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Jacques Maunick : “La soul m’a fait vivre”

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Jacques Maunick : “La soul m’a fait vivre”

Jacques Maunick laisse s’exprimer son âme de soul. Balade à travers l’histoire et ses souvenirs pour parler de sa rencontre avec cette musique ou encore avec James Brown, les Temptations, etc. Des anecdotes, des coups de gueule, des moments d’émotion, nous avons difficilement tenté de le garder dans le sujet puisque nous ne savons maintenant que chez lui Lalang péna lézo. Il parle ainsi aussi de son prochain livre. Et surtout de cet événement prévu au Hennessy Park Hotel le 6 octobre où il rendra un vibrant hommage à la culture soul et à Aretha Franklin.

Sans savoir si l’expression figure dans votre livre Lalang péna lézo, mais cette fois Jacques Maunick : Ki finn pas dan ou ?

Ki finn pas dan mwa ? Je vais vous répondre en français parski bann kreol ou pou ekrir la, dimounn pa pou konpran. Mwa, mo pa kapav ek sa ban zafer kot pena aksan aigu la. Je ne crois pas que c’est une grosse révélation que de dire que ma musique préférée est la soul music. Aretha Franklin, la Queen of Soul, est morte. On n’en a pas tenu grand cas à Maurice. Surtout si nous considérons la cérémonie à laquelle elle a eu droit aux États-Unis, qui était comparable aux funérailles d’un président. À la mort de Michael Jackson, j’avais tenu un grand rassemblement au Caudan Waterfront où des milliers de personnes étaient venues. Cela faisait un bout de temps que je souhaitais faire une soirée R’n’B, soul et funk ; mais tout le monde me disait que les gens ne viendraient pas parce qu’ils ne connaissent pas la soul music, et ne sauraient pas danser dessus. Est-ce que ça va marcher ? Je ne sais pas.

Et en dépit de ces conseils, la soirée aura quand même lieu ?

Je me suis servi un peu du prétexte de la mort d’Aretha Franklin pour lui rendre un hommage et pour présenter un répertoire composé de musique soul des années 60 à aujourd’hui. Toute la trajectoire de la soul music, qui est la musique populaire noire américaine. C’est un terme qui a été trouvé par Ray Charles. Quant à James Brown, qui était au départ un shoe-shine boy, un voyou, il est devenu le père de la soul et du funk. La soirée sera intitulée R’n’B, Soul Funk Party pour bien faire ressortir un nombre de choses historiques. Aujourd’hui, on parle beaucoup de R’n’B quand on cite Beyonce, Mary J Blige, Alicia Keys, etc. Avec raison, sauf que le R’n’B est né dans les années 50. La soul a connu son âge d’or dans les années 60 et 70. Le répertoire que je proposerai commencera par Aretha et ira jusqu’à Beyonce en passant par toutes les étapes et les grands noms. James Brown, Otis Redding, Sam and Dave, Wilson Pickett, tout le Tamla Motown. En parlant de Motown : ce fut la première fois où des noirs faisaient un label avec des chanteurs et musiciens noirs à Detroit, alors que la soul music était plutôt de Memphis. Motown, c’est aujourd’hui une légende qui a donné les Jackson Five, Stevie Wonder, Marvin Gaye, etc.…

Pour retenir autant de petits détails, faudrait-il comprendre que vous révisez constamment vos notes sur la soul avant d’aller dormir ?

Pas du tout ! Pour vous répondre je suis obligé de vous raconter un épisode de ma vie. Après ma licence et ma maîtrise en 1969 à la Sorbonne, je suis allé vivre dans une petite chambre qui faisait trois mètres sur quatre avec un lit, un lavabo et une armoire. J’étais un sans-papiers, et je voulais essayer de faire un doctorat sur la soul music. Un jour, un ami m’invita dans un restaurant où le samedi soir une trentaine de personnes se réunissaient dans la cave pour danser. C’était la grande période où James Brown venait de sortir son fameux double album At the Apollo. Un soir, le patron de la boîte me proposa de remplacer le gars qui mettait des disques pour 50 francs par soirée puisqu’il avait vu que je m’intéressais à cette musique. C’était pour moi une fortune. Je l’ai fait pendant quelques semaines. Plus tard, un monsieur m’invita à l’accompagner après le travail. Je l’ai suivi dans le quartier chic jusqu’à La Plantation. Dans la cave il y avait une grande boîte de nuit avec des miroirs partout. Ça passait de la soul music, et il était un des deux propriétaires. Il me proposa de venir y mettre des disques, comme ils recevaient une grande clientèle noire. J’ai répondu oui tout de suite. Dans la journée je donnais trois à quatre heures de cours de langue dans un lycée privé à 8 francs de l’heure. Le gars me proposait le double et j’ai vite calculé ce que les deux faisaient pour améliorer mon quotidien. Donc, tous les soirs je commençai à 22h pour finir à 4h. Je dormais de 5h30 à 7h30 pour aller au lycée. Ça a duré trois ans. Cette boîte de nuit avait une programmation composée à 80% de soul et 20% de musique afro-cubaine. Je passais tous mes après-midi à étudier ces musiques, à m’initier à toute la discographie soul et à traquer toutes les nouveautés soul qui sortaient et qui pouvaient faire danser les gens.

