMCO a été créée, c’est pour mieux protéger et sensibiliser au respect de cette mégafaune marine de Maurice, c’est-à-dire les baleines et autres mammifères marins, les tortues de mer et les requins. « Notre travail repose sur trois piliers : la recherche scientifique, la défense des grands animaux marins auprès des décideurs, et l’éducation et la sensibilisation des communautés locales et des visiteurs de l’île. Nous pensons que ces trois domaines sont d’égale importance. Notre travail est reconnu et soutenu par des institutions nationales et internationales telles que MRIC, GEF SGP UNDP, l’Union Européenne, MOL Charitable Trust et d’autres.

Tout notre travail est une contribution à la science et à la conservation du patrimoine naturel de Maurice. Au fil des ans, avec différents partenaires, nous avons très bien étudié notre population locale de cachalots : un catalogue de plus de 200 individus a été créé, les itinéraires de déplacement ont été étudiés et les habitats critiques ont été identifiés, l’évaluation de la population. Il s’agit d’un travail titanesque de plusieurs années, dont les résultats nous permettent aujourd’hui de comprendre ce qui arrive à la population et d’élaborer des recommandations sur les lieux exacts et les mesures à prendre pour la protéger « , raconte Hugues Vitry.

Durcissement de la Fisheries Act
Selon lui, la nécessité de protéger les cachalots est reconnue par les autorités mauriciennes. « Par exemple, sur la base de nos données sur les mouvements des grands cétacés, les autorités ont établi des zones à éviter pour les navires de plus de 150 tonnes (dans la mesure du possible). Les autorités travaillent actuellement à la modification de la réglementation relative à l’observation des baleines et des dauphins. L’autre question est celle de l’application de la loi. Nous pensons qu’il faut déployer beaucoup d’efforts dans ce domaine. L’observation des baleines est devenue une activité commerciale importante à Maurice et les réglementations ne suffisent pas. Selon nous, l’étape suivante devrait être l’introduction d’un système efficace de réglementation et de contrôle. En fin de compte, cela sera bénéfique pour tous : nous préserverons les cachalots et Maurice tirera un revenu durable à long terme de l’industrie. Aujourd’hui (ndlr : mercredi), nous avons eu une rencontre avec le ministère de l’Économie bleue, des Ressources marines, de la Pêche et de la Navigation, et nous sommes heureux d’apprendre qu’un durcissement de la loi sera entrepris avec de nouvelles pénalités, et une augmentation des amendes sur le harcèlement des tortues et des mammifères marins », dit-il.

« À deux doigts de perdre ce trésor naturel »
Pour Hugues Vitry, si le harcèlement se poursuit au rythme actuel, nous risquons fort de perdre nos cachalots résidents. « Nous pouvons constater que le comportement des cachalots a changé au cours des deux dernières années. Nous menons des recherches depuis plus de 10 ans et auparavant, lors de nos travaux sur le terrain avec les cachalots, notre bateau était seul en mer. Les cachalots étaient habitués à nous et étaient détendus. Maintenant, nous les voyons éviter les bateaux, plonger dès qu’ils s’approchent un peu plus. Aujourd’hui, plusieurs dizaines de bateaux de tourisme poursuivent les mêmes individus tous les jours de l’aube jusqu’à la tombée de la nuit. Pour être sûr d’arriver sur les cachalots, les bateaux rivalisent entre eux pour jeter leurs touristes à l’eau le plus près possible, ils arrivent à toute vitesse sur ces animaux et il y a eu des cas où des baleineaux ont été gravement blessés par des hélices. Des dizaines de personnes sont dans l’eau, plongeant de tous les côtés, touchant les animaux, séparant les couples mère-petit. C’est un stress colossal ! Les cachalots vivent en familles très unies, et s’ils partent, ils partent tous ensemble. Nous sommes à deux doigts de perdre ce trésor naturel. Outre les réglementations et les contrôles, ce qu’il faut c’est la volonté de nos compatriotes eux-mêmes de préserver notre Mère-Nature. Quelqu’un a dit un jour que ce n’est que lorsque la nature sera complètement détruite que les gens se rendront compte qu’ils ne peuvent pas manger de l’argent. Espérons que nous nous en rendrons compte maintenant, pendant que nous pouvons encore faire quelque chose. »

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