Histoire et patrimoine : La Citadelle,la belle Adélaïde s’est tue

l Arrmaan Shamachurn (SOS Patrimoine en Péril) : « Le patrimoine mauricien comme élément unificateur »

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Citadelle. Forteresse qui commandait une ville — définit le dictionnaire. La Citadelle port-louisienne, Fort Adélaïde, fut elle aussi, jadis, le point culminant de la capitale, aussi bien au sens figuré que littéral. Symbole de guerre au départ, elle est devenue plus tard un haut lieu d’histoire et de culture, et a accueilli au fil des ans de nombreux artistes, dont Cassiya, Shaan, Atif Aslam, Yannick Noah, Kaoma ou Jean-Jacques Goldman. La semaine dernière, assiégée, l’ancienne forteresse a connu une tout autre trame… Week-End revient sur l’histoire de la belle Adélaïde, tant de fois convoitée, mais jamais prise.

La Citadelle n’accueillera plus de spectacles ou de concerts jusqu’à nouvel ordre, sur décision immédiate de la municipalité de Port-Louis, même si les activités culturelles continueront d’y avoir lieu, dit-on. Cependant, hier, lors de la conférence de presse du MSM, le ministre des Arts et de la Culture, Avinash Teeluck, a presque dit le contraire, précisant qu’une étude globale sera d’abord effectuée sur les lieux de concerts et que plusieurs conditions seront étudiées en collaboration avec les artistes locaux. La Citadelle, dit-il, en fait partie. Bref, le sort de Fort Adélaïde semble encore à ce stade incertain.

Cela étant dit, il est bon de rappeler qu’auparavant le site a bel et bien accueilli de nombreux artistes, dont les chanteurs locaux du groupe Cassiya, le concert Boum Mizikal en 1991, le chanteur pakistanais Atif Aslam en 2008 ou encore le mythique chanteur français Jean-Jacques Goldman en 1999, sans oublier les Franco-Brésiliens de Kaoma, le chanteur indien Shaan, entre autres stars. Elle est aussi le lieu privilégié d’artistes locaux qui profitent du cadre pour tourner des vidéos musicales. Pourtant, depuis une dizaine d’années, La Citadelle s’est tue. La Citadelle déchue est devenue l’ombre d’elle-même, accueillant de temps à autre quelques touristes ayant eu vent de l’existence d’une ancienne forteresse dans la capitale. Plantée là au beau milieu d’une capitale de béton, elle a perdu de sa prestance d’antan. Une triste scène pour un lieu aussi chargé historiquement et au potentiel touristique énorme. Du moins, à qui veut l’entendre.

En effet, en 2020, le rapport de l’Audit souligne « un manque d’intérêt » de la part des opérateurs de l’industrie dans le projet de rénovation de La Citadelle. Ce qui fait que les Rs 36,2 millions investies par le ministère du Tourisme dans le bâtiment, pour le transformer en une « iconic place », sont restés sans suite. Quelques années auparavant, soit en 2006, les gestionnaires de La Citadelle parlaient de rénovation, de transformation du fort. Que nenni. Dans nos archives, nous avons retrouvé un article de Philippe La Hausse de La Louvière de l’ONG Friends of The Environment qui soulignait que « Fort Adelaide—the fort of Mauritius—could and should be a bustling centre of activity creating wealth for the country, portrait the cohésion and dynamisme of lits 21st century citizens, and not some static, poorly maintained and poorly visited site, portraying hackneyed messages of servitude and repression. » Près de 20 ans après, il semblerait que cette phrase fut prophétique même s’il faut, néanmoins, souligner que plusieurs ONG, dont justement Friends of the Environment s’occupe, de manière fort honorable, de la revégétation des alentours de La Citadelle, notamment la Petite Montagne.

Pour Arrmaan Shamachurn, de l’association SOS Patrimoine en Péril, « le problème de La Citadelle n’est pas un cas isolé, mais fait partie de l’ensemble des problématiques auxquelles font face nos vestiges historiques depuis plusieurs décennies. » Il souligne ainsi que « lors de l’exercice de consultation prébudgétaire 2023-24, notre association a attiré l’attention du ministère des Finances (MOFEPD) sur plusieurs problématiques qui n’ont visiblement pas été prises en considération par nos décideurs politiques. Mais même en l’absence de mesures budgétaires, nous attendons toujours que le ministère des Arts et du Patrimoine culturel, y compris le ministre de tutelle, entament des consultations et des sessions de travail avec les acteurs du domaine du patrimoine culturel. »

Concernant La Citadelle, il souligne que ce ne sont pas des mesures palliatives qui vont régler la situation.  « On l’a archi dit, ce qui est plus que nécessaire c’est la mise en application d’un plan d’ensemble pour le secteur culturel, dont les bases sont déjà inscrites dans le White Paper, Creative Mauritius — Vision 2025 publié par son ministère depuis 2014.  Dans un premier temps, si la tenue des concerts est un véritable problème en termes de trouble de voisinage, il existe des technologies modernes qui peuvent être considérées », dit-il.