Qu’est-ce qui a aussi touché votre âme dans la soul?

Il faut aussi contextualiser les choses. La période d’or des années 60 correspond au réveil du black consciousness aux États-Unis. Ce n’est pas par hasard s’il y a eu Stax qui faisait de la soul rough and tough, que James Brown chantait Say it loud I am black I am proud. Il y a eu Martin Luther King, son assassinat. Aretha Franklin était un de ses bras droits et a beaucoup fait pour les noirs et surtout les femmes aux États-Unis. Quand elle chante I’m a natural woman, il faut comprendre ce qu’elle dit. Tout cela correspondait à ce qui se faisait en soul music. Dans les années 70, les noirs ont eu plus de liberté, on se dressait les cheveux, on était mieux habillé. Ce n’était plus des artistes comme Aretha Franklin ou Otis Reddings : c’était Diana Ross, les Temptations, Stevie Wonder, Marvin Gaye et les Jackson Five.

Quant à moi, j’ai eu la chance en 70 d’aller voir James Brown en concert à l’Olympia, il était au sommet de sa gloire et ça m’avait énormément marqué. J’ai aussi eu l’occasion de l’interviewer pour RFI. Il avait un revolver posé sur sa table, il avait fait un rail d’une certaine poudre blanche. Il était d’une grande excentricité et d’une folie extraordinaire dans une espèce de robe de chambre écarlate. Quelques mois après j’ai vu les Jackson Five à l’Olympia. J’ai ensuite vu Tina Turner jeune chantant River deep mountain high. Quand je suis allé voir le concert des Temptations, Mike Brant était à quelques sièges plus loin. Ce sont des scènes qui m’ont marqué.

Pour en revenir à la soul

La soul musique devient le funk, musique faite surtout pour danser, avec des groupes tels Earth Wind and Fire. Et beaucoup d’autres plus tard ont repris cela. Parmi, Prince, qui est un prince du funk, Kool and the Gang, Lionel Ritchie, Chaka Khan. Aujourd’hui, pour moi, une des plus grandes c’est Alicia Keys. Il ne faut pas non plus oublier les soul balads : When a man loves a woman par Percy Sledge en 1969, Me and Mrs Jones, etc. Par ailleurs, il y a eu beaucoup de groupes et de chanteurs blancs qui ont fait de la soul : Georges Michaël avec Faith, Amy Winehouse dans Rehab, Rod Steward, David Bowie, les Rolling Stones. Ils ont été reconnaissants vis-à-vis de cette musique qui a influencé beaucoup de personnes.
C’est pourquoi je voulais écrire un doctorat pour dire que chaque facette de la soul music correspond à une évolution et à l’état de la situation des noirs aux États-Unis. Voilà tout l’intérêt que j’ai porté à cette musique, et c’est un intérêt que j’ai toujours. J’ai commencé la thèse, mais vu le peu de moyens que j’avais je ne l’ai jamais terminée. Surtout quand vous dormez deux heures par nuit. Ma santé en avait pris un coup, après neuf ans je suis rentré à Maurice pour me poser un peu. C’est là qu’en 1975 je transforme Jocelyn Perraud en chanteur soul. Nous avions organisé de petites tournées baptisées Soul goes to the people.

Comment cela a-t-il été accueilli à Maurice ?

Elle a été très peu accueillie. Un jour nous avons donné un concert de soul à Chemin Grenier, c’était un peu fou. Quand nous sommes arrivés sur scène, les gens ont crié “kot sega”. J’ai dit qu’aujourd’hui il n’y aurait pas de grandes jupes et de séga, qu’il y aurait de la musique nasion. Ils sont restés tranquilles, et Jocelyn Perraud a commencé par une chanson de Stevie Wonder : Superstition. Ce dernier, qui est aveugle, avait tout fait sur ce disque. Comme Tamla Motown ne voulait plus entendre parler de ces chanteurs qui prenaient leur indépendance pour écrire leurs propres textes, dans sa maison, Stevie Wonder a fait la batterie, les claviers, la composition, la production et il a sorti Superstition qui est devenu un modèle.

Je ne joue pas au connaisseur, à celui qui sait tout. Si vous me parlez du numérique ou de la physique quantique, je vais me taire. Mais là, je vous parle de quelque chose que je connais. Ma sœur Ursulle me dit qu’à 75 ans, je devrais m’asseoir pour écrire ce doctorat sur la soul music. Je lui réponds que cela n’intéressera personne.

Et c’est là que, après Lalang péna Lézo, vous préférez vous asseoir pour écrire Marké gardé qui sortira à la fin de l’année ?

