Manda Boolell (ex-animatrice à la MBC et présidente du Rotary Club de Curepipe) : «De la place pour une ou deux TV privées indépendantes»

À l’occasion du 53e anniversaire de l’accession de Maurice à l’indépendance ce 12 mars et de la Journée internationale de la Femme, qui a été célébrée le 8 mars, Le Mauricien a rencontré Manda Boolell, une ancienne journaliste et animatrice de la Mauritius Broadcasting Corporation. Une des pionnières dans le domaine. Elle nous parle de ses premiers pas comme journaliste professionnelle en 1968, après été free-lance pendant quelque temps. Elle évoque les souvenirs de ses 25 années passées à la télévision et à la radio. Elle considère aussi que le temps est venu pour Maurice d’avoir une ou deux télévisions privées, avant de parler de la situation des femmes à Maurice.

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Manda Boolell, la célébration de l’indépendance est toujours l’occasion de faire un bilan et un retour “down memory lane”. Si vous aviez à raconter l’accession de Maurice à l’indépendance, qu’auriez-vous dit ?

J’ai habité Port-Louis, pas très loin du Champ-de-Mars. Nous n’étions pas présents à la cérémonie officielle du lever du drapeau du 12 mars 1968 mais on pouvait voir la foule enthousiaste et heureuse des Mauriciens venus de tous les coins de l’île qui y participait.

Nous comprenions très bien que c’était un moment important et historique. Cependant, comme beaucoup de personnes, nous n’avions pas encore pris la mesure de ce que voulait dire l’accession à l’indépendance. Nous savions que c’était quelque chose de positif, que la majorité d’électeurs avait voté en faveur de l’indépendance et que d’autres étaient contre. Nous ne pouvions toutefois imaginer ce qui allait se passer après.

Étiez-vous déjà à la MBC à cette époque ?

Je travaillais en free-lance à cette époque puisque j’ai été embauchée en août 1968. Bien sûr, je suivais les événements. L’émotion était partagée parmi les journalistes, surtout que nous avions à cette époque un Head of News qui s’appelait Jean Roland Delaître. C’était une personnalité charismatique qui nous partageait ses émotions aussi bien pour les grands événements comme l’accession pour l’indépendance que pour la politique, le sport et tout ce qui se passait autour. À cette époque, c’était surtout des animateurs, présentateurs et des producteurs qui étaient à l’avant-plan. Je suis arrivée par la suite.

Vous avez commencé à cette époque une carrière qui allait faire votre notoriété…

Absolument, c’était le début d’une carrière de présentatrice et de journaliste qui allait s’échelonner sur 25 ans.

Quel souvenir gardez-vous de cette période ?

Un très bon souvenir. La MBC débutait. Il y avait aussi bien la radio que la télé. Tous ceux qui étaient là, Marie-Josée Baudot, Luc Legris, et moi-même d’abord, ensuite Pamela Patten et Michelle Étienne, nous étions tous animés par une passion pour le travail. Vous ne pouvez faire ce métier sans aimer les gens. Nous avions envie de partager tout ce qui se déroulait dans le pays, que ce soit les informations, la culture, le sport.

À cette époque, nous étions en même temps animatrice, présentatrice, journaliste. Nous faisions tous les métiers des médias d’un seul coup. Nous arrivionw à la radio ou à la télé. On nous donnait un bulletin d’information que nous lisions. Parfois, nous apportions quelques modifications en fonction de notre façon de voir les choses. Aujourd’hui, les activités professionnelles sont très définies. Il y a l’animateur, le journaliste, le producteur.

Au début de la télévision en 1965, il n’y avait que trois heures de diffusion. C’était un peu normal qu’une personne puisse tout faire. Nous étions des “jacks of all trade”. Bien évidemment, plus tard lorsqu’il y a eu deux chaînes de télé, les choses ont changé. Aujourd’hui, nous avons 13 chaînes de télé et cinq chaînes de radio. Les gens se sont spécialisés dans des secteurs différents, etc.

Dans un premier temps, la MBC était dirigée par des Britanniques. Par la suite, avec l’arrivée de Jean Roland Delaître, on avait une équipe solide. Tout le monde travaillait ensemble par amour pour le métier. Nous voulions faire quelque chose de bien. Je me souviens de l’arrivée de la princesse Alexandra en 1969, Percy Mc Gaw m’a dit : « Tu viens d’arriver. Va poser une question à la princesse. » Sans réfléchir un instant, j’ai pris le micro et je suis partie poser ma question. À cette époque, il y avait beaucoup de directs.

Vous faisiez donc partie de ceux qui ont jeté les bases de la télévision à Maurice ?

