TCHEK TO LIFE A 20 ANS  : De Jean Clario à Blakkayo

Il y a 20 ans Scope présentait Tchek to life le tout premier album solo du jeune artiste qui se dévoilait sous le surnom Blakkayo. Le succès fut immédiat, plusieurs des titres s’avérant intemporels et profonds. Jean Clario Gateau entrait dans la cour des grands. Mais avant d’entrer en studio, il lui a fallu apprendre à couper pommes d’amour et oignons, comme il le raconte ici. Deux autres albums solos suivirent : Exterminator et Love n Respect. En ce moment il prépare Soz Serye. En marge de la sortie de ce 4e album solo, il nous relate cette épopée musicale et humaine fantastique où il est passé de Yo à Blakkayo.

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A Pointe d’Azur, Pereybère, “kot mo bann solda” , Blakkayo se la coule douce. Attablé dans la cour, dreads au vent, le chanteur de 41 ans se délecte de bons sons provenant d’un haut-parleur portatif. T-shirt vert, short jeans bleu et savates, celui que beaucoup surnomment toujours Yo profite de la vue paradisiaque renforcée par le bleu azur de la baie. Dès que nous abordons Tchek to life, son tout premier album solo, le sourire illumine son visage. Avec cet album sorti en 2000, Blakkayo confirmait ce talent qu’il avait montré précédemment sur des projets où il avait été sollicité. En effet, 4 ans auparavant, il était un des chanteurs de l’album rap du groupe X-Rated avant de poser sa voix sur le premier album solo de Bruno Raya, Live ‘n’ Direk. Après cette expérience aux côtés de Master Kool B, où il avait montré qu’il avait un style propre lui, une voix naturellement prenante et une certaine vibration, “Blakkayo était attendu”, écrivait Scope à l’époque.

Tchek to life.

Tchek to life, produit par Méli Mélo Production, confirmait son talent. Huit morceaux, fusion entre le ragga, le seggae et le reggae le propulsèrent au sommet. Le morceau Tchek to life, porte drapeau de l’album, révélait une qualité d’écriture innée portée par une mélodie entrainante. Avec To bam bam, Freestyle, Ma dir mwa, Camouade dan Ghetto ou encore Enn bon music, tous les ingrédients étaient réunis pour Met la Faya. “À cette époque, il y avait une grande colère en moi. Cette colère, tous les ‘zanfan koltar’ l’avait en eux. J’étais en colère contre la vie, d’être né au bas de l’échelle, d’être un opprimé. Nous nous comparions même aux personnages de films américains noirs. S’il m’arrivait quelque chose, je le couchais sur papier. Peut-être pas exactement comme cela s’était passé. Mo ti azout enn bann agram bagram ladan, fer bann rim.”

Le natif de Bois d’Oiseau ne s’attendait pas à ce succès fulgurant. “J’ai vu quelque chose exploser à ma grande surprise. Où que j’allais, j’entendais crier mon nom. J’ai eu des tremblements, j’avais peur de moi-même. À l’Executive club, les gens se jettaient sur moi alors que je passai devant eux pour y entrer. Ils me secouaient, m’acclamaient ! La sécurité avait dû intervenir. Heureusement, j’avais Bruno Raya et toute l’équipe qui m’ont canalisé. Cet album était comme celui d’OSB, c’était notre équipe. Je n’étais pas seul. L’album m’a permis de voyager, d’aller en tourner. Ce que je vivais semblait irréel.”
Il confie que c’était pourtant un album conçu sans grande prétention. “J’avais envie de m’écouter constamment, j’étais le premier de mes fans. Rien que de sortir l’album était pour moi extraordinaire. Deux ventes uniquement m’aurait déjà comblé.” À cette époque, il était maçon. Après le fulgurant succès de Tchek to life, il se lance pleinement dans la musique, délaissant ses outils pour une autre vie.

Discipliné par Georges Corette.

