Ferney : le pied marin et la main verte, un groupe de femmes sème l’avenir

Dans ce capharnaüm de béton qu’est devenue Maurice, prix fort payé pour le développement, l’on retrouve encore dans l’île des cocons verts, des bulles d’oxygène qui nous rappellent l’intime connexion qu’a toujours entretenue le Mauricien avec la terre. À Ferney, nous avons rencontré un groupe de cinq femmes, toutes des zanfan lakot du sud. Post-Wakashio, elles ont décidé de quitter la mer pour la terre. Aujourd’hui, Sandy Monrose, Priscilla, Marie-Claire, Sabrina et Geeta s’occupent à elles seules d’une superficie d’un hectare de terre offert par le groupe CIEL, où poussent allègrement des laitues, des arbres fruitiers et autres produits bio dans le vrai sens du terme. Reportage.

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8h. Nous avons profité de ce reportage dans le sud sauvage de l’île pour nous échapper du brouhaha de la capitale, et le dépaysement fut total. En effet, dans cette partie de l’île, la vie semble tourner au ralenti. Avec la montagne d’un côté et la mer de l’autre, les travailleurs de la région, en bottes et casquettes, s’affairent pour nourrir leurs familles. À 8h15, nous voyons débarquer dans le domaine de Ferney une drôle de dame en scooter. Il s’agit de Sandy.

Tout commence en 2020
Figure connue de la région sud, elle est celle qui a tout commencé en 2020. Couturière de profession, elle nous raconte qu’après le Wakashio et pendant le Covid, elle se retrouve sans emploi, comme de nombreuses familles de cette région lourdement affectées par le Wakashio. “J’ai toujours aimé aider les autres, faire du travail social et pendant le confinement, on allait à la rencontre de familles du sud-est pour la distribution de vivres, et c’est en rencontrant ces mères de famille qui ne pouvaient plus compter sur la mer pour nourrir leurs familles que nous est venue l’idée de commencer à planter”, nous confie-t-elle. C’est de là, face à la mer, que l’idée commence à germer.

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Débute alors une folle aventure pour ces drôles de dames du sud. Déterminées, elles commencent à monter le projet de A à Z, pour ne pas dire de la racine aux feuilles. “Avec l’aide de Ginette Anodin, nous avons décidé d’aller voir Ferney qui, en prenant connaissance de notre projet, a décidé de nous rencontrer de suite”, se souvient Sandy, qui a entre-temps enfilé ses bottes et son chapeau d’agricultrice. Après une première rencontre avec Damien de Froberville, l’Operations and Development Manager de Ferney, elles finissent par rencontrer Jean-Marc Rivet, Estate Manager de Ferney, “qui nous a, sans hésitation aucune, attribué un lopin de terre à l’entrée de Ferney… le jour même”, se souvient-elle.

Sandy et son équipe y plantent alors, des haricots, des laitues, des brèdes, des violettes qu’elles ramènent chez elles après chaque récolte. “Notre jardin n’est pas rémunéré. C’est notre cuisine, notre exutoire même. Tous les légumes que nous plantons, nous les utilisons pour notre consommation personnelle.” Ayant bénéficié de formations du Food and Agricultural Research and Extension Institute (FAREI) et du soutien de Bioculture qui leur donne outils, semences et containers, elles finissent par y prendre goût.

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Activités potagères non rémunérées

Après près de deux ans passés sur ce lopin de terre, qui connaît plusieurs inondations entraînant la perte de leurs récoltes, elles sont finalement délogées. En effet, c’est en début de cette année que Jean-Marc Rivet leur annonce la bonne nouvelle. “On était un peu inquiètes, car nous venons toutes travailler à pied et on avait peur qu’on nous alloue un terrain excentré et loin de tout, mais finalement plus de peur que de mal.” Ainsi, depuis le début de l’année, Sandy, Priscilla, Marie-Claire, Sabrina et Geeta se sont installées sur un hectare de terre, dans un cadre des plus idylliques, avec vue sur la montagne Lion. “Nous avons déjà labouré près de la moitié du terrain et avons démarqué plusieurs zones. Dans notre zone fruitière, nous avons des plants de fruits à pain, de limon, d’avocats ou même de litchis. Puis, dans notre zone maraîchère, nous avons des laitues, des bringelles, des lalo, des brèdes… ” Bref, de quoi préparer un bon repas chaque soir en rentrant.
Ainsi, de la mer à la terre, il n’a fallu qu’un pas, et ce pas-là, elles ont décidé de le faire instinctivement. “Lamer ek later se de zafer, me tou dimounn ki travay dan lamer oblize ena enn koneksion avek later ek zot tou oblize ena enn ti kwin later kot zot plant zot legim. Li pa ti difisil pou nou adapte.” De plus, dans ce potager 100% biologique, car aucun produit chimique n’y est utilisé, ces femmes s’épanouissent au contact de l’une et l’autre.

“Ma soeur, qui a un enfant alité, vient travailler dans le potager elle aussi, et cela lui permet de sortir de sa maison, de respirer un peu, de s’évader. Les femmes doivent se parler entre elles. De tels projets ont un effet psychosocial bénéfique sur ces foyers”, dit Sandy, originaire de Cité La Chaux.