C’est vrai. Nous faisions en quelque sorte une machine de rêves. Il y avait beaucoup de travail au niveau de la production. Nousd étions l’île de l’île Maurice de cette époque. Il y avait beaucoup de programmes populaires comme Sugar Time, des visites dans les villages. C’était le plus souvent des émissions en direct. Nous rencontrions les gens sous les arcades à l’occasion des grandes fêtes comme Noël. Ce n’était pas des images mises en boîte et retravaillées. Comme vous le dites, on jetait les bases de ce qui allait être la télévision plus tard. La télévision est le miroir d’un pays. C’est la raison pour laquelle il faut avoir le maximum de programmes locaux de manière à ce que chaque spectateur se retrouve dans cette image de la télévision.

Quelles sont les émissions qui vous reviennent en mémoire ?

Je faisais beaucoup de directs. J’ai eu l’occasion de couvrir beaucoup de conférences internationales. L’émission qui m’a énormément marquée a été celle concernant la visite du pape Jean Paul ll en octobre 1989. Cela avait été un moment fort pour toute l’équipe.

J’étais responsable des programmes. Je me souviens de ce moment d’entente et d’harmonie qui régnait dans toute l’équipe à la MBC. Tous les moments forts pour moi étaient des émissions en direct. Le seul moment où j’ai senti qu’il fallait réfléchir différemment, c’était en 1982, lorsque le ministre de la Culture d’alors, Rama Poonoosamy, m’a demandé de faire le reportage sur la visite de Mme Indira Gandhi en créole également.

À cette époque, nous n’étions pas préparés. Notre outil de travail était le français et l’anglais et il fallait redire la même chose en créole. C’était mon premier reportage en créole. C’est vrai que c’est une langue que nous parlions tous, mais à l’époque nous n’avions pas été formés pour faire un reportage. Jusqu’aujourd’hui, je pense qu’il faut une formation pour cela.

Vous aviez donc été témoin de la transformation de la télévision…

Certainement. J’ai commencé en free-lance en 1965 et suis partie en 1990. Pendant cette période, la MBC a connu une profonde transformation. Je me souviens à l’époque de la boxe en studio, la fameuse émission de Boxing in Studio à l’initiative de Jean Roland Delaître. C’est impossible d’imaginer aujourd’hui qu’on avait créé un ring au milieu d’un studio et que les gens venaient suivre des combats de boxe en direct de nos studios.

l Quels sont les producteurs qui vous ont le plus marquée à cette époque ?

Il y avait déjà Yacoob Bahemia qui avait une imagination incroyable et une maîtrise extraordinaire de la production Il n’y avait pas encore le digital comme aujourd’hui. Pourtant, il arrivait à réaliser ses idées en utilisant tous les moyens du bord qui étaient à sa disposition. Nous apprenions beaucoup de choses incroyables avec lui.

Sylvio Hécube était un grand musicien et avec lui il n’y avait pas un son qui pouvait passer avec une fausse note. Il était parmi nos grands réalisateurs avec John Lam Ping Lam qui était très méticuleux concernant les images et le cadrage. Ce qui était intéressant, c’est qu’il fallait tout inventer avec peu de moyens. Aujourd’hui, nous disposons de beaucoup d’appareils et de facilités techniques et je me demande parfois si les choses ont changé en ce qui concerne la créativité et l’imagination…

Peut-on comparer la télévision d’aujourd’hui avec ce que nous faisions autrefois ?

C’est difficile de le faire parce qu’il y a eu tellement de changements. Il y a eu des changements en termes de mentalité, de technologies, de nouvelles façons de voir les choses. En fin de compte, que ce soit au niveau international ou au niveau local, rien n’a changé dans l’imaginaire des gens.

À l’époque, nous faisions des documentaires animaliers, des documentaires sur la nature. Nous faisaions des jeux avec Jacques Dinan. Il fallait tout inventer et avoir une imagination débordante. Pour travailler dans une station comme la MBC, il faut être ouverte à toutes les cultures pour pouvoir raconter et expliquer des choses susceptibles d’enrichir les familles mauriciennes.

Lorsque vous êtes à la télévision ou à la radio, vous entrez chez les familles mauriciennes et à la maison de chaque spectateur, et chacun réagit à sa façon. Il faut avoir cela en tête lorsque nous travaillons parce que sans auditeur ou téléspectateur, il n’y a ni radio ni télévision. Je suppose que c’est la même chose dans la presse. Il faut avoir une bonne santé, énormément de patience, de l’humilité et aimer ce qu’on fait.

À notre époque, nous avions la passion de ce qu’on faisait. Ce n’était pas une question uniquement de gagne-pain et un moyen de se faire de l’argent.

