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Violence domestique et pauvreté : Éloïse veut être avocate pour défendre les victimes

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Violence domestique et pauvreté : Éloïse veut être avocate pour défendre les victimes
Photo d'illustration

Éloïse, 15 ans, travaille dur en classe pour devenir avocate. Cela lui donnera l’occasion d’aider les plus vulnérables, plus particulièrement les femmes et les enfants victimes de violence domestique. La grande précarité dans laquelle elle vit avec sa mère et son frère n’est pas un obstacle. Ni le souvenir des coups infligés pendant des années par ce père qu’ils ont fui. Appliquée dans ses études, portée sur les lettres, la collégienne partage la positivité d’une mère-courage qui a décidé de tout faire pour mener ses enfants vers leurs rêves.

Ce n’est pas la pluie qui a surpris l’Ouest cet après-midi qui garde la jeune fille à l’intérieur dans le deux-pièces qu’elle occupe avec sa mère et son frère depuis quelques jours. Le mauvais temps, comme les mauvaises périodes, Éloïse a appris à les affronter avec bravoure et positivité. Quelques gouttes de pluie ne pourraient retenir l’adolescente de 15 ans. Elle qui a survécu aux coups et au harcèlement d’un père violent et alcoolique, aux nuits inconfortables dans l’enclos avec des animaux, aux soirées à courir les rues pour trouver refuge et secours, au repli dans les centres pour victimes de violence domestique, à la grande pauvreté, à la précarité permanente et à bien d’autres épreuves…

Pendant longtemps, les Protections Orders n’ont pu mettre la famille à l’abri. D’où la décision de la mère de quitter la maison familiale

Assise sur l’un des deux petits lits que les trois partagent dans la même chambre, elle est passée en mode révision aussitôt rentrée du collège. Cahier sur les genoux, travailler dur pour constamment avancer. Un rituel qui la conduira vers un objectif précis : “Plus tard, je serai avocate.” Même si l’essentiel manque dans cette petite maison convenablement entretenue, Éloïse et sa mère s’adaptent, sans céder au défaitisme. Un coussin sur un vieux pot de peinture fait office de chaise pour l’invité. La seconde pièce sert de cuisine et d’espace de rangement.

Rs 5,500 et de l’espoir pour vivre.

Tout cela est déjà mieux que la bicoque en bois et en tôle qu’ils occupaient jusqu’ici et qu’ils ont été contraints d’abandonner suite à des problèmes avec le voisinage. Ayant pour revenus deux pensions qui atteignent conjointement Rs 5,500, la mère a cherché une maison plus sûre pour que ses enfants puissent étudier en toute sérénité. Le fils entame en ce moment le PSAC et Eloïse se prépare pour les examens du SC, prévus l’année prochaine. “Financièrement, c’est beaucoup plus difficile. Je dois maintenant me débrouiller pour payer une location. J’ai dû faire appel au soutien de ma vieille mère. Mais je préfère que mes enfants puissent se concentrer sur leurs études”, confie la mère, qui a trouvé un petit boulot depuis peu.

Pendant qu’Éloïse révise des chapitres de Travel & Tourism, sa mère réfléchit sur ce qu’elle préparera pour le dîner de ce soir : “Je ne sais pas encore ce que nous mangerons. Nous verrons bien. Même si je n’ai pas les moyens, mes enfants ne vont jamais au lit sans manger. Il n’y a pas beaucoup de nourriture, mais il y aura quelque chose à manger, comme toujours.”

Autant d’efforts qui permettront à Éloïse d’être avocate. Une carrière pas envisagée pour le confort matériel que cela lui procurera. “Je veux pouvoir représenter les gens qui sont en difficulté. Et surtout défendre les femmes qui ont des problèmes.” Si sa mère avait bénéficié d’un tel soutien, la vie aurait été plus agréable pour les trois. Les dispositions qui existent à l’intention des femmes et des enfants victimes de violence et les mesures pour combattre la pauvreté n’ont pas été suffisantes pour les mettre à l’abri pendant longtemps. Bien que porté par l’espoir, le chemin à parcourir vers la sérénité demeure très long.

Les Protections Orders n’arrêtent pas les coups.

Originaire de Rodrigues, la mère d’Éloïse a 15 ans lorsqu’elle décide de venir à Maurice. “À Rodrigues, je vivais bien avec ma famille. Mais il y avait des choses qui nous manquaient. C’est pour aider les miens que j’ai pris la décision de venir travailler à Maurice.” Employée dans une usine de textile, elle rencontre celui qui devient son compagnon. Deux enfants agrandissent bientôt la famille, installée à Port-Louis.

Au départ, tout va bien dans la bicoque construite par la femme et l’homme. Mais au bout de quelque temps, l’alcool et le mauvais caractère de ce dernier transforment la vie des siens en enfer. Les insultes sont permanentes, les coups de plus en plus réguliers et violents. Lasse, la mère décide d’avoir recours aux autorités. Avec ses deux enfants, elle se retrouve dans des centres d’accueil pour victimes de violence domestique. Des moments de répit jusqu’à leur retour à la maison, où les Protection Orders n’arrivent pas à arrêter les coups.