Pour faire cet l’album, Blakkayo s’était associé à feu Georges Corette, percussionniste et arrangeur musical de renom. Une collaboration directe qui changea la donne, et son destin. “Georges Corette m’a enseigné bien des choses, paix à son âme. Mais ce n’était pas facile au début de travailler avec lui. Gagn kout rotin ar parol.” Son retard dès le premier jour de travail au studio Scorpio à Bambous lui valut d’être renvoyé à maison illico presto. George Corette ordonna au manager, Shy Lutchmunsing, de fermer le studio. “‘Quand tu viendras tôt, on pourra travailler’ m’avait-il dit. Dès le lendemain, j’arrivais bien avant l’heure prévue. A cette époque, pour concevoir l’album, j’étais allé vivre chez lui à Goodlands. Il m’avait dit qu’avant d’apprendre à chanter, je devais apprendre à couper des oignons et des pommes d’amour et savoir faire la vaisselle.” Il passa une semaine mettant le linge à sécher et balayant la cour et en faisant d’autres tâches ménagères. Ce n’est que la semaine suivante fut autorisé à faire de la musique. La première leçon reçue du Kolonel fut la discipline.

Quant aux textes écrits par Blakkayo pour cette première aventure solo, ils furent enjolivés par les frères Raya, Bruno et Kenny. “Ils les faisaient devenir plus forts et moins violents. Mo ti in pe pli kri. C’était un peu en désordre. Dieu m’a fait rencontrer les gens qu’il fallait.” Le tout a révélé à l’industrie un talent qui ne demandait qu’à exploser.

Scope qui le suivait dès son apparition sur l’album X-Rated écrivait à l’époque: “Tchek to life, né dans un état d’esprit marqué par les flammes de 1999 cherchait à étouffer les braises subsistant sous les cendres. Certainement pas par le silence, mais en criant tout haut ce que de nombreux autres chuchotaient tout bas. Contre l’abus d’autorité et l’injustice, les coups de gueule s’enchaînent tandis que Yo amène aussi ses pairs à réfléchir sur leurs agissements et le non-sens de leur existence entre drogue dure, prostitution, non-respect des valeurs, déchéance et décadence volontaire. Sans qu’il ne cherche à s’attribuer le rôle de vedette ou de symbole, davantage dans un esprit de devoir, dans la simplicité, la voix de “l’homme qu’on appelle Blakkayo”, devient celle des sans voix, son cri, celui d’une génération et d’une société.”

Xterminator.

Trois ans après Tchek to life, il fut de retour avec Xterminator, toujours accompagné de Georges Corette. Une réaction d’orgueil face aux critiques de certaines personnes à son égard. “Les gens disaient que je ne pourrais pas faire d’autres albums comme Tchek to life. J’étais plus mature, mais j’avais toujours cette rage. Elle était dirigée contre ceux qui ne croyaient pas en moi.” Xterminator, c’était un mot qu’il plaçait souvent dans ses improvisations lorsqu’il était adolescent. “Mwa mwenn xterminator, kan mo vini mo xterminn tou negativite”, dit-il à la vitesse du vent, comme sur le morceau, démontrant qu’il n’a rien perdu de ce talent-là. Avec ce morceau et cet album : “mo inn fer zot aret riy mwa.” L’album connait un franc succès. “C’était l’album de la confirmation, pour montrer que Tchek to life n’était pas ‘enn kout flouk. Mo montre ki mwena dan mwa. Boulversman leve ankor dan Moris.” D’ailleurs, le morceau Laparans, fut sacré disque de l’année sur Radio Plus. En 2003, dans les colonnes de Scope qui lui consacrait une couverture on pouvait lire : “S’il parle une fois de plus de la rue, c’est parce que plus que jamais il s’identifie à ce monde. S’il décrit la misère c’est pour apporter de l’espoir à ceux qui survivent et surtout en souvenir de son enfance. “Mo inn grandi dans pauvreté et mo inn conn so souffrance. Mon père était maçon et ma mère travaillait chez des gens. Malgré les difficultés auxquelles ils avaient à faire face, à travers de gros sacrifices, ils ont veillé à ce que leurs enfants apprennent à lire et qu’ils soient en mesure de comprendre. Aujourd’hui, non plus, je ne peux prétendre être sorti de la pauvreté bien que les choses aient évolué.”