À l’époque, il y avait beaucoup de films à la télévision…

Oui, il y avait beaucoup de films mais pas autant que maintenant. Avec l’augmentation des chaînes de télévision, il y a eu une augmentation du nombre de films. Mais aujourd’hui on peut voir les films partout, que ce soit sur Netflix, sur les “streamings”, etc. Déjà, lorsque la vidéo était arrivée, tout le monde pensait que c’était la mort de la télévision. Ce qui n’a pas été le cas.

Qu’est-ce qu’il aurait fallu améliorer à votre avis aujourd’hui ?

Je ne suis pas là-bas. Par conséquent, il est difficile de dire ce qu’il faudra faire. Chaque directeur et chaque producteur ont voulu faire mieux. Les gens ont tendance à se focaliser sur les informations, 24 sur 24, il n’y a que deux heures d’informations.

Je pense qu’il faut donner la possibilité à de nouveaux réalisateurs qui ne travaillent pas à la MBC de venir avec des programmes et des films. Il y a beaucoup de créateurs qui font des films, des documentaires ; même les jeunes qui font les “tik tok” ont sans doute le potentiel pour faire autre chose. Il faut beaucoup plus de créations locales. S’il y a quelque chose qu’il faudrait changer, c’est de séparer la radio de la télévision. On ne peut pas être directeur de 13 chaînes et directeur de cinq chaînes de radio.

L’heure n’est-elle pas arrivée d’avoir une télévision privée à Maurice ?

Bien sûr. On en parle depuis plus de dix ans. Toutefois, lorsqu’on leur a dit qu’il ne fallait pas mettre de l’information, cela n’a pas marché. Il est grand temps pour que Maurice ait une télévision privée avec tout l’encadrement légal nécessaire.

La MBC a un cadre très clair. Si vous lisez la MBC Act, vous verrez qu’il y a bien des choses qu’on ne fait pas. Ce cadre légal est toujours très actuel. Il ne faut pas oublier que la télévision coûte cher aussi bien en termes d’équipements que de personnel. Il faudra que le secteur privé ait les moyens et la possibilité d’opérer sur un pied d’égalité que tout le monde. Il y a de la place pour une ou deux télévisions privées indépendantes et responsables. Bien entendu, lorsque je parle de télévision privée, je ne parle pas de l’équivalent d’un tabloïd. Ce qui est malheureusement le cas pour ce qu’on voit parfois sur Facebook.

À votre époque, il y avait beaucoup de femmes à des postes de responsabilités…

Il y avait beaucoup de femmes qui étaient à la tête des programmes et des services. Même dans le conseil d’administration, il y avait des femmes. L’audiovisuel est un monde fait d’homme et de femmes. On est tous pareils en termes de compétences. Toutefois, elles ont des regards différents. Le regard de la femme est différent de celui de l’homme. Il faut pouvoir bâtir sur cette différence pour réaliser quelque chose de complet.

Quel regard jetez-vous sur la situation de la femme aujourd’hui ?

Ce qui m’interpelle aujourd’hui, c’est qu’il y a beaucoup de législations concernant les femmes qui ont été adoptées. Il y a un ministère qui s’occupe des femmes, des familles et des enfants. On fait beaucoup de plans stratégiques, selon un calendrier bien défini. Par exemple, on parle de violence domestique en novembre à l’occasion de la Journée contre la violence. On en parle à l’occasion de la Journée internationale de la femme lorsque c’est le thème. On parle de l’égalité des genres.

Ce qui m’interpelle le plus est de savoir comment atteindre celles qui n’ont pas eu droit à l’éducation et qui se retrouvent dans un taudis quelque part et qui n’ont pas accès à l’information. Il y a eu énormément de progrès. Mais il y a encore énormément de choses à faire. Le plafond de verre existe toujours dans les compagnies. Et puis, il y a encore celles qui souffrent, celles qui sont pauvres et dont la situation a empiré avec la COVID, celles qui se retrouvent sans travail et celles qui sont battues par leur mari. Qui s’occupe d’elles ? Il y a tout cela à prendre en compte dans la société. Il faut voir de quelle façon on peut aider toutes les femmes du pays.

Cela a été un déclic. L’éducation gratuite pour les femmes a été le plus grand déclic pour les femmes. Chaque année, lors de toutes les conférences internationales sur la femme, que ce soit à Pékin ou ailleurs, il y a des décisions prises. Est-ce que ces décisions sont mises en œuvre de manière à toucher toutes les femmes dans toutes les couches de la société ?

Que faire pour atteindre cet objectif ?

C’est en premier lieu la responsabilité du gouvernement, en particulier du ministre de l’Égalité des genres et de la Famille. Il y a aussi le secteur privé où travaillent énormément de femmes. Ensuite, il y a les citoyens eux-mêmes. Chacun doit comprendre que l’autre a besoin de lui, sinon on ne pourra pas avancer.