Par ailleurs, « nous trouvons cela incohérent que certains puissent penser que La Citadelle ne doit plus accueillir des manifestations musicales maintenant, alors qu’en 2021, l’UNESCO a décrété Port-Louis comme une Cité créative de la musique suite à une représentation du ministère des Arts et du Patrimoine culturel en collaboration avec la municipalité de Port-Louis. » SOS Patrimoine souligne qu’il faut aussi que le nouveau cadre légal puisse définir « le concept de buffer zone autour des patrimoines nationaux (qui peut être aurait empêché le problème à La Citadelle) et la gestion de ces sites, qui comprend l’octroi des permis pour son utilisation, etc. Mais si le ministère n’est pas intéressé à dialoguer avec les acteurs du domaine, nous resterons sans solution et ce n’est que quand des problèmes vont éclater qu’on va réagir et essayer de se dédouaner en plaidant l’ignorance. 

De plus, l’association regrette « qu’après les initiatives louables de Porlwi By Light et Porlwi by Nature, au lieu d’avoir progressé pour faire de Port-Louis une ville de la culture mauricienne pour la région, nous sommes arrivés à un point où nous sommes encore en train de discuter de l’utilisation de La Citadelle pour la tenue de concerts, et pendant ce temps-là, de nombreux vestiges de notre capitale sont démolis, abandonnés, pillés, maltraités, vandalisés etc. » Il poursuit que « dans un pays qui se dit démocratique où le rule of law existe, l’expression culturelle et l’accès public à nos vestiges historiques doivent prévaloir sur toute autre considération, et nous ne devons pas céder à certains lobbys. Le patrimoine mauricien doit être respecté et valorisé comme élément unificateur et les actes qu’on a vus la semaine dernière doivent être une fois pour toutes chose du passé. »

En effet, il se désole « que le ministère n’a supposément pas le temps pour la consultation (…) et nous le répétons, le Covid n’est pas une raison pour justifier le manque de moyens pour le secteur culturel, mais au contraire, c’était une occasion de revoir tout cela comme plusieurs pays l’ont fait, mais ici nous avons choisi de continuer de plus belle avec nos exagérations et nos absurdités. » Arrmaan Shamachurn s’insurge face à un tel laxisme. « Il reste seulement moins d’une année au ministre pour terminer son mandat, mais à ce jour, il n’a ni commencé les consultations et discussions pour un nouveau cadre légal pour le patrimoine culturel ni n’a pu tenir les Assises du Patrimoine qu’il a lui-même annoncées depuis février 2020. »

Les raisons sont multiples derrière la déchéance de la belle Adélaïde. Gageons que les incidents de la semaine dernière peuvent conjurer le sort de ce fort et que les autorités, quelles qu’elles soient, décident enfin de lui redonner ses lettres de noblesse. À bon entendeur !

Brin d’histoire

La pose de la première pierre de La Citadelle — qui reste un pur produit de l’architecture britannique de l’époque — s’est tenue le 8 décembre 1834, par le Major General William Nicolay et le Gouverneur et Commander-in-Chief de l’île Maurice. 1834, l’année de l’abolition de l’esclavage et de l’arrivée des premiers travailleurs engagés. L’île connaît alors une évolution majeure. Et c’est en 1840 que la construction de La Citadelle, surnommée Fort Adélaïde en honneur à l’épouse de Sa Majesté, est complétée. Dans l’article publié en 2006 dans Week-End, Philippe La Hausse de La Louvière, reprenant l’ouvrage Coastal Fortifications de Dre Marina Carter publié en 1998, souligne que la forteresse est construite dans un double objectif : l’un pour contrer les menaces militaires externes, voire françaises, et l’autre pour asseoir et fortifier le pouvoir en place contre toutes menaces internes. Il aurait aussi été utilisé durant la Deuxième Guerre mondiale. 

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