Son rêve c’est d’encourager d’autres femmes à les rejoindre dans ce projet. “Il est vrai qu’on n’est pas rémunérées, mais ce sentiment du devoir accompli, de ramener des légumes de son potager pour préparer le repas de sa famille en fin de journée n’a pas d’égal”, confie Sandy. De plus, lors du Ferney Trail qui a réuni plusieurs milliers de participants, l’équipe de Sandy a reçu, à sa grande surprise, un chèque de Rs 200 000 des organisateurs pour leur permettre de développer davantage leur potager, en achetant notamment d’autres outils et appareils de broyage de déchets naturels pour le compostage.

Ainsi, au bout d’un peu plus d’une heure à découvrir l’univers de ces agricultrices passionnées, nous décidons de quitter le cadre enchanteur du domaine de Ferney, où tous les jours ces cinq femmes, après avoir travaillé à la sueur de leur front, rentrent chez elle le soir le panier rempli de légumes frais, après avoir semé, sans le savoir, les graines de l’avenir de l’agriculture…

Ferney, exemple de développement durable

Ferney, une région qui se développe à vitesse grand… vert. Depuis peu, le groupe CIEL fait la part belle à un aménagement et à des activités en phase avec le respect de l’environnement, l’adoption de techniques innovantes et « vertes » pour l’agriculture et le bâti, ainsi que l’intégration et l’empowerment des citoyens des villages de la région dans le nouveau mode de vie.

Développée selon le concept d’agrihood (associant les mots agriculture et neighbourhood), dans le contexte tropical du sud-est de l’île, cette vision permettra de régénérer des terres actuellement sous canne ou abandonnées, tout en respectant l’équilibre naturel. Un premier projet en lien avec ce concept de tropical agrihood a été lancé en janvier 2023 : Farm Living, qui marie demeures bioclimatiques au cœur de la nature et agriculture agroécologique. Chaque maison bioclimatique sera entourée de cultures où pousseront une grande variété de fruits et légumes. L’objectif est de promouvoir l’agriculture agroécologique, tout en offrant aux résidents un cadre de vie hors du commun. Les maisons seront entièrement autonomes en énergie grâce à des systèmes photovoltaïques et leur design bioclimatique permettra entre autres une ventilation naturelle, la récupération d’eau de pluie et le recyclage des eaux grises pour l’irrigation des champs autour.

Le Ferney Agri-Hub, en activité depuis 2020, est une autre initiative de CIEL pour le développement d’une agriculture innovante et durable à Ferney, avec l’objectif de contribuer à mener Maurice vers une meilleure résilience alimentaire. Cet Agri-Hub accueille une quinzaine d’agri-entrepreneurs mauriciens et étrangers engagés dans l’agriculture durable au sein d’un écosystème favorisant leur succès.

D comme débrouille

En plus des formations obtenues du FAREI ou encore de Vélo vert pour pratiquer une agriculture raisonnée et respectueuse du cycle naturel du site, ces drôles de petites dames sont aussi de vraies débrouillardes, des “traser” comme l’on dit. Pendant notre visite, en regardant de près les plants mis en terre, nous sommes tombés sur une étonnante découverte : de vieux CD pour faire fuir les oiseaux ! “On a cherché sur YouTube pour comment faire fuir les oiseaux qui viennent piquer nos légumes, et on a découvert cette astuce pratique et pas chère”, confie Sandy Monrose. Autre astuce ingénieuse et, admettons-le esthétique, des draps multicolores utilisés comme barrages “pour empêcher les lièvres de manger nos jeunes pousses !” Idem pour les escargots, friandes de laitues et brèdes. “Nous fabriquons des pièges avec des tas de bambou. Le soir, quand ils sortent pour manger, ils s’y retrouvent piégés et le lendemain, nous n’avons qu’à récupérer les pièges et les escargots piégés.”

Priscilla, femme aux talents multiples

Occupée à arroser ses plantes, Priscilla, elle aussi originaire de Cité La Chaux, nous confie que travailler la terre lui a permis de sortir de sa maison et “de contribuer à la cuisine.” Grand-mère de deux petits-enfants, Priscilla est une femme qui ne peut pas tenir en place. Timide, au début, elle finit par s’ouvrir au fil des mots. « J’ai une fille qui ira poursuivre ses études universitaires et aujourd’hui je peux fièrement ramener les fruits de mon dur labeur à la maison. Avant je restais chez moi à ne rien faire de mes journées, mais aujourd’hui en plus de travailler dans le potager, je fais aussi du crochet sur commande et je prends des commandes d’achards”, confie-t-elle. Priscilla, nous explique par ailleurs que si les cours de formation en agriculture étaient au début difficiles, elle s’est vite adaptée. « Mes parents étaient des agriculteurs, des planteurs d’oignons. J’avais donc quelques notions d’agriculture, mais avec ce que je sais et ce que je viens d’apprendre, j’arrive à avancer plus vite », conclut-elle.

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