Vous me prenez au piège avec une confidence que je vous ai faite. Quand j’ai écrit Lalang péna Lézo, plusieurs personnes m’avaient découragé sous prétexte que personne n’achèterait un tel livre. Finalement j’ai pris un mois pour compiler ces expressions et j’ai sorti le bouquin. Les libraires m’ont ensuite dit que c’était un best-seller et j’ai dû faire une deuxième édition. Ils m’ont encouragé à faire un deuxième livre parce que les gens venaient en librairie pour réclamer le livre de Jacques Maunick. Je me suis pris au jeu et j’ai décidé de faire un livre totalement différent pour la fin de l’année. Ce ne sera pas une œuvre littéraire ni écrit en des phrases à tiroir comme on en voit dans certains éditoriaux des journaux. Un style simple, direct. Une sorte de pamphlet. Un linguiste m’a fait beaucoup rire en comparant mon livre à un prospectus pour touristes parce que je crois qu’il sait que je ne suis pas d’accord avec certains points de ladite nouvelle graphie qui n’est pas faite pour la masse. Je termine en ce moment un pamphlet avec trois angles. Un chapitre sera dédié aux curiosités spécifiques de Maurice, des choses que l’on ne voit qu’ici sans que l’on ne s’en rende compte.

Par exemple ?

Je ne vais quand même pas tout vous révéler. Mais, savez-vous que le dhol puri n’existe pas en Inde ? Que le bol devire n’existe pas en Chine ? Vous avez un pays où vous sortez de la Jummah Mosque en plein Chinatown, vous marchez vous arrivez à la Cathédrale, plus loin il y a la cathédrale anglicane, ensuite il y a une pagode et des temples. Vous connaissez un autre pays comme ça ? C’est vrai qu’il y a un miracle mauricien. C’est ce que montrera le livre. Il parlera aussi de ce type qui a écrit sur sa porte à Curepipe : “Sonnette en panne priez de crier ding dong très fort.” Aux Salines, quelqu’un a écrit sur son mur : “Ici il ne faut pas faire tiss.” J’en parlerai aussi. La deuxième partie traitera du français parlé à Maurice. Nous nous targuons d’être des francophones. Mais, nous devons nous dire que nous ne parlons pas français à Maurice. C’est normal puisque nous ne sommes pas français. Il faudra que quelques-uns se martèlent cela en tête. Un français dirait pèse le taquet pour allumer le globe ? Je ferai aussi ressortir les anglicismes et les pléonasmes comme lorsque dans les journaux on dit : “C’est avéré vrai.” Je viendrai surtout dire que nous parlons un français mauricien qui n’est pas un français de France parce que nous, nous sommes de Maurice. Le troisième chapitre sera dédié au communalisme et au mauricianisme. Parce que c’est quelque chose qui marque notre vie, notamment notre vie politique. J’y aborderai aussi la question des castes qui existe dans toutes les communautés finalement. Ce sera une sorte de pamphlet qui ne plaira peut-être pas à tout le monde.

Revenons à notre sujet principal ; pendant combien de temps encore garderez-vous la soul attitude ?

La soul m’a fait vivre. J’aurai éternellement une certaine gratitude vis-à-vis de cette musique qui m’a permis de vivre, de manger. Je suis toujours ému quand j’en parle. La chambre de bonne où j’habitais était à quelques pas de la rue St Denis, là où il y a le plus de putes par mètre carré en Europe. Vous savez cela ?

Non, nous ne fréquentons pas ce type d’endroit.

Oui, oui ! Il y en a qui lorsqu’ils vont à Paris ils vont aux Champs Élysée, ils vont voir la Tour Eiffel, ils vont à Notre Dame, à Montmartre. Donc, ils ne fréquentent pas la Rue St Denis. Moi, quand je suis à Paris je fréquente beaucoup les quartiers arabes et noirs aussi, pour avoir les prix les moins chers. Et, si vous, vous préférez acheter les mêmes choses dix fois plus cher sur les Champs Élysée, tant pis pour vous mon cher. Bon ! Pour en revenir à la soul : je n’ai jamais caché que je suis athée, la soul est pour moi un mot sacré. Donc, quand je serai incinéré, j’aurai prévu un CD avec les meilleurs morceaux soul que j’ai aimés et qui ont joué un rôle dans ma vie. Me and Mrs Jones ou encore Ain’t no sunshine. Pendant que je serai incinéré, on jouera ce titre de 1967 I’am a Soooul maaan.


Soul night

Au menu de ce prochain dine & dance, de la soul food ; poulet grillé, saucisses, maïs grillé, grosses glaces américaines, etc. Et pour tout faire passer, un répertoire musical concocté à partir des plus grands tubes soul, funk, R’n’B à travers les âges. Jacques Maunick rendra ainsi hommage à cette culture et à Aretha Franklin le 6 octobre au Hennessy Park Hotel d’Ébène dans la soirée. Les billets sont déjà en vente à Rs 750 sur le 4037200. Sur réservation uniquement.