Love N Respect.

Six ans après, Orizinal Blakkayo comes again avec l’album Love N Respect. Dans Scope il était précisé : “Lentement le rideau se lève sur une ambiance plus tempérée. Dans ce nouveau tableau, le rouge dit davantage l’amour que la colère, le noir de la révolte a pris des teintes blanc-espoir et l’album s’entoure d’une aura rouge-jaune-vert roots. Les échos du dancehall se sont tus, nous voilà en face d’un beau et riche reggae porteur d’un message d’espoir, d’amour et de respect. Les coups de gueule et la tchate-baston ont été rengainés. C’est sur ce ton que se raconte le tome 3 de Blakkayo. Autant aussi le dire que cet album est bon, voire excellent.”

Là encore, il surprend son monde avec des tubes tels que Ti man, Confians, Monn refuz sa (Mo pa pou suiv) et Rev penitensier entre autres. George Corette étant pris par d’autres projets, Blakkayo s’entoure d’Elvis Heroseau, Richard Hein et Josue Serenity. Sur cet album, davantage de reggae et de seggae et quelques touches de ragga. Le succès est, une fois de plus au rendez-vous. Love and Respect est élu album de l’année sur les ondes de la MBC. Pourtant, Blakkayo avait une certaine appréhension juste avant la sortie de l’album. “Deux morceaux de la maquette avait fuité. Je m’en suis rendu compte lors d’un concert avec OSB. Alors que chante Ti man puis Confiance, je constate que le public chante les morceaux avec moi. J’étais surpris de les voir connaître les paroles par cœur. J’ai eu peur que ça influe négativement sur la vente. Mais, ça a fait une publicité pour l’album qui s’est très bien vendu.”

Fan des Street Brothers.

Mais avant d’exploser en solo, Blakkayo a connu plusieurs aventures. Alors que les Street Brothers cassaient la baraque dans les années 90 avec leur premier album Ragga kreol, l’adolescent faisait partie de leur fan club. “Je les suivais lors de leurs prestations en public, ti pe al pip pou zot.” Sans être un grand danseur, selon ses propres dires, “mo ti pe al ‘challenge’ dimounn dan ron”, rigole-t-il. Il n’avait pas 15 ans à l’époque. Un beau jour, il eut la chance d’aller assister à une répétition des Street Brothers grâce à un ami. C’est d’ailleurs Bruno Raya qui est à l’origine de son surnom. Quand il voit Jean Clario Gateaux, Bruno pensa à ‘Yo’, personnage joué par Chris Rock dans le film New Jack City. “Avek mo ‘Y’ lor mo fron, mo trouv nom la al bien ar mwa”, dit-il en montrant sa cicatrice en forme de ‘Y’ qu’il a depuis ses 5 ans.

Formant un groupe baptisé Nature Flame, Yo devient Black Yo. “Je me surnomme Yo et je suis noir.” Le groupe n’ayant pas fait long feu, Jean Clario Gateaux passe encore plus de temps à faire “du ragga box à la gare de Rose-Hill. Mo ti kontan toste.” À cette époque le jeunot était passé maître dans l’art de l’improvisation. “Tu mets de la musique, je t’invente un morceau, j’avais toujours quelque chose à dire sur de la musique.”
C’est en 1995, sur la gare de Rose-Hill, qu’il est repéré par Ricardo Bhugmoneea. Il est alors invité à poser sa voix sur l’album du groupe de ce dernier, X-Rated. En studio, Jean Clario use de son talent d’improvisation et l’album finit par sortir, ce qui allait être son premier coup de projecteur. Plus tard, alors qu’il pose sa voix sur un morceau ragga et devant dire son surnom, il réalise que Black Yo ne colle pas. “Li pe kale. Black Yo, c’était mieux sur du rap. Black Yo devient Blakkayo, question de rythme.”

Expression libere.

