Marie-Josée Clency : “Continuer de promouvoir notre héritage musical”

À 76 ans, le poids des années semble avoir très peu d’emprise sur Marie-Josée Clency. Pimpante, maquillage soigné, brushing impeccable relevant sa chevelure flamboyante, la légende du séga mauricien brille toujours de mille feux. Elle sera la marraine de The Bigg Show ce samedi 3 octobre au Caudan Arts Centre. Un concert qui réunira sur une même scène un parterre d’artistes de la nouvelle génération à l’instar de Bigg Frankii, Warren Permal, Tey et Marco Rebet. L’occasion pour nous de prendre des nouvelles de la doyenne. Entre rires et larmes, elle replonge dans son passé et présente son actualité. Parcourant ses jours de gloire, ses déceptions mais surtout les combats de son éternel amour et compagnon de scène Roger Clency.

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L’on se souvient encore de votre dernière scène à Maurice pour célébrer vos 60 ans de carrière en 2018. Racontez-nous votre cheminement pendant ces deux ans passés et comment vous avez été amenée à rejoindre ce Bigg Show ?

En 2018, c’était ma dernière grande scène à Maurice. Cependant, je ne me suis jamais arrêtée de chanter. Entre autres prestations ici et là, j’ai fait un grand concert l’année dernière à Paris et une tournée en Australie au début de l’année avec Nancy Dérougère et Caroline Jodun. Comme vous le savez sans doute, avec Roger Clency, nous avions longtemps vécu hors de Maurice. Nous avions aussi fait de nombreuses tournées à travers le monde pour assurer des concerts et promouvoir le séga. J’ai continué à chanter mais tout en pensant à ma retraite. Comme le dit Enrico Macias dans sa chanson : « Je n’ai pas vu mes enfants grandir ». D’un côté, je voulais avoir du temps pour mes enfants, mes petits-enfants et mes arrière petits-enfants. De l’autre, c’était aussi une période de réflexion où je me suis dit que c’était enfin le moment de penser à m’engager dans d’autres projets, artistiquement parlant. Le projet de Warren Permal est tombé à point. De passage en France l’année dernière, le jeune homme m’a fait part de son idée de concert. À mon retour à Maurice, il m’a proposée d’être la marraine de The Bigg Show. Une offre que j’ai accepté avec plaisir !

Nous retrouverons donc deux générations sur scène. Avec quel sentiment abordez-vous ce nouveau projet artistique?

C’est un pur bonheur de travailler avec ces jeunes. Nous avons beau être de deux générations différentes, toujours est-il qu’il y a une confiance et un respect mutuels entre nous. Ce sont de beaux artistes. J’essaie de les encadrer avec mon expérience et ma sagesse. Je les écoute et leur donne des conseils. Je me souviens que Roger et moi avions souvent pris sous nos ailes des jeunes sur nos divers projets musicaux dans le passé, pour qu’ils apprennent le métier sur le tas et qu’ils fassent leur apprentissage sur la scène comme dans les coulisses. Personnellement, quand j’ai débuté, je n’ai eu que Roger comme mentor. D’ailleurs, il n’y avait pas beaucoup de femmes qui chantaient du séga et qui osaient se lancer dans ce métier. Elles étaient souvent rejetées par la société et leurs familles. La mienne souhaitait que je devienne infirmière ou monitrice après ma Form 5 au Collège Bhujoarry. J’étais très timide…

…Il fut un temps!

(Rires) Effectivement, ce sont les bons mots. Il fut un temps où j’étais très timide et c’est la scène qui a vaincu ma timidité. Pour revenir à ma famille, j’ai pu gagner sa confiance à travers mes actions et mes réalisations dans le milieu musical.

Comment résumer  cette carrière qui est indissociable de celle de Roger Clency ?