Après votre départ de la MBC, vous vous engagez dans le travail social. Une nouvelle passion sur le plan personnel ?

Je me suis toujours engagée dans le social. Je suis une fille du Couvent de Lorette de Port-Louis. Vous savez très bien que les religieuses vous forment à la charité, à aider son prochain. Plus tard, on s’engage dans des associations.

Après la MBC, j’ai travaillé pendant dix ans au British Council où j’occupe la fonction de directrice adjointe. J’ai continué à m’engager dans le domaine de l’éducation, de la culture. On avait remis sur pied le British Council qui avait disparu pendant un certain temps. On faisait venir les artistes. C’était à peu près la même chose que je faisais à la MBC tout en étant membre de certaines associations.

N’avez-vous jamais songé à faire de la politique ?

Pendant un moment, peut être. Après je me suis dit que je ne pourrais pas faire ce que j’aimais faire en tant que politicienne. On peut beaucoup faire sans être actif politiquement. Par exemple, je suis présidente du Rotary Club de Curepipe. J’ai été la première femme à occuper ce poste à Curepipe.

Être rotarienne, ce n’est pas être un homme ou une femme. On partage les mêmes valeurs. On est rotarien, un point c’est tout. Comme vous le savez, le Rotary est une association de professionnels dont le but est de faire le bien dans le monde. On a lancé beaucoup de projets dont le plus récent est la formation des aide-soignants. Avec le vieillissement de la population, les aide-soignants ont une responsabilité très importante. Nous avons formé 40 aide-soignants qui ont tous trouvé du travail. Dans ce sens c’est quelque chose extraordinaire. Le Rotary forme également les jeunes.

Quel regard jetez-vous sur la société aujourd’hui ?

C’est vrai que la COVID est arrivée et nous a beaucoup affectés sur les plan sanitaire et économique. Toutefois, il faut savoir que le monde entier passe à travers un problème d’identité. Dans les autres pays, il y a eu des migrants, etc.

À Maurice qui est un pays complexe, la population se pose les mêmes questions concernant son avenir. Les jeunes se retrouvent un peu plus confrontés à des questions sans nécessairement trouver de réponses. L’Internet, qui constitue une avancée technologique considérable, a tout changé. La drogue est venue se greffer aux problèmes existants. les parents n’arrivent pas à comprendre ce qui se passe. Les jeunes ont évolué hors de la vue de leurs parents en raison d’un problème de communication. Il y a aussi une crise psychologique qui affecte également les parents, les adultes et les personnes âgées qui sont inquiets quant à leur avenir.

La société mauricienne est peut-être en crise, mais je vois les choses de manière positive. Nous sommes un petit pays de 1,2 million d’habitants. Il faut arriver à trouver des solutions à nos problèmes. Nous pouvons le faire, mais faut-il que tout le monde accepte de s’asseoir ensemble. Sans cela, nous ne pourrons pas avancer parce que chacun va critiquer l’autre.

C’est tellement facile de critiquer. Mais il faut faire des propositions. Il faut pouvoir aller de l’avant. Il y aura toujours des crises qui nous affecteront. La solution doit venir non seulement de nos dirigeants mais aussi du peuple parce que nous sommes tous dans le même bateau. Si nous coulons, nous coulerons tous ensemble. Personnellement, je souhaite que nous retrouvions cette harmonie que nous avons toujours eue. Il faut arriver à se dire qu’ensemble nous pouvons faire de grandes choses.

Pensez-vous que nos politiciens sont à la hauteur de la situation ?

Difficile de répondre. Il faut un gouvernement et il faut des politiciens, mais est-ce qu’ils sont vraiment à l’écoute de la population ? Lorsqu’il faut gérer des problèmes, nous n’avons pas le temps d’écouter. De plus, on n’a pas autour de soi des gens qui sont vraiment à l’écoute de la population.

l On parle beaucoup d’unité nationale. Ce sujet vous interpelle-t-il ?

Le mauricianisme et l’unité nationale existent déjà. À la veille du Maha Shivaratree, tous les Mauriciens sont là pour accueillir les pèlerins avec respect. Cependant, de temps en temps, il y a une crise à la veille des élections. Ce qui est un peu normal parce que nous sommes une nation d’immigrés. Lorsqu’on est un immigré, il y a toujours la peur de perdre ses valeurs ancestrales. Toutefois, je ne crois pas que cela change quoique ce soit. Le vivre ensemble est beaucoup plus présent que les petites fractures qui surgissent en raison de la politique.

Avez-vous un message avant de terminer…

La COVID a changé notre façon de faire et Maurice ne sera plus ce qu’elle était avant. Ce que je souhaite, c’est que nous mettions notre expérience et notre vision de l’avenir ensemble pour une Maurice meilleure

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