Revenir en enfer.

“De toute manière, il nous fallait coûte que coûte rentrer chez nous. Cela équivalait à revenir vers la source du problème et se retrouver encore une fois face à la même violence”, regrette la mère. Pour cette dernière, il est difficile d’abandonner cette maison qu’elle a aidé à construire. Reprendre la vie ailleurs serait un déracinement pour elle-même et les enfants, qui avaient leurs écoles, leurs amis, leurs clubs sportifs et tous leurs repères à Port-Louis. Souvent, il fallait fuir la maison la nuit, implorer l’aide de voisins pas toujours compréhensifs, faire appel à la police. “Nous avons passé des nuits dehors. Nous avons aussi dormi dans l’enclos des animaux que j’élevais.”

Cet élevage de porcs est une porte de sortie pour la femme après que l’usine a fermé. De l’argent que lui rapporteraient les bêtes, elle aurait trouvé le dépôt exigé pour faire l’acquisition d’une maison de la NHDC. Mais une maladie s’abat sur ses animaux et tous ses espoirs se consument du jour au lendemain. L’année dernière, la justice sévit enfin et son concubin se retrouve en prison, condamné à quelques mois. Elle en profite pour démonter une partie de la bicoque afin de la reconstruire dans l’ouest, où un proche lui a proposé un bout de terrain. Mais au bout de quelque temps, il lui est demandé d’évacuer les lieux.

Les fantômes du passé.

“Nous savons que mon compagnon est sorti de prison. Nous avons entendu dire qu’il est venu dans la région pour tenter de savoir où nous sommes”, dit la mère. Les fantômes de ce passé qu’ils tentent de fuir les hantent toujours. Mais mère et fille ont décidé d’avancer, permettant au benjamin d’être porté par une autre énergie. “Leurs enseignants m’ont dit que mes enfants ont un bon potentiel. C’est la raison pour laquelle je me démène autant pour eux.”

Éloïse travaille plus dur en maths et en comptabilité parce qu’elle sent qu’elle a des lacunes dans ces deux matières. La littérature française demeure sa matière préférée. Elle a pris beaucoup de plaisir dans la lecture et l’étude de Le Silence de la mer de Vercors. “Ce livre nous fait comprendre que le silence masque beaucoup de choses : des sentiments cachés, des choses inavouables. Même si le silence est lourd, il faut le vaincre et ne pas le laisser nous envahir”, dit Éloïse. Dans son collège, ils sont rares ceux qui sont au courant du côté sombre de la réalité de l’élève joviale et brillante. Seuls les responsables de l’établissement avaient été informés de la raison de sa longue absence quand elle s’est retrouvée dans un centre d’accueil. De retour deux mois plus tard, elle a rattrapé le retard accumulé très rapidement et s’est de nouveau mise sur les rails.

Pour Eloïse, même si toutes les conditions ne sont pas réunis, l’éducation est la seule voie qui lui donnera l’occasion de s’en sortir

Chanter et avancer.

Toutes les épreuves vécues jusqu’ici ont enseigné l’espoir à l’adolescente. “Même si on rencontre des difficultés dans la vie, il ne faut jamais abandonner. Il faut toujours regarder devant soi. Si nous restons concentrés sur le passé, nous n’avancerons jamais. Le passé appartient au passé”, affirme Éloïse. Même quand la petite famille se retrouvait dans les centres, elle s’efforçait à apporter cette positivité aux autres. La mère est une travailleuse sociale formée qui a longtemps œuvré comme volontaire chez les pauvres, avant qu’elle ne se retrouve elle-même en situation de difficulté. “Tous les cours que j’ai suivis m’ont appris à faire face à cette situation.”

La version d’Hallelujah d’Alexandra Burke et les tubes de Bruno Mars sont parmi les chansons qu’Éloïse écoute en ce moment. À SOS Femme à St-Pierre, elle a composé à 14 ans une mélodie et écrit un texte traitant des droits humains. Elle espère présenter sa chanson sur une maquette. Un extrait de son texte dit : “Tou letan nou pe tann dir violans domestik / Partou kote lanatir pe diminie / Tro boukou batima pe aranze / Ena dimounn res san fwaye / Gouvernma pe res asize.”

Interrogée sur ce qu’elle souhaiterait voir se mettre en place autour d’elle pour qu’elle puisse s’épanouir, elle pense avant tout à l’amélioration des conditions de vie pour les citoyens les plus vulnérables “J’aurais souhaité que tous puissent mener une vie normale, dans une société où les femmes seraient en sécurité. Au lieu de construire des choses inutiles, les autorités devraient commencer par donner de l’eau et une maison aux plus pauvres. Elles devraient aussi travailler en faveur des jeunes pour les sortir de la mauvaise voie.” Et, pour elle, elle souhaite “une maison décente où ma famille serait en sécurité”.