Excitante et remplie de rebondissements  ! Nous avons souvent reculé pour mieux rebondir avec succès. Noua avons à notre actif, plus d’une centaine de réalisations, en termes de 45 tours, 78 tours, cassettes et album CD. Parmi nos chansons les plus populaires Valse Kreol, Bal Rann Zariko, Repran mo mari, Anglais rann mo mari, Vann Sa May La, Gidi gidi, entre autres. Ce sont des chansons plébiscitées partout et que l’on me demande de chanter encore aujourd’hui à chacune de mes prestations. Ces chansons ont passé l’épreuve du temps. Quand il écrivait, Roger mettait tout son cœur et son âme sur papier. C’était un très bon parolier et il avait une histoire à raconter. Il a toujours affirmé, comme en témoignent certaines coupures de presse, “qu’un sega se devait d’avoir un début et une fin et non être une suite de paroles et d’expressions sans rime ni raison”.

Quel regard jetez-vous sur notre séga aujourd’hui ?

Je dirais plutôt aux jeunes qu’il faut composer une chanson qui a une histoire du début à la fin. Le séga doit être dansé et écouté. Quand un jeune reprend un séga lontan, il a du succès, car c’est une histoire dans laquelle les gens se retrouvent. Ainsi, il ne faut pas chanter pour chanter, mais vivre ce que nous sommes en train de dire. Il faut souligner que Roger a toujours été au front pour promouvoir notre séga par delà des frontières. Son ambition était de faire de notre séga une musique de variété comme c’est le cas pour le reggae ou le zouk. Dans les années 80, Roger disait déjà aux musiciens ce qu’ils devaient faire en terme de musique, qu’il fallait une base technique à notre séga, un rythme propre a lui. Mais personne n’a écouté. Il a souvent été découragé, car, au lieu d’avoir sa propre identité, le sega se perdait au profit de l’instrumental et du commercial. Il voulait que la musique mauricienne se professionnalise. Il n’a jamais lâché son combat même s’il est mort avec un grand regret. Je continue le combat pour lui.

Comment est-ce que vous continuez son combat?

En trouvant la force de continuer à chanter. Je continue de promouvoir notre héritage musical à Maurice et ailleurs. Après son décès en 2016, ce sont mes enfants qui m’ont donnée le courage de continuer. À chaque fois que je monte sur scène, je sens qu’il me donne du courage. Lors de mon concert à Paris l’année dernière, j’ai tenu la scène toute seule pendant deux heures, et je sais que c’est lui qui m’a donnée la vivacité de le faire à 75 ans. Même si ce n’est pas gagné d’avance, je continuerais son combat. En espérant qu’un beau jour, peut-être lors de mes 70 ans carrière, que le séga soit reconnu internationalement.

L’émotion est palpable dans votre voix.

Quatre ans après, c’est toujours aussi dur. Je n’arrive pas à faire mon deuil et je ne le pourrais jamais, je crois. Il a était mon âme sœur depuis notre adolescence. J’avais 13 ans et il avait 15 ans quand nous avons commencé notre carrière. On ne s’est jamais quittés. Nous avons eu quatre enfants, trois garçons et une fille. Nous avons aujourd’hui 11 petits-enfants et trois arrières-petits-enfants. En 2009, prémonition ou intuition, il a tenu à fêter ses 57 ans de carrière et nous l’avons fait à travers le concert Nostalgie au J&J Auditorium. À la fin du show, il avait donné rendez-vous à ses fans pour dans trois ans pour ses 60 ans de carrière. Pour ma part, j’ai fêté mes 60 ans de carrière, mais seule. Je ne laisse rien transparaître de mes sentiments. Je suis obligée de me tenir en forme, car c’est le métier qui le demande. La scène vous demande énormément de choses. Peu importe nos douleurs, notre tristesse, nous ne pouvons pas nous permettre de montrer une image négative.

À quoi devons-nous nous attendre lors du concert au Caudan Arts Centre ?
Plusieurs chansons populaires de mon répertoire comme Repran mo mari angle, Vann sa may la. Je vais reprendre le morceau folklorique Tangalay pour terminer par Olé Olé de Roger Clency. D’ailleurs, je ferais un duo avec Bigg Frankii qui remplacera Roger sur Gidi Gidi. The Bigg Show, c’est amener les jeunes artistes sur de grandes scènes. Et nous promettons au public de grosses surprises.

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