Pourquoi a-t-on plus envie de faire pipi quand il fait froid ?

L’hiver n’affecte pas que notre moral et nos extrémités : il semble aussi jouer un rôle bien réel dans notre envie pressante d’uriner. Beaucoup l’ont remarqué : les allers-retours aux toilettes sont souvent plus fréquents quand les températures chutent. Si cela peut sembler être une simple impression ou un biais de saison, les scientifiques sont formels : le phénomène est physiologiquement fondé. Et il porte même un nom : la diurèse liée au froid.
Entre vasoconstriction, réflexes physiologiques et équilibre thermique, la science nous éclaire sur ce phénomène hivernal aussi courant qu’étonnant.

L’envie d’uriner plus fréquente en hiver n’est pas une simple illusion d’optique physiologique. Elle a une origine bien réelle, documentée depuis plus d’un siècle. Dès 1918, le médecin autrichien Alfred Adler a remarqué qu’en introduisant de l’eau froide dans une vessie, celle-ci se contractait de façon inhabituelle. Un phénomène qui a depuis été confirmé par plusieurs études chez l’animal comme chez l’humain.

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Cette sensation, aujourd’hui connue sous le nom de diurèse induite par le froid, repose sur des réactions corporelles bien identifiées : vasoconstriction, suractivité rénale, contraction musculaire involontaire. En résumé, quand il fait froid, c’est tout notre système urinaire qui entre en action.

Vasoconstriction : le corps serre les rangs

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Quand la température extérieure baisse, le corps cherche à conserver sa chaleur. Pour cela, il opère un mécanisme de survie fondamental : la vasoconstriction. Concrètement, les vaisseaux sanguins situés dans les zones périphériques — doigts, orteils, nez, oreilles — se contractent pour limiter les pertes de chaleur.

Ce que la science dit d’un réflexe hivernal… pas si anodin

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Ce sang est alors redirigé vers les organes vitaux, dont les reins. Résultat : ces derniers reçoivent davantage de sang, et doivent donc le filtrer plus rapidement. La conséquence directe ? Une augmentation de la production d’urine.

C’est une réaction physiologique aussi logique qu’efficace : le corps évacue le surplus de liquide pour éviter que la pression artérielle, naturellement augmentée par la vasoconstriction, ne monte trop haut. C’est l’une des premières explications du lien entre froid et envie de faire pipi.

Les reins : en mode “haute filtration”

Les reins sont les véritables chefs d’orchestre de cette réaction. Ils filtrent quotidiennement près de 180 litres de sang pour produire environ 1 à 2 litres d’urine. Mais quand ils reçoivent un afflux sanguin accru — comme c’est le cas en hiver — leur activité s’intensifie. Plus de sang à filtrer = plus d’urine à produire.

Par ailleurs, le froid stimule aussi légèrement le rythme cardiaque (de l’ordre de 5 à 10 battements supplémentaires par minute), ce qui contribue à accroître le débit sanguin vers les reins. Résultat : le volume d’urine augmente, même si l’on ne boit pas plus qu’à l’accoutumée.

La vessie aussi est sensible au froid

Autre organe impliqué dans ce mécanisme : la vessie. Ce réservoir musculaire, qui peut contenir entre 300 et 600 ml d’urine, est tapissé de récepteurs sensibles à la température. Sous l’effet du froid, ces récepteurs thermosensibles situés dans l’urètre et les parois vésicales se déclenchent. Le détrusor, le muscle qui entoure la vessie, se contracte alors involontairement. Cette contraction augmente la pression interne, donnant une envie soudaine d’uriner, même si la vessie n’est pas encore totalement pleine.

Des travaux comme ceux de Bors et Blinn (1957) ou McDonald et Murphy (1959) ont confirmé cette réactivité thermique de la vessie, rendant ce phénomène bien plus qu’un simple réflexe.

Moins on transpire, plus on urine

En été, une grande partie de l’eau que nous absorbons est évacuée par la sueur, ce qui allège le travail des reins. Mais en hiver, la transpiration diminue considérablement. Résultat : le corps doit éliminer cet excédent hydrique autrement. Et c’est le système urinaire qui prend le relais. Moins de pertes par la peau = plus d’évacuation par les urines. Ce rééquilibrage naturel contribue à la fréquence accrue des mictions par temps froid.

Une question de rythme de vie aussi

Le mode de vie hivernal influence également cette dynamique. En été, nous sommes plus actifs, en mouvement, souvent à l’extérieur. Nous transpirons davantage, buvons plus et éliminons une partie de l’eau ingérée sans passer par les reins. En hiver, à l’inverse, nous restons souvent plus sédentaires, emmitouflés, et transpirons moins. Nous avons aussi tendance à moins boire, sans pour autant réduire significativement notre apport hydrique alimentaire. La conséquence ? Une plus grande part de liquide à éliminer par les voies urinaires.

Les chercheurs de l’Université Bond, en Australie, ont confirmé ce lien dans The Conversation, expliquant que « l’hiver entraîne une baisse d’activité, une moindre sudation et donc une augmentation relative de l’élimination urinaire. »

Faut-il s’inquiéter ?

Dans la majorité des cas, cette envie fréquente d’uriner en hiver est parfaitement normale et sans conséquence. On parle alors de pollakiurie transitoire, un phénomène bénin qui disparaît avec la remontée des températures. Toutefois, certains signes doivent alerter : frissons anormaux, douleurs, fièvre, incontinence ou difficultés à uriner. Une diurèse excessive peut accompagner une hypothermie débutante, notamment chez les personnes âgées ou les enfants.

Autres facteurs possibles : une infection urinaire, un trouble de la prostate ou encore une hyperactivité vésicale. Si les envies sont nocturnes, on parle alors de nycturie — un phénomène courant mais parfois révélateur d’un trouble de santé. Mais elle ne relève pas du phénomène de diurèse froide. Elle est généralement liée à l’âge, l’alimentation (alcool, café, tisanes du soir), la prise de certains médicaments, ou des pathologies spécifiques (hypertension, apnée du sommeil, troubles prostatiques, infections urinaires, diabète…). Une consultation s’impose si le phénomène devient régulier.  De même, une miction fréquente accompagnée de douleurs, de brûlures ou de sang dans les urines nécessite une consultation médicale sans délai.

Froid, eau et réflexes conditionnés

Fait amusant : l’eau, même en dehors des températures froides, peut elle aussi déclencher une envie d’uriner. Le bruit de l’eau qui coule — douche, robinet, cascade — est souvent suffisant pour activer un réflexe conditionné proche du célèbre réflexe pavlovien.

Ce phénomène s’explique en partie par notre mémoire corporelle : l’association répétée entre le bruit de l’eau et la miction finit par créer une réponse réflexe du système nerveux autonome. Et cette réponse peut s’ajouter à celle induite par le froid… doublant l’effet.

En résumé : une réaction naturelle, un message du corps

Parce que notre corps, confronté à des températures plus basses, active une série de mécanismes pour se maintenir à température constante : vasoconstriction, afflux sanguin rénal, contraction vésicale… Tout cela concourt à une augmentation de la production d’urine, même en l’absence de surconsommation de liquide.

En réalité, cette envie d’uriner plus souvent par temps froid est un formidable indicateur. Elle révèle à quel point notre corps est finement calibré pour s’adapter à l’environnement. Chaque miction un peu trop fréquente, chaque frisson au creux de l’hiver est une micro-réponse de survie, discrète mais précise.

Alors, la prochaine fois que le froid vous pousse aux toilettes, souvenez-vous : ce n’est pas une contrainte. C’est le signe que votre organisme fait ce qu’il faut, au bon moment.

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