Entre temps, Blakkayo rejoint le groupe des frères Raya qui se transforme en Otentik Street Brothers. D’ailleurs, quand Bruno Raya lui lance l’invitation à l’époque, il n’en croit pas ses oreilles. “Je me disais, ‘pa fer kouyon do’. J’avais l’impression de passer du bas fond au Zénith d’un coup.” À cette époque, il se partageait entre la demeure de Bruno Raya et celle de sa famille à Rose-Hill. Nature Flame se sépare, seul Ice T le suit comme danseur dans sa nouvelle formation.
OSB se met à explorer et à évoluer. “Nous écoutions du rap hardcore français, du rap américain, du hard rock, du ragga muffin. Nous explorions le reggae, le seggae. Le reggae nous intéressait de plus en plus pendant la conception de l’album Expression libéré. Je parle à Bruno Raya d’Alain Ramanisum, un pote d’école rencontré dans une classe d’activités dédiée à la musique. Je l’avais vu à la télé avec Cassiya. Il vint nous donner un coup de main tout comme Georges Corette.”

Dès le premier album avec Blakkayo en son sein, Expression libere, la mayonnaise prend. S’ensuivent alors divers albums avec le groupe et en solo bercés de succès. Plus tard, il formera le groupe Solda Kaz Bad avec qui il sortira un album et lancera d’autres albums au nom du collectif Solda+mwadka.

Fier de son parcours, le chanteur salut Scope pour le soutien qu’il a reçu tout au long. “À chaque fois que j’ai lancé un album, Scope m’a soutenu. Je souhaite vous remercier pour votre soutien à la musique locale. À l’époque, internet n’était pas accessible comme maintenant, les jeunes avaient tous leur copie de Scope. Scope magazine a grandement contribué à ma notoriété.”

Place aux Soz serye

20 ans après Tchek to life et 11 ans après Love and respect (le plus récent), Blakkayo prépare son comeback avec le double-album Soz serye. Un album, co-produit avec Jorez Box, qui devait sortir en avril mais le coronavirus “inn vinn fatig lespri”, rigole le chanteur. Un 4e album solo avec 20 morceaux “aux couleurs de Blakkayo avec du reggae, du seggae, du ragga muffin.” L’arrangement musical, signé Elvis Heroseau, est lui teinté de touches 2020. “Mo mari kontan sa stil afro ki pe kas dife dernieman la.”

Il faut savoir que Soz serye est son cri de guerre “que je lance à chaque fois que je vais sur scène. Je suis, la plupart du temps, sérieux dans ce que j’entreprends, je n’ai pas le temps de venir plaisanter.”

Ses 3 premiers albums solos étaient tous porteurs de messages différents. Ce dernier album n’échappe pas à la règle. “J’ai eu envie de parler de valeurs familiales et d’éduquer les jeunes. Mo mem mo enn zanfan koltar. Je demande aux parents d’éduquer leurs enfants sans tabous. Il faut un peu de sévérité mais aussi de l’ouverture, pour qu’ils n’aient pas peur de parler avec leurs parents. S’ils s’éduquent seuls à travers internet et la rue, ils ne seront pas en mesure d’affronter la vie. Ils seront en prise aux fléaux les que la drogue. Dans l’album Love and Respect, j’avais écris une chanson sur l’éducation sexuelle mais j’ai l’impression qu’ils n’ont écouté que les mélodies. Zot pann ekoute ki monn dir. Je sens que j’ai encore des messages à faire passer. J’ai envie que cette génération écoute mes messages. Si dan 100 mo resi sov 10, se deza enn viktwar.”

L’album est actuellement en prévente à Rs 500 pour une sortie officielle en septembre. Le double album peut être réservé en envoyant un message privé sur la page facebook Orizinal Blakkayo ainsi que celle de Jorez Box ou à travers l’adresse email suivante : jorezbox@gmail.com. En septembre, il sera disponible chez les disquaires et sur les plateformes en ligne. “Je sais que les fans attendent l’album, ils me le rappellent souvent. Il y a aussi les die-hards, qui l’achèteront sans même en avoir un aperçu. Beaucoup ont déjà réservé leurs copies.”

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